Guerre, révolution, fascisme. L’actualité de la Révolution allemande

Si beaucoup d’attention est consacrée cette année à la Première Guerre mondiale, les circonstances de sa fin semblent moins intéressantes aux yeux des commentateurs traditionnels. La Révolution allemande est à peine connue, alors que le processus de révolution et de contre-révolution en Allemagne a tracé les contours du XXe siècle. Nous estimons que jeter un regard sur cette période révolutionnaire reste d’une grande actualité. Elle a démontré que la révolution était bien possible dans un pays capitaliste développé. La Révolution allemande est née de la fatigue de la guerre et a précipité la fin de ce conflit mondial. A l’heure où tant de guerres font rage, savoir comment y mettre un terme est d’une actualité brûlante. L’échec de la révolution a permis au capitalisme de perdurer et de maintenir la Russie soviétique isolée et sous l’emprise progressive de la bureaucratie stalinienne. Tout cela a ouvert la voie au fascisme et à la Seconde Guerre mondiale. Il est aujourd’hui souvent fait référence aux années ‘30. Pour pouvoir entrer plus en détail sur ce sujet, la compréhension de la Révolution allemande est essentielle.

Guerre et révolution

Le 11 novembre, nous célébrerons le 100e anniversaire de la fin du massacre, de la destruction et des misères de la Première Guerre mondiale. L’enthousiasme initial pour la guerre est vite devenu colère, puis révolte. La chaîne s’est d’abord rompue à son maillon le plus faible : la Russie. Mais le processus révolutionnaire ne s’y est pas limité. En Allemagne, les protestations et les grèves se sont succédé à partir de janvier 1918. La guerre a engendré la révolution.

Comme dans tout mouvement révolutionnaire, de nouveaux outils sont apparus pour organiser la lutte : les conseils d’ouvriers et de soldats. Il y en eut même à Bruxelles, alors occupée ! Sous la pression du mouvement révolutionnaire, le SPD social-démocrate a été obligé de lâcher l’Empereur, de proclamer la république et de mettre en œuvre une série de réformes sociales. Le même parti qui avait voté en faveur des crédits de guerre en 1914 – mettant ainsi fin à la Deuxième Internationale – a dû déclarer l’armistice le 11 novembre. La révolution a rendu impossible de poursuivre la guerre. Beaucoup de travailleurs et de soldats considéraient encore le SPD comme leur parti et espéraient qu’il serait l’outil de l’avènement du socialisme. La direction du SPD avait toutefois un tout autre projet : contrer une nouvelle explosion révolutionnaire par en bas avec des réformes menées par en haut. La faiblesse des forces révolutionnaires organisées a permis au SPD de s’en tirer à bon compte, même si le parti a dû faire beaucoup d’efforts pour freiner de nouveaux mouvements. C’est dans ce contexte que Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, les pionniers révolutionnaires en Allemagne, furent assassinés en janvier 1919.

Dans les guerres, la perspective et la possibilité de la révolution et des mouvements de masse ne sont pas souvent perçues. Qui associe aujourd’hui la Syrie ou l’Afghanistan à la possibilité d’un mouvement révolutionnaire ? La guerre ne pose pas automatiquement la question de la révolution, mais elle rend le choix plus clair : la barbarie de la guerre ou l’alternative socialiste construite sur base de l’action des masses. La vague de soulèvements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en 2011 en a illustré le potentiel.

L’aspiration au changement se développe partout dans le monde. Aux États-Unis, le socialisme est, chez les jeunes, plus populaire que le capitalisme. Comment rompre avec l’exploitation, l’oppression et donc le capitalisme ? La Révolution allemande offre d’importantes leçons concernant la nécessité de l’unité dans l’action, d’une clarté programmatique et de l’audace.

Révolution et contre-révolution

Le processus révolutionnaire entre 1918 et 1923 a connu différentes phases au cours desquelles un changement de société socialiste était possible. Ce potentiel n’a pas été saisi, ce qui a permis au capitalisme de perdurer et de condamner à l’isolement la jeune république soviétique, ce qui a permis la contre-révolution bureaucratique stalinienne en Russie.

A la suite de la répression de 1919, la droite a tenté de passer à l’offensive avec un coup d’État mené par Wolfgang Kapp. Mais le ‘‘fouet de la contre-révolution’’ a réveillé le potentiel révolutionnaire. Une grève générale de 12 millions de personnes a paralysé le pays. Les protagonistes du coup d’État n’ont même pas trouvé d’imprimerie pour annoncer à la population leur prise du pouvoir ! Ce mouvement de grève, de même que celui de 1923, ouvrait la possibilité de renverser le capitalisme. Mais les dirigeants du Parti communiste (KPD) n’ont pas vu cette vague, ou ne l’ont perçue que lorsque celle-ci avait échoué.

L’absence d’une direction révolutionnaire suffisamment développée, aggravée par l’assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, a été fatale à la Révolution allemande. En Russie, l’existence du Parti bolchévique et de sa direction – avec Lénine, Trotsky et d’autres – a constitué la plus grande différence avec l’Allemagne, où le KPD était politiquement inexpérimenté.

