[DOSSIER] Dexia: aux travailleurs et à leurs familles de payer pour les bénéfices du privé ?

Pour la nationalisation de Dexia, première étape vers un secteur financier public

Dexia Banque Belgique est actuellement aux mains de l’Etat belge. La France a aussi repris une partie de Dexia, et le reste est placé dans une ‘‘bad bank’’. Début octobre, l’Etat danois a repris la banque Max et l’Etat grec la banque Proto. Ces interventions des gouvernements sont une expression de l’énorme nervosité qui règne dans les milieux économiques et politiques partout en Europe. Certains disent même qu’il faut une intervention européenne coordonnée pour sauver le secteur bancaire avec une injection de 200 milliards d’euros, de l’argent de la collectivité bien entendu.

Dossier, par Bart Vandersteene

En un weekend, le gouvernement belge a trouvé quatre milliards d’euros pour acheter Dexia Banque Belgique. Selon le premier ministre Yves Leterme et le ministre Reynders, cela ne va rien coûter aux contribuables. Dexia doit immédiatement payer une prime de 270 millions d’euros pour la garantie destinée à la ‘bad bank’, tandis que les intérêts annuels pour le prêt de 4 milliards sera de ‘seulement’ 160 millions d’euros. Bien sûr, ils passent très vite sur le fait que les 4 milliards empruntés doivent être remboursés. Par ailleurs, le gouvernement a engagé la collectivité pour un garantie de 54 milliards d’euros pour la ‘bad bank’. Cela représente 15% du PIB et environ 5.000 euros par Belge.

Est-ce qu’une banque publique pouvait éviter la crise actuelle ?

Il est illusoire de penser qu’une banque publique qui n’a pas participé à des investissements risqués serait restée debout dans la période qui a précédé 2008. Cette illusion, qui était aussi entrée dans la gauche, suppose qu’une banque avec un taux d’intérêt de 2% sur les épargnes pouvait rivaliser avec les 4 à 6% promis par les autres banques, bien que cela fût fondé sur les grands risques.

Si une banque publique avait existé, cela aurait été une île au milieu d’un océan de logique capitaliste, et les vagues spéculatives l’auraient immergé. Qui serait resté à la banque publique face au bombardement de propagande des médias et des experts avec leurs projections de rendements attrayants ? La pression aurait été rapidement là complètement s’inscrire dans une logique de spéculation.

C’est pourquoi le Crédit Communal et la CGER ont été vendus au secteur privé. Les banques publiques ne pouvaient pas répondre de façon adéquate à la vague de spéculation financière néolibérale.


Qui gère une banque publique ?

Comment pouvons-nous assurer que la gestion des banques éviter de retourner vers la logique capitaliste, avec des managers dont la tâche est de faire des profits rapides pour gagner des bonus ? Nous plaidons pour que le contrôle et la gestion soient aux mains d’un comité de représentants démocratiquement élus des travailleurs du secteur, des clients et du monde du travail en général. Ces élus ne devraient avoir aucun privilège pour l’exercice de leurs fonctions. Les travailleurs devraient être exemptés de leur boulot pour exercer cette tâche, les représentants des gouvernements sont déjà payés pour leur mandat public.

Mais ce n’est pas juste une question de nouvelle structure. La nationalisation de Dexia et de l’ensemble du secteur financier devrait faire partie de la construction d’une autre société dans laquelle les profits d’une minorité ne seraient pas centraux, mais bien les besoins de la majorité.

Ce n’est pas ce que les ‘‘représentants’’ de la collectivité ont défendu au sein de Dexia ces dernières années. Non, ils ont délibérément défendu l’illusion néolibérale que les risques ont été réduits en les répartissant. Ils ont été bien payés pour défendre ces mensonges. Ces représentants ont-ils représenté la collectivité au sein de Dexia, ou plutôt Dexia au sein de la collectivité ? Aucun représentant public chez Dexia – et ils n’étaient pas des moindres avec le président de l’Europe Herman Van Rompuy ou le presque nouveau premier ministre Elio Di Rupo – n’a averti des dangers du secteur. Est-ce que ces politiciens vont maintenant se limiter à une nationalisation de Dexia pour que la collectivité doive payer pour les mauvaises dettes pendant que le privé peut s’en aller avec les bons morceaux pour leurs profits ?

Une fois que le secteur financier sera dans les mains publiques, le secteur ne peut pas suivre la même voie que les directions précédentes qui étaient toujours inscrites dans la logique du capitalisme. Le secteur doit être mis sous le contrôle direct et la gestion des travailleurs et des clients. Cela devrait permettre de s’assurer que le secteur bancaire et de crédit joue un rôle socialement utile.


