Les mouvements de lutte de masse pour l’émancipation des femmes ont fait leur retour sur le devant de l’actualité, tout particulièrement dans l’Etat espagnol. Nous avons discuté avec Ana, de Libres y Combativas, l’organisation-sœur de la campagne ROSA.
Récemment, d’importants mouvements ont pris place à travers l’État espagnol suite au procès de “la meute”, au cours duquel un juge a requalifié un viol en abus parce que la victime, paralysée par la peur et menacée de mort, ne s’est pas débattue. Peux-tu nous en dire plus ?
Nous avons assisté à un mouvement fulgurant de travailleuses et de jeunes contre l’affaire scandaleuse de ‘‘la Meute’’, une décision judiciaire violente qui a prononcé la plus petite peine possible contre les auteurs d’un viol collectif, parmi lesquels un Guardia Civil (force de police espagnole à statut militaire, NdT.) et un militaire. Le plus grave, c’est que ce procès a dans les faits légalisé le viol en réduisant juridiquement ce crime à un simple ‘‘abus’’ qui excuse les auteurs de l’exercice de la violence sexuelle.
La réaction fut immédiate. Le jour du jugement, des mobilisations spontanées ont déferlé sur tout le pays. Ces manifestations ont fait entendre que la justice capitaliste ne peut être une garantie pour la défense des droits des femmes. La lutte de la rue est le seul instrument dont nous disposons pour condamner la violence machiste.
Avec Libres y Combativas (plateforme féministe d’Izquierda Revolucionaria et organisation-sœur de la campagne ROSA, NdT), nous avons contribué à ces mobilisations de masse en appelant à une grève étudiante le 10 mai. Cette dernière a paralysé l’enseignement et les rues ont été remplies de jeunes avec plus de 60 manifestations. Ce fut une très forte riposte contre une sentence qui visait à porter un coup au moral des millions de femmes qui avaient participé à la grève féministe du 8 mars.
L’État espagnol a connu des mouvements historiques contre l’oppression des femmes, et ils ne faiblissent pas. Comment l’expliques-tu ?
Cette recrudescence de la lutte féministe est étroitement liée aux effets de la crise et à la révolte sociale qui a secoué l’État espagnol ces dernières années. Ce sont les salariées, les chômeuses, les retraitées, les migrantes et les jeunes femmes qui souffrent le plus de l’austérité et qui subissent les plus grands revers dans tous les aspects de leur vie. Cette réalité révèle une fois de plus à quel point le système capitaliste joue un rôle fondamental dans l’oppression des femmes. D’un autre côté, cette situation a également éveillé des milliers de femmes à la lutte et à la politique.
Les luttes contre les expulsions de logements et contre l’extrême précarité dans les secteurs fortement féminisés (comme le nettoyage) de même qu’en défense des services publics ont placé les femmes au premier rang. Cette nouvelle impulsion du mouvement féministe provient de cette vague de mobilisations où les femmes les plus opprimées ont su démontrer que nous ne devons pas nous résigner au rôle qui nous a été assigné et que la seule manière de nous émanciper ne peut venir que de notre propre lutte et de nos propres organisations.
Quelle fut l’ampleur des mobilisations et quelles en étaient les revendications ?
L’année dernière, sous l’appel international de ‘‘Ni una menos’’ (‘‘Pas une de moins’’, un mouvement contre les féminicides, en provenance d’Argentine, NdT.), une grève d’une heure avait eu lieu ainsi que des mobilisations de masse le 8 mars. Cette année, le mouvement féministe a fait un pas en avant en appelant à une journée historique de grève générale. Les étudiants ont joué un rôle fondamental dans ce succès en vidant complètement les salles de classe à l’appel de Libres y Combativas qui a distribué des centaines de milliers de tracts et organisé des centaines d’assemblées dans les écoles et les facultés.
Les revendications de la grève ont donné une dimension massive à cette journée de lutte. Elles comprenaient le droit à un avortement libre, sans danger et gratuit ainsi que la dénonciation du rôle complice de la justice dans la culture du viol, de l’exploitation du corps des femmes, du poids des tâches domestiques et de la violence que constituent les coupes budgétaires.
Libres y Combativas met l’accent sur les aspects matériels, économiques et idéologiques sur lesquels repose notre oppression. Il faut mettre fin à la justice patriarcale ainsi qu’investir dans les moyens et les ressources pour protéger les victimes de violences et leurs enfants, mettre fin à toute forme d’exploitation de notre corps, lutter contre la culture qui fait un objet du corps des femmes et garantir des conditions de vie décentes, débarrassées de la précarité et du poids du travail domestique, qui permettent d’être totalement indépendantes. Nos chaînes sont très concrètes et le combat que le mouvement féministe impose dans les rues contre le système en mettant en cause ses gouvernements et ses institutions provoque un énorme bouleversement social.
Pour mener à terme la libération des femmes, nous défendons dans ce mouvement que le féminisme doit reposer sur une approche de classe, révolutionnaire et anticapitaliste.