La construction d’un parti révolutionnaire est un travail de longue haleine nécessitant une grande préparation durant laquelle des expériences collectives sont acquises et une direction peut se former en tant qu’équipe. Un doigt peut facilement être cassé ; si les doigts s’unissent pour former un poing, cela devient plus difficile. Mais ce n’est pas suffisant pour casser une planche à mains nues. Un exercice intense et prolongé ainsi qu’une grande concentration permettent aux athlètes de briser des planches et même des briques avec leurs mains. La lutte de classe n’est pas différente : elle exige une expérience collective, de la pratique, la connaissance de ses propres forces et faiblesses, de la volonté et de la concentration pour briser le mur du capitalisme avec le poing de la classe ouvrière.

La défaite en Allemagne a posé les bases du fascisme et de la Seconde Guerre mondiale. Au début des années 1920, le fascisme n’avait aucune chance. Une tentative de putsch en Bavière s’était d’ailleurs terminée par un fiasco pour Hitler. Après la récession de 1929 – face à une direction du SPD très complaisante alors que celle du KPD, devenue stalinienne, considérait le SPD ‘‘social-fasciste’’ comme un plus grand danger que les nazis – il est devenu possible pour le parti nazi de se transformer en une organisation de masse capable de mobiliser des dizaines de milliers de membres. La non-réalisation de l’espoir révolutionnaire a ouvert la voie au désespoir contre-révolutionnaire. Aujourd’hui, comme dans les années 1930, nous vivons une crise économique, avec l’instabilité et les troubles politiques et sociaux qui l’accompagnent. Mais nous ne sortons pas d’une période de défaites fondamentales du mouvement ouvrier ; au contraire, nous avons précédemment plutôt vécu une période de contre-révolution néolibérale sur base de laquelle des luttes se sont développées et où la recherche d’une alternative au capitalisme a été lancée. C’est dans cette perspective que nous devons tirer les leçons de la Révolution allemande.

 

Moments-clés :

  • 4 août 1914 : Début de la Première Guerre mondiale.
  • 1916 : Les opposants à la guerre sont expulsés de la fraction parlementaire du SPD et forment un an plus tard l’USPD (Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne).
  • Janvier 1918 : Vague de grèves à travers l’Allemagne sous le slogan ‘Paix, liberté et pain’.
  • Novembre 1918 : Après une mutinerie dans la base navale de Kiel, la protestation se propage dans tout le pays. Des conseils sont mis en place dans de nombreuses villes. La direction du SPD est obligée de proclamer la république. Le mouvement révolution exerce une pression pour la paix et ainsi mettre fin à la Première Guerre mondiale.
  • Janvier 1919 : Des actions à Berlin contre la destitution du préfet de police de gauche Eichhorn conduisent à une confrontation avec des groupes paramilitaires déployés par la direction du SPD. Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés le 15 janvier.
  • Mars 1920 : Avec la répression du mouvement en 1919, la droite se sent assez forte pour lancer un coup d’État mené par Wolfgang Kapp. Cela entraine une riposte massive : une grève générale avec 12 millions de participants. Le coup d’État échoue, mais le potentiel de révolution n’est pas saisi.
  • Octobre 1920 : L’USPD rejoint le Komintern, ce qui signifie qu’il y a maintenant un parti communiste de masse en Allemagne. En mars 1921, des appels désordonnés à une insurrection armée sont lancés. Ils échouent et conduisent à une dure répression.
  • Janvier 1923 : Les troupes françaises et belges occupent la région de la Ruhr parce que l’Allemagne ne peut plus payer les réparations de guerre. Les protestations sont massives dans la Ruhr et, à partir du mois de juin, plus largement, contre l’hyperinflation.
  • Août 1923 : Les conseils ouvriers de Berlin décident une grève générale pour la démission du gouvernement. Le gouvernement Cuno démissionne immédiatement, mais la vague de grèves se propage dans tout le pays. Le potentiel d’une escalade de la lutte n’est toutefois pas saisi. Le gouvernement prend des mesures pour contenir l’inflation, même si cela conduit à une augmentation du chômage. L’élan révolutionnaire s’éteint.
  • 1930 : Après des années de relative stabilité entre 1923 et 1929, suivent la crise et l’instabilité politique avec la première grande percée électorale des Nazis.
  • 1933 : Sans beaucoup d’opposition, Hitler peut prendre le pouvoir et commencer sa politique fasciste visant à briser le mouvement ouvrier.

 

Livre

Marxisme.be publie le livre ‘‘1918-1923 : La Révolution allemande’’. Il s’agit d’un recueil de textes qui esquisse le cours des événements depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à la montée du fascisme en Allemagne. Un chapitre remarquable traite du conseil des soldats bruxellois de novembre 1918 (plus d’informations à ce sujet dans notre prochain journal).

En novembre, nous présenterons le livre sur la Révolution allemande lors de meetings spéciaux à Bruxelles (21 novembre), Namur (7 novembre), Anvers (28 novembre), Gand (21 novembre), … Le livre compte quelque 150 pages et coûte 10 euros (+ 2 euros de frais de port).

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