[INTERVIEW] De la crise politique à un gouvernement d’austérité
Après un an et demi de crise politique, on dirait bien qu’un gouvernement va quand même finir par être formé. Après les accords communautaires, on a beaucoup discuté du budget et du socio-économique. Arrive-t-on enfin à la fin ce cette crise politique ? Nous en avons discuté avec Anja Deschoemacker, auteur du livre “La question nationale en belgique, une réponse des travailleurs est nécessaire”.
“Ouf, un nouveau gouvernement”, se disent beaucoup de gens. La crise politique touche-t-elle à sa fin ?
‘‘Beaucoup de gens en ont tout simplement marre de toutes ces bagarres de politiciens traditionnels. Ça dure depuis trop longtemps – depuis l’élection de Leterme en 2007. Après quatre ans, beaucoup de gens espèrent que la formation d’un gouvernement signifie que la page de la crise est tournée et que nous pouvons connaître à nouveau la situation qui prévalait auparavant.
‘‘Mais ce n’est qu’une illusion. Le contexte socio-économique a changé. Certains regardent la misère qui progresse en Grèce, et craignent que cela ne soit possible chez nous aussi. De fait, les discussions sur le budget et le plan d’économies ne présagent pas grand-chose de bon. Petit à petit, le ‘Ouf’ cède la place au ‘Ouille’.’’ Qu’est-ce qui est déjà clair avec ce plan d’austérité ?
‘‘La facture qu’on va nous présenter sera de l’ordre de 10 milliards d’euros. Croire que cela pourra passer “sans douleur”, comme le prétend Leterme, est une farce. Les manques sont déjà actuellement énormes dans toutes sortes de secteurs et l’espace pour s’attaquer à ce sous-financement est inexistant. La casse sociale va se poursuivre, plus en profondeur.
‘‘Quand Leterme cite des mesures “sans douleur”, il parle notamment de la limitation de la norme de croissance pour les soins de santé. Concrètement, cela signifie d’augmenter encore les coûts pour les patients, alors qu’ils paient déjà un tiers du coût total. Limiter la norme de croissance, c’est faire abstraction des nécessités présentes.
‘‘Le gouvernement préfèrera plutôt s’attaquer à ces nécessités qu’aux énormes profits du secteur pharmaceutique. Dès qu’on commence à ne fût-ce que suggérer que les grandes entreprises payent elles-aussi quelque chose, elles menacent. Regardez seulement Electrabel qui, à la moindre rumeur de taxe nucléaire, menace de ne plus investir dans notre pays ! Un chantage en bonne et due forme, voilà la norme à présent ; et cela a aussi un effet auprès des partis au pouvoir.
‘‘La seule réponse réelle que nous pouvons donner à tout ça, c’est ce que les syndicats d’ArcelorMittal disent aujourd’hui : nous devons reprendre les affaires en nos mains propres, et nationaliser. On a trouvé 4 milliards d’euros pour racheter Dexia, et 54 milliards en garanties d’État. Mais pour l’emploi à ArcelorMittal, il n’y a plus de moyens ? Si Dexia a bien démontré quelque chose, c’est que de l’argent, il y en a.
‘‘Une remarque à ce propos : une nationalisation ne signifie évidemment pas pour nous que l’État doive reprendre un secteur, l’assainir, pour ensuite aller le refourguer au privé pour une bouchée de pain. Nous sommes en faveur d’une nationalisation qui permette de satisfaire les besoins de la majorité de la population, et cette population doit avoir son mot à dire. C’est bien différent de toutes ces négociations en coulisses entre managers et politiciens.
‘‘Pour sauver les banquiers, on a les moyens, mais pas pour nos problèmes quotidiens. Au moment où cheminots comme passagers protestent contre la poursuite de la démolition de nos chemins de fer, où il est clair qu’on manque de personnel et de moyens pour assurer un service convenable, voilà qu’arrive l’ex-chef du rail Karel Vinck, expliquant en rigolant qu’il faudrait bien virer 5000 cheminots. Pour lui, la défense du personnel, ça n’est plus d’actualité. En fait, il dit que le capitalisme ne peut pas se permettre des services publics décents. Nous devons poser la question: pouvons-nous encore nous permettre ce système ?’’
