Économie mondiale : la crainte d’une nouvelle récession

2018 a marqué les dix ans de l’effondrement de la banque Lehman Brothers qui a plongé l’économie mondiale dans la récession la plus profonde depuis les années 1930. Le virus financier s’est ensuite très rapidement propagé, paralysant la production et le commerce. Seule la prompte action coordonnée de la part des capitalistes et politiciens du monde entier a permis d’éviter une dépression similaire à celle des années 1930.

Par Robin Clapp, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)

Les éléments déclencheurs de cette crise étaient l’endettement excessif des États, des entreprises et des ménages, la spéculation déraissonnée sur le marché des hypothèques immobilières ‘‘subprimes’’ aux États-Unis et l’effondrement du marché international des dérivés, largement dérégulé, décrit par les économistes comme une ‘‘arme financière de destruction massive’’.

La panique s’est répandue à travers les frontières, à mesure que les banques européennes se trouvaient tout à coup à cours de dollars pour rembourser leurs emprunts souscrits en dollars, ce qui a forcé la Banque fédérale des États-Unis à injecter 11.000 milliards de dollars de liquidités pour maintenir le système à flot. Toutefois, même cette somme était minuscule en comparaison du plan de relance mis en place par la Chine.

Le retour de la crise

La rencontre annuelle des milliardaires du monde entier s’est tenue à Davos en janvier dernier. Il y avait là très peu d’optimisme, tant s’accumulent les problèmes géopolitiques, économiques et sociaux, qui s’élèvent comme des spectres qui viennent les hanter.

Les failles grandissantes du monde capitaliste étaient on ne peut mieux illustrées par l’absence flagrante de Donald Trump, d’Emmanuel Macron et de Theresa May, tous bloqués chez eux du fait de la situation explosive dans leurs pays respectifs (paralysie de l’administration, mouvement des Gilets jaunes, négociation du Brexit).

Davos a révélé les inquiétudes des dirigeants du monde. Ils sont à présent forcés de reconnaitre les signes évidents d’un ralentissement de la croissance économique mondiale. Le danger que représente la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, la baisse de la croissance chinoise (qui a atteint son point le plus bas en 30 ans), le bouillonnement d’une nouvelle crise de la dette, la récession en Italie et la possibilité d’un Brexit sans accord auront tous des conséquences extrêmement graves et incertaines pour le système au niveau mondial.

En Occident, le coût total de la recapitalisation des banques en faillite et de l’effacement des dettes a dépassé les 14.000 milliards de dollars. En ramenant les taux d’intérêt à un niveau historiquement bas et en appliquant un ‘‘assouplissement quantitatif’’ qui a permis aux banques centrales d’acheter des titres sur le marché afin d’accroitre la quantité d’argent en circulation. C’est ainsi qu’ils ont évité, de justesse, l’effondrement complet du système économique.

Ces mesures d’urgence n’ont cependant pas permis une reprise durable. Au lieu de ça, elles ont contribué à un gonflement des prix des actifs ; dans de nombreux pays, la dette des consommateurs a de nouveau très vite atteint son niveau d’avant 2008. Les causes réelles du dernier crash ont été ignorées. La valeur totale de la dette mondiale (tant pour le public que pour le privé) a maintenant atteint le record historique de 182.000 milliards de dollars.

En 2018, on a vu à deux reprises des mouvements de panique à Wall Street (la bourse de New York), suscités par l’instabilité de la croissance et l’impact qu’aura le durcissement de la politique monétaire des États-Unis. En février 2018, 4.000 millions de dollars ont été effacés des marchés boursiers mondiaux en à peine deux jours. La reprise boursière qui s’est ensuivie aux États-Unis a été spectaculaire ; mais entre octobre 2018 et janvier 2019, on a assisté à une nouvelle série de baisses qui ont fait s’évaporer 20 % de la ‘‘valeur’’ du marché des actions.

Malgré les messages réconfortants de la part des grandes banques, qui affirment avoir nettoyé leurs comptes, de troublants parallèles refont surface. Les plus grandes banques du monde sont devenues encore plus grandes : le pourcentage d’actifs détenus par les cinq plus grandes banques n’a fait qu’augmenter, ce qui suscite des craintes du fait que ces banques restent trop importantes pour pouvoir tomber en cas de nouvelle crise.

