Les dirigeants d’entreprises américains effrayés par les socialistes

‘‘Je suis un capitaliste, et même moi je pense que le capitalisme est brisé.’’ Tel était le message de Ray Dalio, responsable d’un des plus grands fonds spéculatifs au monde, Bridgewater Associates, dans un manifeste publié en avril de cette année. Dialo s’inquiète, comme tant d’autres dirigeants américains, des critiques croissantes contre le capitalisme. Il craint une ‘‘certaine forme de révolution’’. Ses déclarations font écho à d’autres. L’ancien directeur de la société financière BlackRock, Morris Pearl, défend ainsi que les riches payent plus d’impôts : ‘‘Étant donné le choix entre les fourches et les taxes, je choisis les taxes.’’

Par Per-Ake Westerlund (Suède)

Leur pire cauchemar

‘‘Le capitalisme tient les PDG éveillés la nuit’’, a titré le Financial Times pour résumer la situation. ‘‘Pourquoi les grands capitalistes américains semblent-ils si mal à l’aise aujourd’hui, dix ans après la crise financière mondiale, après avoir vu les marchés boursiers et les bénéfices atteindre de nouveaux sommets et avec un président républicain qui réduit l’imposition des entreprises et allège les réglementations fiscale à l’envi ?’’ a demandé le magazine.

‘‘La crainte est réelle qu’il soit désormais légitime de parler d’idées socialistes, de la gauche (…) et de l’étranglement de l’économie de marché’’, fut l’une des réponses. ‘‘Ce qui les effraie vraiment, ce sont les sondages qui montrent que les jeunes sont de plus en plus à l’aise avec le socialisme comme moyen d’organiser l’économie’’, a répondu Darren Walker de la Fondation Ford.

Patrons et politiciens capitalistes, parmi lesquels Trump, sont préoccupés par l’atmosphère anticapitaliste, mais aussi par le soutien croisant au socialisme. L’hebdomadaire le plus important des capitalistes, The Economist, a publié un article indiquant que 51 % des jeunes de 18 à 29 ans ont une opinion positive du socialisme aux Etats-Unis. En janvier dernier, Trump a déclaré dans son discours annuel sur ‘‘L’état de l’Union’’ que les Etats-Unis ‘‘ne seront jamais un pays socialiste’’. En avril, lors du lancement de sa campagne électorale pour 2020, il a annoncé: ‘‘Nous allons faire la guerre à certains socialistes’’.

La nouvelle atmosphère s’est clairement manifestée lorsque les dirigeants des grandes banques ont été interrogés par les politiciens à la Chambre des représentants. ‘‘Êtes-vous socialiste ou capitaliste’’, a demandé Roger Williams, républicain du Texas, aux dirigeants surpris de Citigroup, Goldman Sachs et d’autres. Les accusés ont vigoureusement défendu le capitalisme, mais il est remarquable que cette question ait été posée.

Des salaires 1000 fois plus élevés

L’atmosphère provenant ‘‘d’en bas’’ résulte de la politique néolibérale et de la crise capitaliste (sociale, environnementale, démocratique, etc.). Pour The Economist, ce sentiment opposé aux inégalités, à la dégradation de l’environnement et au régime antidémocratique de l’élite est grandissant.

Les cadres supérieurs sont au centre du débat. Il y a 40 ans, le dirigeant d’une grande entreprise aux États-Unis gagnait 30 fois plus que le salaire médian d’un employé. Leur salaire est 254 fois plus élevé aujourd’hui ! Dix dirigeants gagnent même 1000 fois plus !

Le capitalisme a survécu à la crise de 2008-09 en creusant de nouveaux déficits extrêmes et en bâtissant de nouvelles montagnes de dettes, en combinaison de mesures d’austérité sauvages contre les travailleurs et leurs familles. Les capitalistes et les grandes entreprises ont été ‘‘stimulés’’ et ont obtenu des profits encore plus juteux qu’auparavant. Les ‘‘faiblesses du système’’ qui devaient être corrigées ont été aggravées. La capacité du système à faire face à une nouvelle s’est détériorée.

