Chine. La lutte des travailleurs de Shenzhen Jasic Technology atteint une phase cruciale

“Continuez la lutte !”, c’est le message combatif de Shen Mengyu dans une lettre qu’elle a su faire passer hors de la cellule où elle est détenue à Shenzhen, en Chine. Les lecteurs auront le sentiment qu’elle s’adresse directement à eux et, espérons-le, auront envie de s’engager plus loin dans ce combat.

Shen Mengyu a été violemment enlevé par des hommes non identifiés le 11 août dernier. La police a refusé d’enquêter sur sa disparition et a déclaré qu’il s’agissait d’une « dispute familiale », comme on peut le lire sur une déclaration de la police sur les médias sociaux. La police affirme que les quatre caméras de surveillance présentes sur le lieu de l’enlèvement étaient « hors service », ce qui signifie qu’il n’y a pas de preuve.

Il est apparu récemment que Shen est détenue dans une maison à Shenzhen, dans un centre de détention officieux ou une « prison noire », comme on les appelle. De pareilles méthodes de répression sont courantes en Chine. Cela permet à la police d’emprisonner quelqu’un indéfiniment, coupé de tout accès à un avocat, à sa famille ou aux médias. Huit policiers la surveillent 24 heures sur 24, même lorsqu’elle prend une douche ou se rend aux toilettes.

Les jeunes militants de Shenzhen craignent qu’une descente de police sur leur lieu de rencontre soit imminente. Ils se préparent à résister. Ces derniers jours, la répression d’Etat a monté d’un cran, le harcèlement de la police est plus dur, la censure sur Internet est plus forte et les comptes et groupes de discussion des activistes ont été fermés sur les réseaux sociaux. « Jasic », « Shen Mengyu » et « Pingshan » (le quartier de Shenzhen où se déroule la lutte) sont maintenant des mots interdits sur l’Internet chinois.

Une lutte historique

Ce combat est d’une importance historique pour le mouvement syndical émergent en Chine, où les syndicats authentiques sont interdits et où les travailleurs font face à de lourdes sanctions pour avoir essayé de s’organiser. Malgré ces menaces et ces obstacles, l’année 2018 a connu une incroyable reprise des luttes ouvrières et, plus spectaculairement encore, plusieurs « grèves multiprovinciales » ont éclaté en impliquant des grèves et des protestations simultanées de travailleurs dans au moins dix des 30 provinces chinoises !

Cela a commencé en avril avec les grèves des grutiers et le phénomène s’est étendu à d’autres secteurs en mai, juin et juillet, comme les camionneurs et les livreurs de nourriture. Dans toutes ces luttes, la question de la création de nouveaux syndicats, distincts du syndicat jaune contrôlé par l’Etat l’ACFTU (All China Federation of Trade Unions) et sous contrôle démocratique des travailleurs, a été clairement évoquée. En fait, de nombreux travailleurs chinois appellent l’ACFTU le « syndicat noir », ce qui est encore pire qu’un syndicat jaune – « noir » signifiant outil de répression. Les actions des travailleurs dans ces gigantesques luttes de grève ont été coordonnées en ligne par des syndicats non déclarés en cours de formation.

La lutte des travailleurs de Jasic, qui a commencé en mai, a soulevé la question des syndicats indépendants et en a fait l’axe central. C’est ce qui rend cette lutte si importante, au-delà de l’amélioration des conditions en vigueur dans leur propre usine, que les travailleurs de Jasic assimilent à de l’esclavage. Des infractions mineures sont frappées d’amendes, les heures de travail sont excessives sans jours de congé, l’assurance sociale légale n’est pas respectée, etc. Cette lutte sera une référence importante pour les futures luttes ouvrières en Chine.

Les procédures juridiques

Au départ, les travailleurs de Jasic ont suivi les procédures légales pour établir une branche d’usine de l’ACFTU, le seul « syndicat » légalement autorisé. Ils ont reçu le feu vert du bureau régional de l’ACFTU, ou du moins le pensaient-ils. Ils ont commencé à recueillir des noms pour mettre sur pied la section syndicale, recueillant 90 noms en quelques jours parmi les 1.000 employés, en dépit de la tentative des patrons de dépasser les travailleurs en créant un soi-disant « congrès des travailleurs » sous contrôle de l’entreprise.

Ensuite, la direction de Jasic a pris des mesures de répression en accusant les travailleurs d’agir illégalement. A ce stade, les responsables de l’ACFTU se sont complètement rangés du côté de la direction. Les patrons de Jasic sont liés à l’establishment local du PCC (Parti « communiste »), deux d’entre eux étant des « délégués » au Congrès du peuple de Shenzhen – un pseudo conseil municipal.

Les syndicalistes Mi Jiuping et Liu Penghua ont été agressés par des voyous, probablement payés par l’entreprise, puis licenciés le 20 juillet. Les responsables de l’ACFTU n’ont fait aucun effort pour défendre Mi et Liu et ont publié le 23 juillet une déclaration commune avec l’entreprise selon laquelle ils « travaillent ensemble » à la création d’un syndicat. Conformément au modèle normal du « syndicalisme » de l’ACFTU, il ne s’agissait que d’une fausse section syndicale sous le contrôle de la direction de Jasic.