En février de l’an passé, Chris Cole, directeur d’un fonds spéculatif états-unien, a décidé de quitter son travail qui consiste à brasser des millions issus de couvertures financières, en faisant ce commentaire cynique : « Le système tout entier est comme un serpent qui mange sa propre queue. Nous sommes sur le point de connaitre une crise financière à grande échelle, de même ampleur que la dernière, si pas pire. »

Un autre signe de l’épuisement de la qualité du crédit sur les marchés internationaux est la détérioration des émissions obligataires médianes. Depuis 1980, celles-ci sont passées de ‘‘A’’ à ‘‘BBB’’, soit un cran au-dessus du statut ‘‘à risque’’.

Le déclenchement de guerres commerciales

La présidence Trump a ajouté un nouvel élément d’imprévisibilité dans une situation par ailleurs déjà explosive. Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine restent non résolues, et pourraient encore empirer en mars. Trump vitupère contre la Chine en l’accusant de cyber-espionnage et de vol de propriétés intellectuelles états-uniennes.

Bien que les divergences entre les États-Unis, le Mexique et le Canada quant à l’Accord de libre-échange nord-américain se soient un peu calmées, l’Union européenne a été frappée en mars dernier par une hausse de 25 % des taxes douanières sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium. Elle a répliqué en juin par une hausse de ses propres taxes sur les produits états-uniens.

Ces mesures ouvertement protectionnistes compliquent une situation déjà très tendue du point de vue des relations inter-impérialistes. Ces taxes augmentent le coût des importations, et donc les frais pour les entreprises, ce qui nuit aux profits. De plus, la réduction de la croissance mondiale a un effet contraire sur les exportations des États-Unis.

Trump tonne contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’il soupçonne d’être hostile aux intérêts des États-Unis. Cette organisation a été créée il y a 20 ans par les capitalistes qui, alors, croyaient étaient convaincus que le processus de mondialisation était irréversible. Dans un entretien avec Bloomberg en septembre, il menaçait : ‘‘S’ils ne se ravisent pas, je me retire de leur organisation’’.

Les tensions commerciales internationales actuelles soulignent un revirement de politique qui a commencé en 2008, entretenu par les politiciens de droite populiste qui s’en prennent, de façon démagogique, à la ‘‘mondialisation’’ et ses institutions, comme l’Union européenne, en exigeant un retour à la protection de leurs ‘‘intérêts nationaux’’.

Dans son édition du 24 janvier, la revue The Economist décrit cette période de repli partiel vers le protectionnisme comme celle de la ‘‘mondialisation ralentie’’, faisant remarquer que la valeur mondiale des investissements transfrontaliers par les entreprises multinationales est tombée de 20 % rien qu’en 2018.

Le commerce mondial connait un ralentissement qui, avec la remise en cause des accords internationaux par les États-Unis, réduit d’autant les chances d’une réaction coordonnée à la future crise économique.

L’économie des États-Unis

La hausse des incertitudes est également illustrée par la rupture à peine camouflée entre Trump et la Banque centrale des États-Unis sur la question des taux d’intérêt et de la durabilité de la reprise.

L’économie états-unienne semble robuste, avec une croissance de 4,1 % au dernier trimestre de 2018. Pourtant, le taux de croissance moyen dans la phase actuelle de ‘reprise’’ n’a été que de 2,2 %. On est très loin des 4,9 % par an en moyenne pendant les années 1960, ou même des 3,6 % par an pendant les années 1990. Cette ‘‘reprise’’ est le premier cycle de croissance depuis 1945 pendant lequel il n’y a pas eu au moins une année à plus de 3 %.

Depuis 2014, le dollar a connu une hausse de sa valeur de près de 25 %, du fait de la bonne performance de l’économie états-unienne et de la hausse des taux d’intérêt. Cette revalorisation du dollar a fortement endommagé les économies des pays en développement, qui ont vu les dollars abandonner leur territoire pour partir profiter des taux d’intérêt supérieurs aux États-Unis. La Turquie et l’Argentine ont particulièrement souffert de ce processus.

Trump a diminué les taxes sur les grandes entreprises de 35 % à 21 %. Mais de nombreuses entreprises états-uniennes ont utilisé cette hausse de leurs profits non pour investir, mais pour racheter leurs propres actions et mettre à l’abri d’immenses piles d’argent. Ceci indique un manque de confiance dans la profitabilité sur le long terme des investissements dans l’industrie.