Nous demandons que :

  • Tous les représentants politiques au sein du conseil de Dexia remboursent leurs honoraires pour les 10 dernières années
  • Tous les bonus pour les managers, comme Mariani, soient récupérés
  • Que Dexia soit enfin complètement placé aux mains du public
  • Un audit public soit réalisé sous contrôle ouvrier pour déterminer quels actionnaires et détenteurs d’effets ont droit à une indemnité équitable au nom de la collectivité
  • Les livres de toutes les banques soient ouverts
  • Le secteur dans son ensemble soit mis dans les mains du public
  • La gestion de ce secteur et son contrôle soient effectués par un comité élu composé de représentants élus des travailleurs, des clients et du monde du travail en général
  • Il faut rompre avec le capitalisme qui démontre de plus en plus sa faillite. Il faut commencer à construire une alternative socialiste dans laquelle les besoins et les désirs de la majorité de la population sont centraux.


Tous complices

Qui sont les représentants de la collectivité qui étaient supposés nous représenter au conseil d’administration de Dexia? Aperçu de quelques complices…

Le président du conseil d’administration est Jean-Luc Dehaene, député européen du CD&V. Francis Vermeiren n’est pas seulement maire de Zaventem pour le VLD mais aussi président du Holding Communal (46.000 euros par an) et administrateur chez Dexia (pour un montant similaire). Plusieurs politiciens ont fait partie du conseil d’administration de Dexia. Parmi eux se trouvait le président européen Herman Van Rompuy.

Une petite liste des politiciens qui ont été membres du conseil d’administration de Dexia ces dernières années :

  • PS: Marc Deconinck, Elio Di Rupo,
  • CDH: Benoît Drèze, Jean-Jacques Viseur
  • MR: Antoine Duquesne, Serge Kubla.
  • SP.a: Frank Beke, Patrick Janssens, Jean Vandecasteele, Geert Bervoets
  • Open VLD verres Louis, Francis Vermeiren, Patrick Lachaert, Karel De Gucht, Rik Daems, Jaak Gabriels
  • CD & V: Wivina Demeester, Herman Van Rompuy, Tony Van Parys, Luc Martens, Jef Gabriels, Stefaan Declerck

Dehaene: politicien ou homme d’affaires ? Ou est-ce le même?

Yves Leterme s’est trompé quand il a été à la radio en parlant de Dehaene comme un ex-politicien. Le poids lourd du CD&V est toujours eurodéputé, ce qui représente un salaire mensuel de € 6.080 ajouté aux 4.500 euros de frais et d’indemnités de voyage.

En tant que président de Dexia, Dehaene a reçu une indemnité de 88.000 euros par an (hors primes et bonus). Au conseil d’administration d’Inbev, il recueille € 79.000, chez Umicore € 33.000, chez Lotus € 17.500, … A la FIFA, il reçoit € 70.000 par an. Ce montant a été récemment doublé en raison d’une pression de travail élevée. Ces revenus comptent pour environ 30.000 par mois. Rembourser ce qu’il a reçu de Dexia ne sera donc pas un grand problème pour Dehaene.

Jean-Luc Dehaene est officiellement de l’aile du Mouvement Ouvrier Chrétien du CD&V. Les membres du MOC (y compris les membres d’Arco) pensent-ils que les intérêts des travailleurs sont bien défendus par de tels représentants ?

Pour des logements abordables, un enseignement gratuit et de qualité, des soins de santé,… il n’y a jamais de garantie de l’Etat. Pourquoi le problème des listes d’attente dans les soins de santé n’est-il pas résolu en un weekend en donnant les moyens adéquats ? Pour les banquiers et les spéculateurs, les politiciens trouvent facilement de l’argent en ‘un weekend de courage politique’. Mais pour les manques qui frappent la majorité de la société, il n’y a pas de moyens.

La collectivité perd

La décision de scinder Dexia a de lourdes conséquences. Cela est évident rien qu’au regard de la liste des principaux actionnaires:

  • Arco, le holding du Mouvement Ouvrier Chrétien, contrôle 13% des actions
  • Le Holding Communal : 14%
  • L’association d’assurance Ethias : 5%
  • Les gouvernements régionaux : 5,7% et le gouvernement fédéral : 5,7%

Non seulement les grands actionnaires privés connaissent une perte de valeur, mais tous les niveaux de gouvernement et même la coopérative du mouvement ouvrier chrétien vont payer le prix fort pour avoir rejoint l’idéologie néolibérale avec le casino de Dexia.

