Iran : L’économie au bord de l’effondrement

Manifestation ouvrière, Tehran, 1er mai 2018 (Armin Karami, farsnews.com/CC)

Semaine après semaine, la crise économique aiguë en Iran amène de nouveaux groupes sociaux à se confronter au régime. Il y a six mois, les pauvres, les chômeurs et les jeunes désillusionnés de dizaines de petites villes et de villes périphériques se sont engagés dans des manifestations sans précédent, mais pas inattendues. Les manifestations de rue, les grèves, les rassemblements de protestation et les piquets de grève des travailleurs industriels, des paysans pauvres, des femmes, des adeptes du soufisme et ainsi de suite ont continué sans cesse. Dans tous ces cas de figure, le régime s’est avéré incapable de proposer une solution.

Par P. Daryaban, Comité pour une Internationale Ouvrière

De plus, les reportages concernant la corruption et la mauvaise gestion des biens publics sont davantage apparus sur les médias sociaux, ce qui a ajouté de l’huile sur le feu de la colère des masses. Avec l’arrivée de la saison chaude, les problèmes environnementaux – en particulier le déclin des ressources en eau – ont affecté une grande partie du pays. Dernièrement, cela a donné lieu à des manifestations à Khorramshahr, une ville située dans la province du Khuzestan, essentiellement peuplée d’Arabes. Le manque d’eau potable dans la ville pendant des semaines a provoqué des affrontements sanglants entre la population locale et les forces de sécurité. Très vite, les habitants des villes voisines ont organisé des rassemblements de solidarité. Le régime, qui a gaspillé des milliards de dollars en rivalité avec d’autres puissances régionales et dans son programme nucléaire avorté, doit maintenant faire face aux crises accumulées au fil des ans en raison de la négligence et de la corruption du régime.

Le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de 2015 et le fait qu’ils ont déclaré qu’ils puniraient l’Iran par « les sanctions les plus sévères de l’histoire » ont aggravé la situation. L’administration Rouhani, qui s’est vantée d’avoir introduit l’accord nucléaire (connu sous le nom de Plan d’action global commun) comme solution ultime, a soudain senti le sol se dérober sous ses pieds.

Tous contre un !

La confrontation de classe a atteint un nouveau sommet. Bien que la classe ouvrière iranienne ait toujours souffert de la pauvreté, de l’insécurité de l’emploi, de l’humiliation et du déni du droit de former ses propres organisations indépendantes de base, elle ressent plus que jamais ses conditions de vie intolérables. Même dans le secteur pétrolier et gazier, où les travailleurs gagnaient des salaires plus élevés, la situation a changé. Maintenant, les contrats temporaires, les retards de paiement et les licenciements de masse sont fréquents.

Le 25 juin, les commerçants des deux centres commerciaux de Téhéran se sont mis en grève et un certain nombre d’entre eux sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement face à la flambée des prix et à la baisse du pouvoir d’achat, qui ont plongé le pays dans une profonde récession. La crise croissante a endommagé non seulement la classe ouvrière, mais aussi la petite bourgeoisie et la bourgeoisie moyenne inférieure.

Face à la colère du peuple contre le pillage et à la corruption du régime, l’administration Rouhani a tenté d’échapper aux accusations. C’est ainsi que la liste des destinataires des devises étrangères subventionnées par l’État à utiliser pour l’importation a été lentement divulguée. Nombre de ces importateurs sont soupçonnés de recevoir ces subventions mais de vendre leurs importations à des prix calculés sur base des taux du marché libre, ou même de vendre leur quota sur le marché libre. Ces entreprises entretiennent généralement de bons contacts avec des fonctionnaires corrompus ou ont été fondées par des fonctionnaires qui eux-mêmes ont accès à des ressources financières et à des secrets d’affaires. Il semble donc que ces entreprises sont les seules à avoir profité du marché chaotique.

Restructuration de capital

Après la révolution de 1979, la grande bourgeoisie iranienne de l’époque s’est désintégrée. Les membres de cette classe qui étaient unis autour du monarque ont perdu leur pouvoir social et leurs biens ont été confisqués et nationalisés. Après la fin de la guerre Iran-Irak, en 1988, la classe capitaliste a trouvé un nouvel élan avec les plans de développement de l’ancien président Hashemi-Rafsanjani. Bien que le projet d’industrialisation ait failli échouer et que de nombreuses zones industrielles soient restées incomplètes, le capital a commencé à s’accumuler. Ces nouveaux grands capitalistes sont issus des couches supérieures des capitalistes moyens qui collaboraient avec les fonctionnaires du régime, les banques et la bureaucratie. En jetant un œil sur le conseil d’administration des sociétés privées et semi-étatiques, nous constatons qu’il s’agit d’une armée d’anciens bureaucrates, technocrates, officiers militaires, députés et ministres qui ont occupé des postes clés et sont grassement rémunérés.

Au fil des ans, ils ont surtout investi dans le développement du logement, dans l’importation, dans l’exportation, dans les industries et dans l’agriculture dans une moindre mesure, en collaboration avec des fonctionnaires corrompus et des militaires qu’ils ont transformés en une classe influente. Les investissements dans la construction de logements ont à peu près doublé entre 2000 et 2010.

Le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), qui fonctionne comme un gigantesque complexe militaro-économique, est lui-même le foyer de grands capitalistes qui débutent comme superviseurs d’entreprises liées au Gardiens de la révolution et apparaissent ensuite comme capitalistes privés.

