Pourquoi un plan radical d’investissements publics est-il nécessaire ?

L’échec de l’austérité illustrée par l’infrastructure délabrée

Si quelque chose caractérise la période actuelle, c’est bien l’inégalité. Une poignée d’ultra-riches possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Comment y parviennent-ils ? Au prix d’un travail acharné, dit-on parfois. C’est vrai. Cependant, c’est notre travail qui les enrichit ! C’est non seulement le cas directement, puisqu’une partie de la valeur que nous produisons est accaparée par les patrons, mais aussi de façon indirecte, à travers la politique d’austérité. Celle-ci réduit considérablement les dépenses publiques. La pénurie de moyens frappe durement les soins de santé, l’enseignement ou encore les infrastructures (routes, bâtiments, etc.). Les conséquences sont désastreuses.

La politique d’austérité signifie que la population ordinaire est de moins en moins protégée en cas de malheur. Jusqu’à un quart des ouvriers n’ont pas d’épargne et une personne sur six ne saurait pas s’en sortir un mois sans salaire. Mais le filet de sécurité collectif disparaît lui aussi : les chômeurs et les malades sont ciblés par des mesures de ce gouvernement (et les précédents). Disposer d’un logement abordable relève de l’impossible parce que les autorités n’investissent pas et laissent tout au marché privé, qui réalise de juteux profits. L’infrastructure délabrée met à nu un système qui ne génère pas d’optimisme ou de confiance en l’avenir. La confiance dans ce système devient progressivement aussi instable que l’était le pont Morandi à Gênes. La question n’est pas de savoir s’il va s’effondrer, mais quand.

Pas de lumière au bout du tunnel

Ces derniers mois, nous avons connu une timide reprise économique. En Belgique, la croissance est présente quoiqu’inférieure à celle du reste de l’Europe. De nombreux facteurs de risque – de la guerre commerciale en cours à l’instabilité politique, en passant par les montagnes de dettes – font de plus en plus craindre une nouvelle récession. Cela aurait des conséquences d’une portée considérable dans notre pays. En 10 ans, les mesures d’économie budgétaire ont été massives. Comment pourrait-on aller encore plus loin ?

C’est pourtant la seule perspective avancée par les analystes. Le scénario optimiste dépeint une croissance de seulement 1,5% pour cette année et des chiffres similaires sont attendus pour les années à venir. En sachant que l’inflation est de 1,9%, on comprend de suite que la croissance stagne. Selon la logique néolibérale, le seul remède est de saigner encore plus le malade.

La reprise économique de ces dernières années n’a signifié aucune amélioration de nos conditions de vie. Au contraire, les travailleurs ordinaires et leurs familles ont le sentiment légitime d’avoir été laissés de côté. Des mesures comme le saut d’index ont réduit nos salaires, les réformes des retraites nous obligent à travailler plus longtemps, les attaques contre la sécurité sociale et les nombreuses augmentations d’impôts indirects (du carburant au sucre) nous pressent comme des citrons. Mais il n’est possible de presser un citron qu’une fois. Si la reprise de ces dernières années n’a pas entraîné de reprise pour la majorité de la population, que signifiera une nouvelle récession ? Sous le capitalisme, la lumière au bout du tunnel n’existe pas.

Les investissements publics diminuent

Les investissements publics ont diminué de moitié depuis les années 1970. À l’époque, 5,5% du PIB était consacré à l’investissement public en Belgique, contre seulement 2,3 % aujourd’hui, soit 9,7 milliards d’euros. (1) Dans les années ‘70, 100 km de nouvelles routes se sont ajoutés au réseau alors que, aujourd’hui, il n’est tout simplement pas possible d’entretenir le réseau existant. De Tijd écrivait le 17 août : ‘‘Depuis la fin des années ‘80, les investissements publics n’ont guère suffi à compenser la détérioration des infrastructures existantes. En plusieurs années, le taux d’investissement a même été inférieur à ce qui est nécessaire pour faire face à la vitesse à laquelle le béton s’érode.’’ (2) En dehors de l’Irlande, aucun autre pays européen n’investit aussi peu dans l’infrastructure routière. Nous pouvons encore comprendre qu’il y a moins d’investissements dans les routes en Irlande : il s’agit d’une île avec une seule grande ville. Mais la Belgique est une plaque tournante logistique en Europe, facilement accessible depuis l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Pourtant, le montant d’investissement dans nos routes est lamentable.

