Combien de temps Carrie Lam, cheffe « zombie » de Hong Kong, peut-elle encore s’accrocher au pouvoir ?

Après qu’un quart de la population de Hong Kong ait participé à une méga manifestation, jusqu’où le mouvement peut-il aller ? Le 16 juin, deux millions de personnes ont manifesté, l’incroyable mouvement de masse secoue désormais toute la région. L’entretien suivant a été réalisé le 18 juin avec Vincent Kolo de chinaworker.info : « C’est un mouvement sans précédent à Hong Kong qui a mobilisé les plus grandes manifestations de l’histoire du territoire. Le 9 juin, un million de personnes ont envahi les rues de Hong Kong, puis le 16 juin, deux millions, soit plus du quart de la population de Hong Kong. Il est difficile d’exagérer l’importance de ce mouvement non seulement pour Hong Kong mais aussi pour la Chine. »

Propos recueillis par Robert Bielecki (CIO-Suède) pour Offensiv (hebdomadaire du CIO en Suède)

Que signifie cette crise du gouvernement de Hong Kong ?

« Le New York Times a qualifié la suspension par le gouvernement de son projet de loi sur l’extradition, annoncée le 15 juin, de plus grand recul sur une question politique de la Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012. Xi était considéré comme un « homme fort » invincible, donc c’est un tournant.

« Il ne doit pas y avoir de malentendu, malgré l’insistance de la dictature chinoise pour dire que la loi sur l’extradition était l’idée du gouvernement et de la cheffe de l’exécutif de Hong Kong, Carrie Lam, ce qui est peut-être vrai, le feu vert venait de Beijing. S’il ne l’avait pas fait, le gouvernement de Hong Kong n’aurait jamais osé aller aussi loin. L’ordre de faire des concessions (la suspension de la loi) est également venu de Pékin.

 » Le 14 juin, de hauts responsables chinois, dont Han Zheng, membre du Comité permanent du Bureau politique et vice-Premier ministre, se sont rendus à Shenzhen, à la frontière avec Hong Kong, pour des entretiens de crise. Carrie Lam et les ministres de Hong Kong les ont rencontrés et ont reçu l’ordre de reculer. »

Comment les masses ont-elles réagi ?

« L’atmosphère qui règne à Hong Kong, c’est que ce n’est pas suffisant. La concession est trop petite, trop tard. Les masses détestent le gouvernement de Lam et ne croient pas un seul mot de ce qu’elle dit. Ils veulent que la loi sur l’extradition soit abolie complètement et ils ont peur des sales tours du gouvernement. Le gouvernement a menti, intimidé et tenté de se tirer une balle dans la tête en ordonnant à la police de recourir à une violence extrême, surtout le 12 juin. C’est alors que 70.000 étudiants et jeunes ont manifesté devant Legco (le Conseil législatif, le faux parlement de Hong Kong) dans une mobilisation qui a totalement surpris la police.

« Les jeunes sont arrivés en masse déjà à six heures du matin et avant que la police ne sache ce qui s’était passé, ils avaient occupé toutes les routes autour de Legco. La police a totalement mal estimé la situation. Cette mobilisation s’est faite principalement via les médias sociaux et les applications de messagerie cryptées comme Telegram, qui a été la cible d’une attaque de piratage informatique majeure en provenance de Chine ce jour-là. Des dizaines de milliers de jeunes se connectent via ces applications de messagerie pour organiser des actions de protestation.

« L’esprit combatif de la jeunesse, c’est ce qu’il y a de plus choquant pour l’élite dirigeante. Le rédacteur en chef du South China Morning Post a écrit un article intitulé :  » Nos jeunes n’ont pas peur des matraques et des balles – c’est effrayant ».

Comment le mouvement d’aujourd’hui se compare-t-il à la ‘Révolution des Parapluies’ ?

« Le mouvement a beaucoup appris de la Révolution des Parapluies de 2014, qui s’est terminée dans une impasse. S’en sont suivies quatre années de répression brutale et de contrôle accru de la dictature chinoise sur le système politique de Hong Kong.

« L’après-midi du 12 juin, le gouvernement et le chef de la police ont décidé de recourir à la répression, craignant une nouvelle occupation de type ‘Parapluie’, de sorte qu’ils ont tiré plus de gaz lacrymogène en une journée que pendant les 79 jours de la Révolution des Parapluies.

« Et pour la première fois, ils ont tiré sur la foule avec des balles en caoutchouc. Deux personnes ont reçu une balle dans la tête et deux sont hospitalisés pour des blessures qui mettent leur vie en danger. Ils ont aussi pour la première fois utilisé des projectiles ‘en sachets’ (‘bean bag rounds’). Ce sont les nouveaux investissements que la police a acheté après 2014 – et ça n’a pas marché ! Ils pensaient que la démonstration de force disperserait les jeunes et briserait l’élan du mouvement, mais les jeunes sont restés et leur résistance a terrifié l’élite, surtout dans une situation où un million de personnes venaient de manifester. C’est pourquoi Pékin s’est refroidi.

« La dictature chinoise estime qu’elle ne peut pas avoir un tel mouvement de masse à Hong Kong en même temps que la situation de confrontation difficile dans laquelle elle se trouve avec les Etats-Unis et Trump, alors elle a essayé de le désamorcer rapidement, mais cela a échoué.

