[INTERVIEW] Lidl : Oui, la lutte paie !

Photo : Wikimedia

La vague spontanée de grèves arrache des mesures contre la pression insoutenable au travail

Fin avril, une vague de grèves sans précédent a eu lieu dans la chaîne de supermarchés Lidl. Les magasins ont fermé leurs portes les uns après les autres. Dans plusieurs autres, les discussions sur la grève étaient animées. L’ampleur du mouvement a pris tout le monde par surprise, la direction bien sûr, mais aussi des dirigeants syndicaux. Après une semaine d’action, d’importantes concessions ont été obtenues. La lutte paie ! Nous avons discuté avec Dylan, délégué syndical du BBTK/SETCa chez Lidl, des raisons de la colère, de la grève et des résultats engrangés.

Lidl n’est pas connu pour être un bastion syndical. Cela n’a pas empêché que des pas en avant considérables soient adoptés en faveur des travailleurs fin avril. Comment est-ce arrivé ?

‘‘La charge de travail est lourde depuis bien longtemps et les conditions de travail ont nourri un mécontentement massif. Une grève dans un magasin d’Oostkamp contre un licenciement injustifié, suivi de la rupture de nouvelles négociations sur la pression au travail ont fait déborder le vase. Et la coupe était pleine chez de nombreux autres collègues, d’où le succès et l’ampleur des actions.

‘‘Dans les magasins, il y a souvent très peu d’employés. Il nous arrive régulièrement de devoir faire l’ouverture et la fermeture à trois. S’il n’y a que quatre employés pour gérer la foule du soir ; avec trois caisses, il est impossible pour le collègue restant de faire le reste et d’également aider la clientèle et, bien entendu, irréaliste d’assurer la propreté du magasin.

‘‘Ce nombre limité de travailleurs découle de la volonté de flexibilité imposée par la direction. Quatre cinquièmes du personnel n’obtient qu’un contrat à temps partiel de 24 heures. Et quand on ne travaille pas, on est malgré tout en réserve. Si quelqu’un est malade, on nous téléphone durant nos jours de congé pour venir travailler. Pareil si trop de clients arrivent à l’improviste. Et quand la journée est plus calme que prévu, le personnel est renvoyé chez lui. Essayez donc ainsi de planifier votre vie privée !

‘‘Chez Lidl une personne ayant un contrat de 24 heures peut travailler certaines semaines jusqu’à 36 heures et d’autres seulement 12 heures. Cette flexibilité est nécessaire puisque les magasins travaillent systématiquement en sous-capacité. La productivité par magasin fait l’objet d’un suivi quotidien et s’il n’y a pas assez de clients, le personnel est renvoyé chez lui.

‘‘Le déploiement du personnel ne repose donc pas sur le travail disponible, mais sur le chiffre d’affaires. Dans les magasins de la ville, en particulier dans les quartiers où les gens n’ont pas un gigantesque pouvoir d’achat, le montant des achats par client est plus faible que dans les magasins un peu plus éloignés où les clients se rendent en voiture. Par conséquent, un magasin urbain très fréquenté aura un chiffre d’affaires total moins élevé, ce qui signifie moins de personnel, même si un plus grand nombre de clients passe par la caisse. La direction suppose également que 26 articles par minute sont scannés à la caisse. Tout est calculé de manière très serrée avec un seul objectif : le chiffre d’affaires, et donc les bénéfices qui en résultent. Ce sont ces profits qui font la fortune du grand patron de Lidl, Dieter Schwarz, avec ses 20 milliards de dollars, ce qui fait de lui la 52e personne la plus riche au monde.

‘‘Tout le monde ressent la pression du travail et celle-ci n’est pas compensée par un salaire élevé. La revendication syndicale d’un salaire minimum de 14 euros de l’heure serait un pas en avant pour de nombreux collègues. Les problèmes liés à la charge de travail entraînent un taux de roulement élevé : l’an dernier, 900 employés sur 6.000 ont quitté l’entreprise. Avec un tel rythme effréné, le taux d’absentéisme est également très élevé. L’extrême flexibilité signifie que cela ne peut parfois pas être absorbé sur le lieu de travail, ce qui augmente encore plus la pression sur les autres membres du personnel.

‘‘Nous ressentons de plus en plus qu’il est impossible de faire notre travail. C’est la raison pour laquelle tant de magasins ont fait grève en même temps.’’