Même un économiste libéral comme Bart Van Craeynest tire la sonnette d’alarme : ‘‘La Belgique est au plus bas avec ses investissements depuis plus de trente ans. Moins investir a été perçu comme une économie facile, car les gens n’en ressentent pas directement l’impact. Mais les conséquences sont les mêmes : des tunnels bruxellois qui s’effondrent, des carrefours de circulation qui se bouchent ou des problèmes avec les chemins de fer. Les dommages économiques causés par le manque d’investissements sont bien réels.’’ La situation est telle que même les partisans idéologiques de cette politique qualifient ses conséquences de désastreuses.

Au cours des dix dernières années, la baisse des investissements s’est encore accélérée. Dans l’Union européenne, l’investissement public est tombé à 2,7 % du PIB en 2016, son niveau le plus bas en 20 ans. La Banque européenne d’investissement a constaté que les investissements sont de 20 % inférieurs au niveau d’avant la crise financière de 2008(3), ce qui signifie que la reprise économique ne s’est pas non plus répercutée sur l’infrastructure publique.

Bien entendu, l’investissement public ne concerne pas seulement les routes et les infrastructures. Environ un tiers des investissements sont réalisés au niveau local. Sur les 9,7 milliards d’investissements publics, 3 milliards sont réalisés par les villes et communes. Cela concerne les écoles et les crèches, les maisons de quartier, les infrastructures routières et cyclables, la politique de la jeunesse, les centres culturels, la politique de lutte contre la pauvreté… Bref, toutes les structures de base de notre vie quotidienne. En 2012, les communes ont dépensé 4 milliards d’euros en investissements mais, en 2017, ce chiffre est tombé à 3 milliards d’euros : un quart de moins ! Cela signifie qu’il faut réduire les services et les effectifs, que les services existants sont devenus plus coûteux et que toutes sortes d’impôts et de taxes touchent la population ordinaire.

Massacre social parmi le personnel communal : 17.000 statutaires en moins !

Les économies réalisées par les collectivités locales – tant en termes d’investissements que de ressources de fonctionnement – ont un impact majeur sur l’emploi : entre 2011 et 2017, le nombre de fonctionnaires locaux dans les 589 communes belges est passé de 156.582 à 139.687, soit une baisse de 17.000 ou 11%. (4) Certaines de ces fonctions ont été externalisées ou reprises par des contractuels, mais la diminution est spectaculaire et affecte évidemment aussi le personnel restant. Plusieurs employés communaux nous ont confirmé qu’il y avait une augmentation du nombre de burnouts, des cas de stress et des tensions sur les lieux de travail. La charge de travail, le sentiment d’insécurité au travail et le problème des pensions futures des travailleurs statutaires s’accentuent.

En Flandre, la composition du collège échevinal ne semble pas faire de différence dans la diminution du nombre d’employés statutaires. A Anvers (dirigée par la N-VA), la diminution de -11% est même plus faible qu’à Gand (dirigée par le SP.a), où elle a été de -18%. Cependant, il existe une différence communautaire : la plus forte baisse se situe en Flandre avec -15%, contre -2% en Wallonie. A Bruxelles, le personnel statutaire a augmenté de +8%. Cela s’explique en partie par le fait qu’il y a plus d’agents statutaires en Flandre : ce pourcentage est encore de 36%, alors qu’il n’est que de 24% dans les communes wallonnes.

La forte baisse des investissements publics dans le cadre de la politique d’austérité des années ‘80 a également entraîné des pertes indirectes d’emplois (un emploi sur quatre dans le secteur de la construction).

Pourquoi n’y a-t-il pas d’investissements ?

L’infrastructure et les services participent au tissu social d’une collectivité. Là où il y a des pénuries, les tensions augmentent. De plus, les déficits actuels sont dangereux. L’effondrement du pont Morandi à Gênes a tué 43 personnes. Et s’il y a une catastrophe demain dans un des tunnels de Bruxelles ? Ou si un pont s’effondre ? Il y a 31 ponts sur une liste flamande de vigilance accrue, environ 50 des 4.500 ponts wallons sont sur la liste des problèmes et à Bruxelles deux des 92 ponts sont sur cette liste des problèmes à surveiller.

En 2016, le professeur de finances publiques Wim Moesen a déclaré : ‘‘Un pays civilisé consacre trois pour cent de son produit intérieur brut à l’investissement public.’’ (5) La Belgique se situe en dessous de ce niveau depuis une trentaine d’années. Ces dernières années, tous les investissements publics (du fédéral au communal) ont représenté de 2 à 2,5 % du PIB, la plupart de ces ‘‘investissements’’ étant en fait des amortissements et non de nouveaux investissements. L’investissement public net ne représente qu’une fraction de 1% du PIB. Il y eut même, certaines années, un désinvestissement net.