Comme l’ensemble du régime, le CGRI reflète la contradiction entre agir en tant que classe capitaliste conventionnelle et agir en tant que bande de pillards qui ne se soucient pas de l’avenir du système. De plus en plus, le régime se trouve à la croisée des chemins pour choisir s’il veut être lié au capitalisme mondial ou aux parasites qui vivent des ressources pétrolières et gazières.

Avec la crise économique qui a entraîné une baisse de la demande, les capitalistes sont passés du logement à des activités spéculatives, telles que le commerce de l’or et des devises étrangères. Ces derniers mois, le gouvernement a essayé de canaliser cet argent « chaud » vers des activités productives en abaissant légèrement les taux d’intérêt, sans succès. L’argent coule et se trouve là où le profit peut être fait facilement. Il dévore tout comme une inondation, surtout les devises étrangères et l’or.

Le gouvernement a commencé à vendre par anticipation plus de sept millions de pièces d’or qu’il devrait produire au cours des deux prochaines années afin de recueillir d’énormes liquidités. D’autre part, le gouvernement a décidé de réduire l’impôt sur les transactions boursières de 0,5 pour cent à 0,1 pour cent des transactions. 50 personnes seulement ont acheté 5 pour cent des pièces de monnaie, selon les agences de presse. Un spéculateur a acheté 244.000 pièces d’or (d’une valeur d’environ 86 millions de dollars). Un économiste a déclaré à l’agence semi-officielle de l’ISNA que les 500-600 trillions de rials (environ 60-70 milliards de dollars) ont déjà été « neutralisés » et qu’environ 400 trillions de rials (environ 50 milliards de dollars) représentent toujours une menace. Bien sûr, l’argent retiré de la circulation n’a pas été investi dans la production mais, comme le dit cet économiste, a été dépensé pour acheter de l’or, des automobiles et des biens immobiliers.

Perspectives

La seule façon qui semble pouvoir soulager la crise sur une base capitaliste est de libérer cet énorme stock d’argent et de l’investir dans la production, même si cela ne réduira pas la souffrance de la classe ouvrière. Cependant, le régime bonapartiste n’a pas été en mesure de le faire. Sa politique étrangère ambitieuse et sa concurrence acharnée avec les régimes rivaux de la région ne donne aucune assurance à long terme aux capitalistes quant à la rentabilité de tout investissement productif. Le plan de privatisation a été exécuté avec hésitation et s’est finalement soldé par un échec. Les tentatives d’adhésion du régime à l’Organisation mondiale du commerce et même à l’Organisation de Shanghai ont échoué. Cette instabilité a découragé les capitalistes d’investir dans des secteurs au rendement à long terme.

Divers groupements de capitaux financiers, tant militaires que civils, contrôlent aujourd’hui l’économie iranienne par l’intermédiaire de leurs banques, de leurs sociétés d’investissement, de leurs fonds de pension, etc. Un rapport de la Banque centrale en 2017 parlait de 500 géants économiques iraniens. Environ 39% de ces grandes entreprises sont des banques. Les industries pétrochimiques se trouvent à leur côté. Le capital financier a été en mesure d’extraire des bénéfices par la spéculation, y compris durant les années où l’économie était presque isolée du monde. Mais, avec l’extrême pauvreté et la perte du pouvoir d’achat de la classe ouvrière, le capital ne peut combler ce déficit qu’en exportant et en trouvant de nouveaux marchés à l’étranger.

En outre, le capital devrait être en mesure d’organiser la production, en particulier avec la menace de sanctions écrasantes qui planent au-dessus du pays. Le mécontentement du public a déjà augmenté et des gens sont venus affronter le régime et ses politiques dévastatrices. Les mois à venir seront fatals pour l’Iran. Le régime n’est pas en mesure d’organiser la société contre les sanctions parce que les gens le considèrent comme un exploiteur corrompu. De plus, le capitalisme iranien ne peut survivre en tant qu’île isolée dans le monde du capital. Néanmoins, changer de voie et changer de rhétorique n’est pas si facile pour le régime. Il pourrait être confronté à des tremblements de terre sociaux sans précédent à mesure que le mouvement de masse, bien que désorganisé, se développe. Le mouvement de masse à la base creusera des écarts non seulement entre les factions du régime, mais aussi entre la grande bourgeoisie montante et le régime bonapartiste.

Une période orageuse a commencé, la question clé est de savoir comment une alternative progressiste révolutionnaire peut organiser le mouvement social grandissant et, surtout, quel programme il adoptera. Les sections rivales des capitalistes et les forces d’opposition pro-impérialistes de l’opposition tenteront d’exploiter la faiblesse du régime à leurs propres fins. C’est pourquoi il est essentiel que le mouvement ouvrier émergent dispose de son propre programme anticapitaliste et socialiste indépendant. Bien que le régime ne puisse gouverner comme avant, et cela peut être compris à partir du nombre croissant de grèves et de campagnes, il a obstinément et intelligemment empêché, jusqu’à présent, la formation d’organisations syndicales et de partis révolutionnaires de gauche sur le terrain. Un défi clé que les marxistes révolutionnaires doivent résoudre est de savoir comment un parti révolutionnaire peut être fondé dans ces conditions répressives et se préparer aux événements tumultueux qui se préparent clairement.

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