Maintenant que la Banque fédérale des États-Unis revient sur sa politique d’assouplissement quantitatif par le rachat des bons d’État, le pays est maintenant confronté à une politique de resserrement quantitatif. L’assouplissement quantitatif avait pour but de soutenir la croissance des valeurs des actifs, des actions et de l’immobilier. Le resserrement quantitatif a l’objectif contraire.

Certains indicateurs financiers des États-Unis commencent à clignoter en rouge. De nombreux économistes sont à présent convaincus qu’une correction du marché en profondeur pointe à l’horizon. Cette correction pourrait provenir du secteur financier, déclenchée peut-être cette fois par le désarroi sur le marché des fonds négociés en bourse, des produits financiers qui offrent une diversification des risques.

Dans les maisons de commerce dirigées par des algorithmes capables de faire monter de 10 % la valeur des bons du Trésor états-unien en quelques minutes, ces instruments demeurent non testés et susceptibles aux effets des vagues de ventes à grande échelle causées par les vents de panique.

Trump pense pouvoir remporter un second mandat du fait de la vigueur de l’économie. Mais si la récession devait à nouveau frapper, il aura certainement à lutter pour pouvoir être réélu.

Le mois passé, le géant Apple a connu des pertes – ce pourrait être là aussi un signe avant-coureur de la crise à venir. Et lorsque le secrétaire au Trésor des États-Unis, Steve Mnuchin, a déclaré sans prévenir en décembre que ‘‘Les banques sont suffisamment pourvues en liquidités’’, cela a causé une nouvelle panique sur les marchés.

Le syndrome chinois

Le ralentissement de la Chine aussi suscite de nouvelles tensions. La Chine produit 16 % du PIB mondial aujourd’hui, contre 6 % en 2018. Mais dans la même période, elle a vu son taux d’endettement passer de 150 % de son PIB à 300 %.

La hausse des taxes douanières aux États-Unis ont infligé un rude coup à l’économie chinoise. Et les États-Unis menacent de nouvelles hausses de taxe pour un montant total de 300 milliards de dollars ce mois-ci au cas où Beijing refuserait de signer certains accords. La Chine est extrêmement vulnérable à une guerre commerciale ouverte.

Les tensions sociales augmentent aussi : l’année 2018 a connu plus de 1700 mouvements de grèves dans le pays, dont la majorité était liés aux vagues de licenciements dans les entreprises poussées à la faillite par la dette.

Bien qu’il soit impossible de pointer du doigt la cause immédiate ou le moment précis de la prochaine récession, tout comme il est impossible de définir à l’avance sa gravité, il semble bien que cette fois-ci, il sera bien plus difficile cette fois pour les gouvernements capitalistes du monde de parvenir à un plan coordonné et rapide pour y faire face, vu la division croissante entre eux.

Perspectives

On pourrait voir un effondrement boursier, une crise de la dette déclenchée par la hausse des taux d’intérêt (surtout dans les pays en développement), des faillites de banques qui entraineraient une crise financière, ou un choc pétrolier découlant des ingérences des États-Unis dans la politique iranienne.

Après 2008, les ministères des Finances et les banques centrales avaient réduit leurs taux directeurs à des niveaux historiquement bas et surchargé l’économie mondiale par l’assouplissement quantitatif. Mais de ce fait, aujourd’hui, leur capacité d’intervention financière est complètement épuisée. Cela signifie que la prochaine récession ou le prochain crash sera bien plus lourd de conséquences que ce que l’on a connu.

À toutes ces failles structurelles du capitalisme, s’ajoute le rapport bouleversant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui avertit que le monde n’a plus que 12 ans pour prendre les mesures nécessaires afin d’éviter une catastrophe à l’échelle planétaire.

Lorsque la crise a frappé en 2008, la classe prolétaire était trop abasourdie et mal préparée pour pouvoir riposter. Elle a été dupée, trahie et abandonnée par les partis sociaux-démocrates qui adhéraient à l’idée de l’infaillibilité du marché. Les trahisons comme en Grèce et ailleurs ont eu pour conséquence que le capitalisme a fini par être renfloué, à nos dépens.

La prochaine crise sera différente. Partout dans le monde, les prolétaires, les travailleurs et les jeunes sont en train de se radicaliser. Ils seront plus à même de riposter et de construire de nouveaux partis prolétariens de masse capables de mettre un terme au règne du capital, plutôt que de s’y soumettre.

Le programme du marxisme sera repris à l’échelle internationale afin d’armer la nouvelle génération des armes politiques dont elle a besoin pour anéantir la dictature du marché et la reléguer à jamais aux poubelles de l’histoire.

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