Les investissements sont maintenus aussi bon marché que possible. L’ingénieur en génie industriel Wim Van den Bergh (Université d’Anvers) a déclaré dans DS Weekblad : ‘‘Techniquement, nous pouvons construire des ponts et des routes parfaitement pour les 50 ou même 100 prochaines années, les ingénieurs ont le savoir-faire. Mais quand mes étudiants arrivent sur le marché, on ne parle que de prix. Les marges sont devenues si faibles que la qualité en souffre. C’est ainsi que nous ouvrons la porte à la dégradation.’’ Van den Bergh ajoute : ‘‘Je me sens mieux quand je conduis sur une route bien construite ou quand j’entre dans un bel immeuble, tout comme c’est mieux pour le moral quand on vous enseigne dans un bel immeuble scolaire. Les bâtiments inesthétiques et les mauvaises routes rendent les gens tristes.’’ (6)

Pourquoi n’y a-t-il plus d’investissement aujourd’hui ? questionne De Tijd dans un édito du 16 août 2018. ‘‘Parce que les autres dépenses devraient être supprimées. Les politiciens, cependant, préfèrent dépenser de l’argent en cadeaux pour plaire aux électeurs et aux groupes d’intérêt. Les investissements dans les infrastructures de base en souffrent.’’ (7) L’argent manquerait car il a été dépensé pour satisfaire la population ? C’est faux. Ce sont les cadeaux fiscaux aux ultra-riches qui représentent le problème.

Le gouvernement affirme être en train de renverser la vapeur, il y a même un véritable pacte d’investissements. Lors de son lancement en mars 2017, le Premier ministre Michel a opportunément inclus les investissements existants tels que ceux de la liaison Oosterweel à Anvers ou encore l’achat d’avions de combat. Ce ‘‘pacte d’investissement’’ vise à porter l’investissement public à 3,2 % du PIB. Un comité d’experts a calculé que pas moins de 150 milliards d’euros pourraient être investis d’ici 2030. La plupart des idées restent toutefois vagues, sans propositions d’investissement concrètes et encore moins de propositions de financement concrètes. Avec ce pacte d’investissement, Michel dit qu’il veut transformer notre pays en un ‘‘nouvel eldorado’’. (8) Mais au cours de cette législature, aucun changement n’est survenu dans les investissements publics. Sous la pression de la logique d’austérité, les investissements sont restés inférieurs aux normes.

Pour un plan radical d’investissement public

Augmenter les investissements publics global, qui est passé de 2,3 % du PIB à 5,5 % comme au début des années 70, a plus que doublé. Si ces 2,3% correspondent aujourd’hui à 9,7 milliards d’euros d’investissements publics, 5,5 % représenteraient 23 milliards d’euros. Si plus d’un tiers à 40% devaient être investis par les municipalités, nous parlerions d’un budget de 7,7 à 9,3 milliards d’euros par an au lieu des 3 milliards actuels. Ces ressources sont nécessaires pour éliminer les déficits sociaux.

Cela signifierait que les pénuries croissantes de logements sociaux, d’éducation, de garderies et de services pourraient être traitées dans le cadre d’un plan radical d’investissement public. Un tel plan donnerait à de plus larges couches de la population une meilleure perspective d’avenir : les ressources existantes et les possibilités technologiques seraient enfin utilisées dans l’intérêt de la majorité de la population, et non au profit d’une petite minorité. Les investissements seraient également plus durables.

Aller chercher l’argent là où il est

Les années de laisser-aller et d’austérité résultent en partie des défaites des luttes passées et de l’offensive idéologique néolibérale qui a poussé le mouvement ouvrier dans une position très défensive dans les années 1990. La situation évolue progressivement : aujourd’hui, même les défenseurs de ce système doivent reconnaître que les politiques menées conduisent à un manque de ‘‘civilisation’’, pour paraphraser les propos du professeur Moesen. Parmi les jeunes, on constate une recherche croissante d’alternatives aux Etats-Unis mais aussi en Europe : le socialisme est plus populaire que le capitalisme parmi les jeunes Américains. Au Royaume-Uni, le dirigeant de gauche du parti travailliste Jeremy Corbyn est largement le plus populaire parmi la jeunesse.