La perte de valeur pour le gouvernement fédéral et les gouvernements régionaux est de 2 milliards d’euros. Pour les 700.000 membres de la société Arco, une solution sera développée correspondant à la garantie de l’Etat pour les comptes d’épargne. La perte du Holding Communal, en théorie, doit conduire à la faillite. Il est possible que les régions et le gouvernement fédéral interviennent pour le maintenir à flot. Mais, pour les communes, cela signifie de toute façon un gouffre financier. Il y a la disparition des dividendes (en 2008, il s’agissait de 8,5 millions d’euros pour Anvers) et aussi la perte de valeur du Holding Communal. Ce holding avait acheté ses actions Dexia à 8,26 € alors que leur valeur boursière a chuté à moins de 1 euro. La collectivité va payer un prix élevé, la seule discussion est de savoir quel niveau va supporter quelle partie du prix.

Enfin, le gouvernement a également engagé la collectivité pour 54 milliards d’euros pour la ‘bad bank’. Si quelque chose va mal – et le nom de ‘bad bank’ indique que le risque est grand – la collectivité intervient. Parmi les 200 milliards d’euros d’actifs dans cette ‘bad bank’, il y a 12 milliards d’euros en obligations des gouvernements d’Europe du Sud et 7,7 milliards d’actifs toxiques. Comme le dit l’économiste Van de Cloot (Itinera): ‘‘S’il y avait seulement de bons morceaux, pourquoi faudrait-il une garantie du gouvernement ?’’

Les agences de notation vont bientôt se pencher sur la solvabilité de la Belgique, qui sera réduite après les garanties que l’Etat a prises en charge. Les belles paroles du gouvernement concernant l’argent que les garanties pour la ‘bad bank’ rapporteront à la collectivité ne sont pas prises au sérieux par les économistes des agences de notation.

La ‘Bad Bank’ : étape vers un scénario grec?

Dans le quotidien flamand ‘De Morgen’ le rédacteur en chef Yves Desmet a dit que la ‘bad bank’ est un énorme pari. ‘‘Si ça tourne mal, le gouvernement met la prochaine génération devant une dette semblable à celle de la Grèce ou de l’Irlande. C’est ni plus ni moins que mettre l’avenir en péril.’’

Un scénario grec en Belgique suite à l’éclatement d’une bulle de spéculation et de crédit, c’est ce que la ‘bad bank’ peut nous apporter. Juste un rappel de ce que signifie ce scénario grec : un doublement du taux de chômage, la chute de moitié du revenu moyen d’une famille grecque au cours des quatre dernières années, une montagne de nouveaux impôts pour les travailleurs et leurs familles, la fin des livres scolaires parce qu’ils ne peuvent pas être payés, 200.000 fonctionnaires en moins,…

De cyniques journalistes placent la responsabilité de ce scénario grec chez les Grecs eux-mêmes. Steven De Foer du ‘De Standaard’ avait écrit le 7 octobre : ‘‘Cette violence, cette protestation arrogante contre les institutions internationales, cette innocence théâtrale, comme si le Grecs sont justes des victimes. (…) Bien sûr, cela n’a pas de sens de réélire pendant des années des politiciens corrompus et de profiter du travail au noir, du népotisme, de la mauvaise gestion,… et après de venir dire que ce n’est pas de sa faute.’’ C’est vrai que le capitalisme met en évidence les éléments les plus mauvais des gens. Dans le cas d’un scénario grec dans notre pays, ce journaleux s’excusera-t-il pour le rôle joué par son journal dans l’élection des politiciens traditionnels ?

Qui suit après Dexia ?

Dexia a ouvert la danse dans cette deuxième phase de la crise financière. Beaucoup l’ont vu venir de loin, mais les responsables ont tout fait pour entretenir l’illusion qu’ils avaient tout sous contrôle. Il y a quelque mois, Jean-Luc Dehaene affirmait qu’il n’y avait aucun problème, pour dire aujourd’hui que Dexia est désormais plutôt un hedgefund.

La garantie de l’Etat pour la ‘bad bank’ de Dexia (une garantie qui représente 15% du PIB) n’est que le début. Que faire si d’autres banques suivent ?

Le FMI a estimé, avant l’épisode Dexia, qu’il faut 200 milliards d’euros pour protéger le secteur bancaire contre les conséquences de la crise de la dette dans la zone euro. Combien faudrait-il si, après la Grèce, le Portugal, l’Italie et l’Espagne entre aussi en difficulté ? Tout semble indiquer que nous allons bientôt avoir une vue plus claire sur ce scénario. Combien d’argent public sont-ils prêts à donner pour sauver les richesses, la position de pouvoir des grands actionnaires et les spéculateurs du secteur financier ?

