Le déclin des hôpitaux publics et du statut de fonctionnaire est-il irréversible ?

Dans le secteur social/non-marchand, on parle souvent de la commercialisation du secteur des hôpitaux publics, mais on entend moins souvent parler du déclin de ces hôpitaux, également lié à la “réforme” du statut de fonctionnaire. La synergie des secteurs privés et publics dans les hôpitaux inquiète les syndicats, car cela s’accompagne souvent de la casse des acquis du personnel.

Analyse d’Hypertension, blog d’action du secteur social/non-marchand

La mort lente de nos hôpitaux

Ces trente dernières années, le paysage hospitalier a drastiquement changé. Les économies d’échelle ont réduit la sympathique clinique de quartier à un beau souvenir. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1980, on comptait encore 521 hôpitaux en Belgique, avec un total de 92.436 lits. En 2000, le nombre d’hôpitaux avait été réduit de moitié (223) et plus de 20.000 lits avaient disparu (il n’en restait que 72.304). En 2008, le nombre d’hôpitaux est encore passé à 207, pour 70.084 lits. Par contre, pour être complet, il faut préciser que le nombre de lits dans les maisons de repos a plus que quadruplé (de 12.203 en 1990 à 129.775 en 2008). (1)

Les grands groupes hospitaliers grignotent comme des requins immobiliers les petites cliniques et se partagent le butin (bâtiments, lits, personnel). On trouve les exemples les plus frappants à Bruxelles, avec entre autres le défunt Hôpital français et le démantèlement de St-Étienne par l’hôpital St-Jean. Les lits d’hôpitaux qui en ont été “récupérés” ont déménagé de Bruxelles vers la Wallonie et la Flandre en échange d’une forte somme.

Les hôpitaux privés, essentiellement catholiques, ont entre temps abandonné leur dernière touche caritative. Les nouveaux termes à la mode sont aujourd’hui “conformité au marché”, “production”, “concurrence”. Parallèlement, les structures strictement publiques évoluent vers des hôpitaux hybrides, vers des partenariats avec le privé par des processus ‘‘d’autonomisation’’ ou des fusions pures et simples. Une conséquence de cette évolution est le commerce bien lucratif des lits d’hôpitaux.

En Flandre, la situation a viré à la caricature : il ne reste plus qu’un seul hôpital strictement public : l’hôpital communal de Roeselare. Il existe 22 hôpitaux (soit 22.600 employés et 11.300 lits) avec un partenaire public au conseil d’administration (généralement le CPAS). De ces 22.600 employés, seule une minorité (qui tend à diminuer) de 8.000 personnes bénéficie d’un contrat statutaire ou d’une nomination ! Ce processus de privatisation en douce peut être comparé à un jeu de dominos. Les pièces tombent une à une, et les employeurs ont plus de facilités à imposer leurs vues concernant les conditions de travail.

Comme la majorité des personnes nominées dans les hôpitaux publics flamands a plus de 50 ans, il est clair que si cette évolution n’est pas stoppée, il n’y aura plus de personnel statutaire d’ici une dizaine d’années. Dans le langage des employeurs, on dit : “Les nominés, à la porte”.

Il y a toutefois un village d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours : l’hôpital universitaire de Gand. En 2008, les syndicats y sont parvenus à arracher la statutarisation automatique du personnel. Le 1 janvier 2009, il y avait là 4.143 statutaires et 798 contractuels (plus de la moitié du nombre de statutaires de toute la Flandre y sont donc rassemblés).

Tant les employeurs que les syndicats demandent une harmonisation des conditions de travail pour les employés du privé et du public. Les employeurs veulent casser les conditions d’embauche du secteur public et les rendre semblables au privé, tandis que les syndicats défendent une harmonisation à la hausse. La lutte des employés du secteur public pour le maintien du statut et d’autres avantages est en ce sens une lutte pour les employés du privé.

L’unité d’action des syndicats dans le public et dans le privé – plus que jamais nécessaire !

Nous constatons hélas que la communication entre les syndicats des hôpitaux publics et privés est lamentable. A la FGTB, par exemple, il y a d’un côté la CGSP et de l’autre le SETCa et la Centrale générale. Lors des dernières mobilisations des secteurs fédéraux des soins de santé (la ‘‘colère blanche’’), il fallait chercher à la loupe les délégations de la CGSP. À la CSC, il semble que la communication entre les centrales du privé et du public fonctionne un peu plus correctement.

Comme l’accord budgétaire pluriannuel du secteur vaut tant pour le public que pour le privé, lutter en commun est crucial. Avec des initiatives comme le réseau Hypertension du côté francophone et Polslag en Flandre, la concertation existe entre militants de base du privé et du public. Les différences entre hôpitaux “publics” et privés ne s’expriment constamment plus qu’au niveau des points et des virgules, les militants des deux secteurs peuvent apprendre beaucoup les uns des autres. Les employeurs battent le tambour de guerre communautaire…

En mars 2011, l’administrateur responsable d’ICURO (la coupole flamande des hôpitaux à partenaires publics) a annoncé des nouvelles de mauvais augure. De Standaard titrait: ‘‘Le boom des pensions dans les hôpitaux publics’’. Cette bombe temporelle s’élèverait à 2,7 milliards d’euros pour le versement des pensions dans les 25 années à venir. La baisse dramatique du nombre de statutaires a pour conséquence que de moins en moins d’argent rentre dans la caisse des autorités publiques locales, alors qu’il y a encore beaucoup de pensions à payer.

L’ICURO et Zorgnet sont aussi fâchés contre la ministre Onkelinx parce que 90% du budget prévu dans le mini-accord de 2011 des soins de santé fédéraux pour pouvoir maintenir à niveau, voire augmenter, le nombre de nominations, est destiné à la Wallonie. Il est cependant logique que si l’on refuse de faire usage des nominations, on ne reçoit pas non plus d’argent pour ce faire… Il est clair que nous devons tenir compte du fait que les soins de santé publics sont mieux représentés en Wallonie (42 privés contre 25 publics) et à Bruxelles, tandis qu’en Flandre, on voit une prédominance absolue des hôpitaux privés (90 privés contre 22 “publics”).

La solution qui se trouve pourtant à portée de main et qui est défendue par les syndicats, c’est-à-dire de nominer de nouveau un assez grand nombre du personnel de sorte que la caisse de pensions engrange à nouveau assez de revenus, semble totalement hors de question pour les employeurs. C’est un choix purement idéologique.

(1) Source : Health Systems in Transition, volume 12 nr 5 2010, KCE

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