Soyons honnêtes, il faudra se battre pour changer de politique. Les ultra-riches ne renonceront pas volontairement à leur position privilégiée. Sans rapport de forces, nous n’obtiendrons pas un plan d’investissements publics massifs. Cette lutte ne peut qu’être renforcée en étant d’emblée associée à l’idée d’une alternative au capitalisme : une société socialiste où les ressources disponibles seraient utilisées en fonction des besoins et des exigences de la population, les secteurs clés de l’économie étant aux mains des pouvoirs publics pour s’inscrire dans une démarche planifiée sous gestion démocratique.

Les campagnes électorales menées par le PSL – à la fois avec nos candidats de Saint-Gilles (Gauches Communes) et de Keerbergen (Consequent Links) et, là où nous ne disposons pas de nos propres candidats mais appelons à voter en faveur du PTB, mais à rejoindre le PSL – soulignent la nécessité d’investissements publics massifs. Nous voulons préparer le terrain afin d’y parvenir par la lutte. Ce défi se pose également après les élections locales du 14 octobre : des administrations communales rebelles peuvent briser la logique d’austérité et construire un front de villes et communes désireuses de briser la camisole budgétaire qui les étouffe pour répondre aux besoins de la population. Il ne suffit pas de rejeter la politique d’austérité, nous devons également défendre de nouveaux investissements et de nouvelles réalisations sociales.

Notes

1) Nationale Bank: https://www.nbb.be/doc/ts/publications/other/Report_public_investments_fr.pdf
2) “Belgische investeringen in beton lopen hopeloos achter,” De Tijd 17 augustus 2018, https://www.tijd.be/politiek-economie/belgie/algemeen/belgische-investeringen-in-beton-lopen-hopeloos-achter/10040516.html
3) “België barst: een infrastructureel probleem. ‘We zijn al 30 jaar putjes aan het vullen’,” De Standaard weekblad 15 september 2018, http://www.standaard.be/cnt/dmf20180914_03743593
4) “17.000 jobs weg bij gemeenten,” Het Laatste Nieuws 25 januari 2018, https://www.hln.be/de-krant/17-000-jobs-weg-bij-gemeenten~a08f8d54/
5) “Gat in de begroting, gaten in het wegdek,” NRC 29 september 2016, https://www.nrc.nl/nieuws/2016/09/29/gat-in-de-begroting-gaten-in-het-wegdek-4516264-a1523957
6) “België barst: een infrastructureel probleem. ‘We zijn al 30 jaar putjes aan het vullen’,” De Standaard weekblad 15 september 2018, http://www.standaard.be/cnt/dmf20180914_03743593
7) “Investeringen,” De Tijd 16 augustus 2018, https://www.tijd.be/opinie/commentaar/investeringen/10040500.html
8) “Experts presenteren Investeringspact van 150 miljard,” De Tijd 11 september 2018, https://www.tijd.be/politiek-economie/belgie/federaal/experts-presenteren-investeringspact-van-150-miljard/10048224.html

Le Musée national de Rio de Janeiro détruit par la négligence

Le manque d’investissement a des effets désastreux. Le Brésil en est un exemple remarquable. Le Musée national de Rio de Janeiro a été presque entièrement détruit par un incendie le 2 septembre. Le bâtiment et ses collections ont presqu’été totalement détruits. Le musée était le plus ancien du pays et contenait des pièces inestimables, dont le crâne de Luzia, le plus ancien vestige humain jamais trouvé en Amérique latine. Un membre du personnel du musée a déclaré : ‘‘C’est 200 ans de travail d’un institut scientifique, le plus important d’Amérique latine. Tout est détruit.’’

Le musée attendait un prêt de 5 millions d’euros pour installer un système de détection et de lutte contre l’incendie. On savait depuis longtemps que le musée était en mauvais état, mais aucun fonds n’a été débloqué pour sa rénovation ou sa sécurité. Un anthropologue belge associé à l’Université de Rio a déclaré : ‘‘C’est un symbole de la situation dramatique à Rio et dans tout le Brésil : une réduction systématique des investissements dans la recherche historique et scientifique, dans l’éducation et dans le patrimoine.’’ Même le secteur de la lutte contre l’incendie a souffert du manque d’investissement.

Le manque d’investissement dans la science et la culture a été dénoncé le 3 septembre. La réaction du gouvernement ? Les manifestants ont été dispersés avec des gaz lacrymogènes. On investit dans la répression, mais pas dans la science et la culture. Cela en dit long sur la santé du capitalisme.

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