Gagnants et perdants

Malgré tout l’argent public consacré au sauvetage des banques en 2008, la même culture de la spéculation et de la cupidité est restée à l’ordre du jour. Le manager de Dexia Mariani avait reçu 1,95 million d’euros en 2009 et, en plus de son salaire régulier, il a encore reçu plus de 1 million d’euros en 2010 en cadeau pour sa retraite de 200.000 euros, avec un bonus de 600.000 euros. L’homme avait sans aucun doute travaillé très dur ? Ses notes de frais à l’hôtel – l’hôtel cinq étoiles ‘Amigo’ à Bruxelles – démontrent qu’il était à Bruxelles en moyenne deux fois par semaine. Et c’est bien sûr Dexia qui payait 185 euros par nuit. Sans doute Mariani et Dehaene vont-ils encore encaisser une prime de départ pour quitter le bateau en plein naufrage ?

Les politiciens veulent maintenant nettoyer les débris des vautours avec l’argent public. Les débris sont soigneusement triés dans les ‘‘toxiques’’ (lire: les pertes) qui sont pour la collectivité et une partie rentable qui, par la suite, peut être retournée aux mêmes vautours à prix d’ami. Alors que les spéculateurs sont sauvés, nous sommes confrontés à des projets d’austérité dans la sécurité sociale, les soins de santé, les services sociaux et publics, l’éducation,…

Les principaux actionnaires ont encaissé de gras dividendes des années durant et ont consciemment joué les parasites. Leurs complices dans les médias et la politique ont menti au public et quelques personnes se sont laissé tenter pour placer leurs épargnes et participer à la fête boursière. Cela est maintenant utilisé pour dire que chacun est responsable, y compris ceux qui ont été trompés par cette campagne de propagande massive.

Les responsables de la spéculation, les principaux actionnaires et les managers, n’ont besoin d’aucune compensation pour l’expropriation par le public. Pour les petits actionnaires, une compensation doit être possible sur base de besoins prouvés. Nous ne voulons pas mettre en encore plus grande difficulté ceux qui avaient espéré compléter leur maigre pension avec le revenu de quelques actions.

Il faut aussi que l’épargne et les prêts des travailleurs et de leurs familles soient garantis. La société Arco doit être dissoute, avec une compensation pour les 700.000 membres victimes de la participation de la direction d’Arco au casino de Dexia.

Une alternative socialiste

La nationalisation complète et définitive de Dexia en tant que première étape vers un secteur financier dans les mains du public avec une gestion démocratique

La première banque entièrement détenue par l’État est un fait. Le ministre Reynders suggère que Dexia Banque Belgique peut rester dans la propriété publique pendant des années. Le rédacteur du ‘De Standaard’ Guy Tegenbos n’est pas d’accord : ‘‘une banque n’est pas une tâche essentielle pour un gouvernement.’’ Bien protéger l’épargne et l’utiliser pour accorder des prêts à ceux qui veulent, par exemple, investir en achetant une maison ou au gouvernement pour investir dans des travaux publics nous semble bien être une tâche essentielle de la collectivité.

Le système bancaire et de crédit est trop important pour être laissé aux vautours à la recherche de profits rapides. Il est vrai que cela ne sera pas réglé si ‘nationalisation’ signifie que les banques seraient dirigées par des (anciens) politiciens aux attitudes identiques à celles de leurs copains du privé. Tegenbos écrit: ‘‘Même si l’objectif des administrateurs du gouvernement est d’avoir des services bancaires objectifs, il y aura toujours la tentation de poursuivre des objectifs moins honorables’’.

Une banque publique ne signifie pas automatiquement qu’elle fonctionne au service de la majorité de la population. Ces dernières décennies, de nombreuses entreprises publiques ont été utilisées comme tremplin pour le secteur privé. Elles étaient sellées avec des achats inutiles, une mauvaise gestion et un agenda destiné à servir un noyau d’élite. Pensons à la mauvaise gestion au sommet de la SNCB, où à la faillite orchestrée de la Sabena, après quoi le privé a pu reprendre le morceau intéressant de Brussels Airlines.

L’ensemble du secteur financier doit être retiré des mains du secteur privé afin de pouvoir jouer un rôle socialement utile. Faire de Dexia Banque une banque publique ne peut être qu’une première étape pour prendre l’ensemble du secteur hors des mains des spéculateurs.

Mais un Etat servant les intérêts de l’élite capitaliste n’appliquera pas une telle politique dans les pans de l’économie dont il est propriétaire. Pour échapper à la logique du libre marché, une banque, une société ou une industrie dans les mains du public doit être placée sous le contrôle démocratique des travailleurs.


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