La classe ouvrière a été prise par surprise par la crise. Les dirigeants syndicaux se sont révélés totalement incapables d’organiser une lutte efficace. Mais un espace a grandi pour le développement des idées de gauche. Les capitalistes américains sont d’autant plus alarmés qu’ils connaissent le soutien populaire dont jouit Bernie Sander. Lors de la dernière campagne électorale, il a réuni derrière lui plus de suffrages parmi la jeunesse que Trump et Hillary Clinton réunis !

Un vrai programme socialiste

Bernie Sanders se définit socialiste. Il refuse l’argent des grandes entreprises et défend des systèmes gratuits de soins de santé et d’enseignement. Cela a fortement joué pour ce regain d’intérêt envers le socialisme. De plus en plus de politiciens du Parti Démocrate tentent de suivre ses traces, comme Alexandria Ocasio-Cortez. L’organisation DSA (Democratic Socialists of America) s’est très rapidement développée et a également obtenu des élus au conseil municipal de Chicago.

The Economist exhorte les libéraux à s’opposer au socialisme. Pour le magazine, la moindre augmentation de taxe conduira à une fuite des capitaux. Cela illustre les faiblesses de propositions de réformes qui semblent raisonnables. Me très riche trio Bill Gates, Charlie Munger et Warren Buffett est arrivé à la même conclusion dans une récente interview télévisée consacrée au socialisme. Bill Gates a expliqué que les propositions de Sanders et Ocasio-Cortez ne sont pas socialistes, elles représentent un ‘‘capitalisme avec un certain niveau de taxation’’.

L’évolution récente de la Suède – d’un modèle de réformes progressistes à des contre-réformes antisociales – souligne que si le pouvoir capitaliste et la propriété privée des moyens de production ne sont pas renversés pour donner naissance au socialisme démocratique, les capitalistes riposteront par des privatisations, des inégalités accrues et une dégradation du bien-être.

Les nouveaux courants socialistes sont un signe de fraîcheur, mais ils doivent encore aller plus loin. Pour sauver le climat et satisfaire les besoins populaires en termes de logement, de salaires, de soins, d’éducation,… les grandes entreprises et les banques doivent être expropriées et placées sous le contrôle démocratique de la collectivité. Le risque que l’intérêt d’aujourd’hui pour le socialisme conduise à une telle évolution est ce qui effraie le plus les dirigeants des grosses entreprises.

Et en Chine ?

Une couche de jeunes est à la recherche de réponses socialistes pour les défis d’aujourd’hui en Chine également. Le régime de Pékin est au moins aussi inquiet que les patrons américains. Au cours de l’année écoulée, le régime a intensifié sa répression contre les jeunes marxistes, les féministes et les écologistes. Des jeunes sont emprisonnés, des sites Web fermés, des cercles étudiants interdits,…
Après la grève notable de Jasic Technology (Shenzen) en 2018, où les travailleurs réclamaient le droit d’organiser leur syndicat, les travailleurs ont été battus, licenciés et arrêtés. Nombre de leurs soutiens ont été arrêtées. Une cinquantaine d’entre eux sont toujours aux arrêts.

Ils sont qualifiés de maoïstes dans les médias, mais cette description est très superficielle. Ces jeunes se tournent vers le marxisme pour répondre aux inégalités grandissantes et en finir avec les conditions d’esclavage dans les usines chinoises. Aucun d’entre eux ne considère la Chine comme un pays socialiste ou communiste.

Tout comme aux Etats-Unis, la radicalisation en cours n’en est encore qu’à ses débuts. Elle s’amplifiera avec de nouvelles luttes, mais aussi, en Chine, en réaction à la répression et aux ‘‘aveux’’ forcés.

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