Mais la crise communautaire est tout de même résolue, non ? Ce n’est pas déjà un premier pas ?
‘‘Un premier pas ? Quel premier pas? La bourgeoisie a trouvé une formule pour pouvoir régner et a conclu un accord sur la manière de nous présenter la facture de la crise. Comme nous l’avions déjà dit en 2007, cela sera avec une tripartite classique des partis établis, entièrement prête à servir la bourgeoisie à tous niveaux. Leur espoir que la NVA suive, entre autres parce qu’elle est en faveur d’une politique dure sur le plan économique, est complètement balayé.
‘‘Malgré les accords autour de la question communautaire, toutes les contradictions restent encore présentes. La crise communautaire n’est pas terminée. La NVA va poursuivre ses provocations et, maintenant que le le FDF a quitté le MR, il a les mains libres pour continuer son agitation. La circulaire Peeters est toujours présente pour assurer suffisamment de complications et après les élections communales de 2012, la question de la non-nomination des bourgmestres de la périphérie bruxelloise ne sera toujours pas réglée.
‘‘La seule chose qui puisse stopper l’escalade des contradictions communautaires est une résistance massive et active de la part du mouvement ouvrier contre l’austérité. Une véritable résistance active ferait perdre la main à la NVA et lui enlèverait enfin la possibilité de déterminer à elle seule l’agenda politique. Cela ferait, en outre, passer au premier plan la solidarité naturelle entre les travailleurs à travers tout le pays. Au final, l’issue de la crise communautaire sera déterminée par la position du mouvement ouvrier.’’
Est-ce que tu t’attends à un développement de la lutte dans notre pays ?
‘‘Bien que la Belgique soit, il est vrai, un pays particulier de par son complexe édifice communautaire, elle n’est pas foncièrement différente du reste de l’Europe. Partout, ont lieu des mouvements massifs contre la politique néolibérale en cours depuis 30 ans. Cette politique a fait en sorte que 99% de la population payent pour les profits de moins de 1% de cette même population. La coupe est pleine, dans notre pays aussi.
‘‘Il y a toute une série d’éléments qui peuvent être la goutte qui fera déborder le vase. Dexia ou ArcelorMittal par exemple. L’économiste Étienne de Callataÿ a déclaré que la reprise de Dexia par le gouvernement rendra la tâche plus difficile au gouvernement pour faire avaler la facture de l’austérité toute entière aux travailleurs, aux chômeurs, etc. Cela démontre bien où se trouvent les priorités des dirigeants politiques : pour les actionnaires et les banques, on a les moyens, pas pour le reste. ‘‘Il est évident que nous ne pouvons pas prédire sur quel thème exact l’explosion sociale se produira, mais le mécontentement s’accumule de plus en plus. Autrefois, ce mécontentement s’exprimait souvent de manière passive avec, par exemple, un puissant vote anti-establishment. C’est ce qui explique les progrès rapides du Vlaams Belang, puis de la LDD et enfin de la NVA en Flandre. C’est une expression du mécontentement envers les partis établis, tant parmi les simples travailleurs que parmi les non-salariés, tels que les indépendants et les professions libérales. Le nombre record de faillites annonce des catastrophes sociales.
‘‘Diverses couches sociales ont dit adieu aux partis traditionnels. En Flandre, les trois partis traditionnels ne parviennent plus à former de majorité. Le dégoût envers les partis traditionnels est logique : ils n’offrent aucune solution. Tant que le mouvement ouvrier ne construit pas sa propre expression politique, il restera un espace pour la formation de partis opportunistes. Il faut passer d’un mécontentement passif à une résistance active sur le plan politique également.’’