« La suspension de la loi sur l’extradition par Carrie Lam le 15 juin n’a pas apaisé les masses et, au contraire, son refus de retirer la loi et sa défense de la violence policière ont rendu les gens furieux. C’est pourquoi deux millions sont sortis dans la rue le lendemain. »

Que se passe-t-il ensuite ?

« Les masses discutent des prochaines étapes. Le gouvernement doit abolir complètement la loi proposée. A la suite du 15 juin, Lam s’est plusieurs fois excusée publiquement. Mais les excuses ne contiennent pas de nouvelles concessions, juste des mots vides. C’est un peu comme aller à l’église pour confesser ses péchés. Dieu lui pardonnera peut-être, mais pas le peuple.

« Ses discours ne contiennent pas les mots-clés pour dire que la loi sera complètement abolie et qu’elle démissionne. Le fait est que le régime chinois l’empêche de le faire, quoi qu’elle veuille faire. C’est leur otage.

« La suspension de la loi n’était pas suffisante, alors maintenant Pékin et le gouvernement de Hong Kong essaient d’attendre la fin du mouvement et de s’en sortir sans faire de concessions encore plus grandes.

« Il s’agit déjà d’un prix politique très élevé pour l’autorité de la dictature de Xi Jinping et si la loi devait être abolie et que Lam tombe, ce serait une défaite massive pour eux. Il faut craindre la dictature. Reculer devant un mouvement de masse est la chose la plus dangereuse qu’il puisse faire. Il ne s’agit pas seulement de Hong Kong, mais de ce qui peut arriver en Chine.

« Par conséquent, le mouvement va probablement grandir et devenir encore plus intense, parce que la majorité n’est pas satisfaite. Lors d’un rassemblement, un orateur pro-démocratie a comparé la nouvelle situation à celle d’une équipe de football qui a gagné « 5-0″ contre le gouvernement – cet orateur s’est fait huer par les manifestants. L’atmosphère qui règne, c’est que se contenter des concessions d’aujourd’hui ne serait pas une victoire, ce serait inacceptable. »

Pourquoi Lam ne démissionne-t-elle pas ? La dictature du Parti Communiste (PCC) ne peut-elle pas trouver une autre marionnette prête à mettre en œuvre sa politique à Hong Kong ?

« Lam est une cheffe ‘zombie’, une morte ambulante, mais le PCC essaie de tenir la ligne et de la défendre parce que ce serait un désastre pour eux si elle tombait par ce mouvement. Hong Kong n’est pas une démocratie : s’il y a une nouvelle élection, c’est dans le système du petit cercle truqué dans lequel seulement 1.200 électeurs, milliardaires plus quelques millionnaires, obtiennent le droit de vote.

« Ces électeurs d’élite se font dire par Pékin pour qui voter, ce qui est un système que les capitalistes de Hong Kong adoptent. En échange de la perte d’un peu d’influence politique directe, ils obtiennent toutes sortes de privilèges et de gros contrats commerciaux en Chine et à Hong Kong – leurs intérêts financiers sont bien pris en charge par la dictature.

« Plus important encore, la dictature empêche la classe ouvrière et les masses en Chine d’organiser et de défier le pouvoir des capitalistes. C’est pourquoi les socialistes lient la lutte pour les droits démocratiques et contre le système autoritaire actuel à la nécessité de briser le pouvoir des capitalistes. On doit faire les deux.

« Le PCC ne veut pas qu’une telle prétendue élection ait lieu à Hong Kong dans le feu d’un mouvement de masse aussi important que celui-ci. S’ils sont forcés d’organiser une telle farce grotesque « d’élections » dans cette situation, où l’on peut voir certaines caractéristiques prérévolutionnaires bien que la conscience de la manière de changer les choses ne soit pas encore élevée, ils pourraient être confrontés à la colère du mouvement de masse qui s’orienterait contre le simulacre d’élections et exigerait des élections réelles. Cela relancerait la lutte de masse pour un vote individuel et ouvrirait la boîte de Pandore pour le régime chinois.

« Il n’y a aucun signe de plus de concessions pour le moment et les masses ne sont pas satisfaites, donc la logique de la lutte est vers une nouvelle escalade. »

Comment Socialist Action (CIO – Hong Kong) participe-t-il au mouvement ?

« Socialist Action est pleinement impliqué dans le mouvement et a été la seule force politique jusqu’à la manifestation d’un million de personnes le 9 juin qui exigeait une grève politique pour se débarrasser de la loi sur l’extradition et du gouvernement fantoche de Carrie Lam. Nous appelons à une grève politique d’une journée, ce que nous soulignons dans les 25.000 tracts que nous avons distribués, sur nos bannières, nos journaux et nos discours le long du parcours des manifestations. L’écho s’est fait de plus en plus vif.

« Il n’y a pas de tradition, pas depuis les années 1920, de ce type de grève à Hong Kong. Il s’agit donc de rétablir des traditions très anciennes et oubliées et il y a urgence parce que la situation ne peut rester indéfiniment sans changer. Le temps presse pour ce mouvement de masse impressionnant de trouver les méthodes et le programme nécessaires pour remporter une victoire décisive sur la dictature. Si l’occasion est ratée, la dictature reviendra pour se venger.

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Première page de Lutte Socialiste