La violence d’Etat

Les travailleurs ont protesté contre le licenciement de leurs camarades et ont juré de continuer à faire campagne pour un véritable syndicat. Le 27 juillet, une manifestation à l’extérieur de l’usine a été le théâtre de violences policières contre les travailleurs et les jeunes activistes de gauche avec 30 arrestations, dont Mi et Liu. Amnesty International fait partie des nombreux groupes qui demandent leur libération (accéder à la déclaration d’Amnesty international en français). « L’arrestation de ces ouvriers et de personnes qui les soutenaient est tout à fait déplorable. Les revendications de ces ouvriers qui veulent fonder un syndicat de leur choix pour protéger leurs droits sont parfaitement légitimes », a déclaré Patrick Poon, chargé de recherches sur la Chine à Amnesty International, Hong Kong.

Au moment d’écrire le présent rapport, 14 de ces 30 personnes sont toujours détenues par la police, y compris Mi et Liu, tandis que d’autres arrestations de jeunes partisans, dont Shen Mengyu, ont été effectuées.

Les travailleurs et les jeunes militants de gauche comme Shen et ses camarades de Shenzhen prennent des risques héroïques pour défendre les droits des travailleurs et construire le mouvement ouvrier en Chine, face à la dictature la plus puissante du monde et au plus grand appareil de répression sur terre. Les personnes arrêtées à Shenzhen sont victimes de coups et de torture, de privation de sommeil, de mises en situation de stress, de menaces contre leur famille et leurs amis, le tout dans le but de les pousser à « avouer », souvent sur vidéo, et à incriminer les autres.

Selon la journaliste de Reuters Sue-Lin Wong, sur son compte Twitter, les travailleurs de Jasic à qui elle a parlé ont mentionné l’humiliation sexuelle parmi plusieurs méthodes utilisées par la police pour obtenir des aveux signés. Ceux qui sont encore détenus pourraient bien faire face à l’accusation de « provoquer des troubles », ce qui peut conduire à cinq ans de prison.

La lutte des travailleurs de Jasic est un tournant important également en raison du rôle des jeunes militants de gauche, des anciens étudiants et d’autres, qui sont largement étiquetés comme des « maoïstes ». L’intervention de ces jeunes a suscité des critiques de la part de certains milieux, de certaines ONG syndicales « traditionnelles » et de certains médias libéraux à l’étranger.

Ces couches se sentent mal à l’aise avec le fait que les luttes soient ‘‘politisées’’, pour les mêmes raisons que la dictature chinoise et les patrons capitalistes comme ceux de Jasic, de façon très ironique. De nombreuses ONG syndicales ont également été confrontées à une répression brutale de l’Etat alors qu’elles s’en tiennent strictement à une stratégie « apolitique » et « légale » qui limite souvent consciemment les luttes de la classe ouvrière.

Chinaworker.info n’est pas d’accord que c’est le fait d’être « trop politique » qui a rendu la lutte à Shenzhen plus difficile ou l’a exposée à une plus grande répression. Les travailleurs et les jeunes militants impliqués ont fait preuve d’une bravoure exemplaire et leur attitude de recherche consciente de la solidarité internationale est un pas en avant bienvenu et nécessaire pour le mouvement ouvrier en Chine. La solidarité ouvrière au-delà des frontières devrait devenir la « nouvelle norme » malgré la propagande nationaliste du PCC accusant les manifestants d’être « manipulés par des forces étrangères ».

Besoin urgent de solidarité !

La lutte pour les droits syndicaux et contre la répression atteint une phase cruciale à Shenzhen et la solidarité internationale de la classe ouvrière est donc plus que jamais nécessaire. Chinaworker.info a reçu des dizaines de rapports et de photos de socialistes et de syndicalistes du monde entier. Une reconnaissance spéciale doit être faite aux membres du Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) pour avoir organisé rapidement et de manière décisive la solidarité de l’Afrique du Sud à l’Inde en passant par le Mexique.

Compte tenu de ce qui pourrait être une escalade significative de la répression étatique contre la lutte dans les jours à venir, nous demandons instamment à nos lecteurs d’intensifier leurs efforts : rendez-vous dans les ambassades et les consulats de Chine pour protester contre cette situation ! Contactez votre syndicat pour endosser la déclaration de solidarité ci-dessous ! Des usines Jasic Technology existent dans plus d’une douzaine de pays, dont la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis et la Malaisie, et là où les travailleurs sont organisés, nous espérons que les syndicats déclareront leur solidarité avec leurs collègues de Chine !

La déclaration suivante provient de députés irlandais socialistes – veuillez demander à votre organisation ou votre syndicat de publier une déclaration similaire et l’envoyer à l’adresse ci-dessous :

« Nous, députés de Solidarity et membres du Socialist Party, déclarons notre pleine solidarité avec la lutte historique des travailleurs de Jasic Technology à Shenzhen, en Chine, pour établir un syndicat démocratique. Nous demandons la libération et l’abandon de toutes les accusations portées contre les travailleurs de Jasic et leurs jeunes sympathisants qui n’ont commis aucun autre crime que de défendre les droits des travailleurs. Nous sommes particulièrement alarmés par l’enlèvement de la militante Shen Mengyu qui a disparu le 11 août et par le refus de la police de Shenzhen d’enquêter sur ce crime. Nous saluons la bravoure de ces jeunes et de ces travailleurs face aux coups, aux mauvais traitements et à l’intimidation sexuelle de la part de certains policiers et de bandes criminelles. Travailleurs du monde, unissez-vous ! »

Mick Barry
Ruth Coppinger
Paul Murphy

>> Envoyez vos rapports, photos et déclarations de solidarité à : cwi.china@gmail.com

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