Extrême droite : l’avertissement brésilien.

La riposte des travailleurs et de la jeunesse doit s’organiser d’urgence

Pour beaucoup de gens, le choc fut terrible : le Brésil, la 9e économie au monde, va être présidée dès ce premier janvier par Jair Bolsonaro, un populiste d’extrême droite nostagique de la dictature brésilienne (1964-1985) qui, selon lui, “avait bien fait de torturer, mais n’avait pas assez tué”. Sa victoire est un sinistre présage pour les femmes, les LGBTQI+, les Afro-Brésiliens, les peuples indigènes, les activistes écologiques, les travailleurs, les syndicalistes et tous les dissidents politiques qu’il jure de réduire au silence par la force.

Par Nicolas Croes

Lors de son dernier rassemblement électoral, il n’a pas hésité à dire qu’il allait “éliminer l’opposition, le socialisme et le communisme”, une menace ouverte contre les syndicats et les organisations de gauche. Son fils, le député Eduardo Bolsonaro, a déclaré en commentant les propositions de loi qu’il soumettra qu’il n’hésitera pas à criminaliser les mouvements sociaux comme le Mouvement des paysans sans terre ou le Mouvement des sans toits et interdire des partis politiques d’opposition ‘‘si nécessaire’’. ‘‘L’activisme de la société civile est en passe d’être considéré comme une forme de terrorisme’’, constate la professeure Liz Rejane Issberner de Rio de Janeiro.

Le fils de Bolsonaro a également exprimé son intention de créer une version de droite du Forum Social Mondial, qui s’appellerait le Forum de San Pablo, afin d’y inviter le premier ministre italien Matteo Salvini ou encore l’ancien conseiller de Donald Trump Steve Bannon. Même sans cela, il est certain que la victoire de Bolsonaro encouragera les forces d’extrême droite à travers le continent et au-delà.

Alors que la forêt amazonienne, le poumon vert de la planète, souffre déjà de décennies de dévastations – elle absorbe aujourd’hui un milliard de tonnes de carbone de moins que dans les années ‘90 – ce climato-sceptique a promis de privatiser des pans entiers de la forêt amazonienne et d’y permettre bien plus largement l’exploitation minière et agricole. Il désire aussi y installer de nouvelles centrales hydrauliques ou nucléaires.

Dans son programme de dérégulation pro-entreprises et de réductions de budgets, Bolsonaro a aussi promis de poursuivre la réduction des moyens de l’agence gouvernementale dédiée à la protection des peuples et terres indigènes.

L’échec du PT

Il est impossible de comprendre la victoire de Bolsonaro sans la considérer comme le produit de l’échec des gouvernements ‘‘de gauche’’. Arrivé au pouvoir en 2003 avec la victoire de Lula, le Parti des travailleurs (PT) s’est retrouvé impliqué dans la corruption commune à tous les partis capitalistes du Brésil et a refusé d’appliquer les politiques de rupture anticapitalistes et socialistes qui figuraient dans son programme à sa création, à la fin de la dictature.

Entre 2003 et 2008, le pays a bénéficié du boom économique commun à l’ensemble de l’Amérique latine. Le Brésil figurait en bonne place parmi les économies émergentes les plus fortes au monde et le taux de pauvreté a été réduit. Des mesures sociales ont été appliquées et, mêmes si elles étaient très limitées, elles accréditaient l’idée d’un ‘‘capitalisme à visage humain’’. Mais, aujourd’hui, ces années dorées sont loin derrière. Après une croissance basée notamment sur la consommation, la facilité de crédits pour les travailleurs et l’exportation de matières premières, le système est entré en crise en 2013.

La classe dominante a exigé des mesures structurelles d’austérité. Le PT s’est alors retrouvé à la tête d’un agenda d’attaques contre les travailleurs comportant notamment des contre-réformes du code du travail et du système des pensions. On compte à nouveau les sans-emplois par millions aujourd’hui. Le Brésil fait face à sa plus profonde récession depuis un siècle.

Un coup d’Etat larvé depuis 2016

Les travailleurs et les masses ne sont pas restés passifs. Les mobilisations et les grèves se sont succédées, tout particulièrement en 2014 (avec notamment les protestations liées à l’organisation de la coupe du monde de football) et en 2015 (notamment sur le thème des transports en commun). La classe dominante commençait à songer avec nostalgie au régime militaire de 1964-85 et aux possibilités qu’offrirait un régime plus autoritaire.

Ces dernières années, un véritable coup d’Etat politique en ‘‘slow-motion’’ a eu lieu avec tout d’abord la destitution de la présidente du PT Dilma Rousseff en 2016, puis avec l’emprisonnement de l’ancien président et fondateur du PT Lula.

Parallèlement, les conséquences sociales de la dégradation économique se sont faites sentir avec une horrible croissance de la violence urbaine. Rien que l’année dernière, près de 70.000 personnes ont été tuées au Brésil. Au début du mois de février, le gouvernement Temer (le successeur de Dilma Roussef, membre du parti de droite PMDB) a décrété une intervention fédérale dans l’État de Rio de Janeiro et y a placé un général de l’armée en charge de la sécurité. L’armée a également été envoyée réprimer des manifestants en plusieurs endroits du pays.

Même s’il n’était pas leur premier choix, les partisans du grand capital ont d’abord toléré puis soutenu directement Bolsonaro. Leur mission est maintenant de contenir une partie de ses excès, mais en même temps de profiter de sa ‘‘poigne de fer’’ pour appliquer des attaques néolibérales dures et radicales. Les capitalistes savent que la majorité des électeurs de Bolsonaro n’ont pas voté pour lui en s’attendant à une détérioration dramatique de leurs conditions de vie et que le mécontentement viendra tôt ou tard.

Pour la gauche, la bataille est engagée

Ce gouvernement est très dangereux, et il a du sang sur les mains avant-même d’être entré en fonction, mais il ne dispose pas d’une base sociale solide pour appliquer ses mesures ou parvenir à instaurer un régime autoritaire similaire à celui de la dernière junte militaire. Le point fondamental aujourd’hui est d’organiser la résistance pour défendre chaque droit démocratique et repousser toutes les attaques lancées par les autorités ou les groupes d’extrême droite contre les travailleurs et tous les opprimés.

La victoire de Bolsonaro constitue une défaite pour le mouvement ouvrier qui aggrave l’équilibre social et politique des forces du point de vue des opprimés. Cependant, ce scénario est encore en cours de définition et sera déterminé dans les semaines à venir.

Notre organisation-sœur au Brésil (LSR : Liberté, socialisme et révolution) a lancé un appel en faveur de la création de comités d’autodéfense pour protéger les travailleurs, les activistes, les LGBTQI+, etc. des violences et des assassinats. A partir de ces comités, la résistance pourra ensuite être organisée contre la politique austéritaire qui sera brutalement appliquée par Bolsonaro. Au côté d’un large front uni de résistance par l’action, il faudra aussi développer une force politique large, autour du PSOL (Parti socialisme et liberté, créé en 2004 par une scission de l’aile gauche du PT) et des mouvements sociaux, capable de canaliser la colère des masses contre la misère et la corruption vers le renversement du capitalisme et l’instauration d’une démocratie socialiste.

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