Comment la grève s’est-elle déroulée ?

‘‘Après une action du syndicat chrétien menée par les employés LBC-CNE contre un licenciement abusif dans un magasin d’Oostkamp, des négociations ont eu lieu au sujet de la pression du travail. Ces négociations ont été très difficiles. L’impasse lors de celles-ci a conduit le syndicat à parler dans les médias d’une grève générale dans tous les magasins.

‘‘Des négociations avaient déjà eu lieu à ce sujet ; la direction était parvenue à éviter les actions syndicales à coup de promesses. Cependant celles-ci n’ont pas été tenues, ou pas entièrement. Cela a débouché sur un nouveau ‘‘style de gestion’’ où avons tous reçu des brochures proclamant que Lidl serait ‘‘un endroit où il fait bon travailler’’. Mais ces coûteuses brochures n’étaient pas accompagnées de mesures sur le terrain.

‘‘Lorsque le blocage fut complet entre la direction et les syndicats fin avril, un certain nombre de magasins se sont spontanément mis en grève. Un jour plus tard, environ la moitié des magasins étaient fermés. Un certain nombre de délégués ont appelé leurs collègues, mais l’extension de la grève fut largement spontanée. Dans de nombreux magasins, le personnel a décidé de fermer les portes et de rentrer chez lui. Dans d’autres, le personnel en congé a été appelé pour remplacer les grévistes. À certains endroits, des interruptions de travail ont eu lieu durant lesquelles le magasin a temporairement fermé ses portes. Fermer autant de magasins simultanément n’est possible que si le mouvement vient véritablement de la base. La tradition syndicale de Lidl n’est pas si forte, beaucoup de grévistes faisaient leurs premiers pas dans la lutte syndicale.

‘‘Les premières actions ont eu lieu le mercredi 25 avril. Le lendemain, la moitié des magasins était restée fermée. Des tentatives ont été faites pour mettre l’accent sur des différences communautaires. Davantage de magasins ont été fermés en Wallonie et à Bruxelles, mais cela a plus à voir avec les traditions syndicales. L’insatisfaction est la même dans tout le pays et les syndicats sont organisés au niveau national au sein de l’entreprise. Après les grèves d’avril, cette tradition a également fait de grands pas en avant du côté flamand.

‘‘Je me suis moi-même rendu dans plusieurs endroits où le personnel m’avait contacté pour me demander ce qu’il convenait de faire et s’il était possible d’entrer en grève. Beaucoup de choses se sont passées en même temps ; c’était difficile de garder une vue d’ensemble et de discuter des prochaines étapes. En tant que délégué, j’ai essayé autant que possible d’accompagner le mouvement spontané et de mener de nombreuses discussions avec les collègues.

‘‘À ce moment, la direction a reconnu qu’il fallait faire quelque chose. Elle a écouté la revendication d’ajouter un équivalent temps plein par semaine et par magasin (42 heures). Mais la direction voulait au départ n’accepter que 8 heures. Lors de la réunion suivante, cela a été porté à 32 heures, puis à 42 heures.

‘‘Puis, la direction n’entendait accorder ces 42 heures que pour six mois. Par la suite, une convention collective devrait régir l’organisation du travail et la flexibilité. Il y a eu beaucoup de discussions entre les syndicats à ce sujet : la LBC-CNE était d’accord pour prendre ces 42 heures temporaires. Le BBTK-SETCa a exigé que ces 42 heures soient mises en œuvre de manière permanente. Vu que les précédentes promesses n’avaient pas été tenues, la méfiance était grande. Le BBTK-SETCa a décidé de poursuivre la grève avec un certain nombre de magasins supplémentaires qui ont été fermés leurs portes.

‘‘Parmi les collègues, les différentes positions des syndicats ont semé le doute, mais la méfiance à l’égard de la direction était la plus forte. C’est dans ce contexte que le SETCa a bloqué les centres de distribution. Ces actions auraient pu être plus massives, mais cela aurait nécessité l’organisation immédiate de la solidarité de l’ensemble du secteur et même d’autres secteurs. Cela ne s’est pas produit. Bien sûr, tout s’est passé très vite, donc ce n’était pas facile non plus. Distribuer un tract aux clients aurait également été utile.

Comment les clients ont-ils réagi ?

‘‘De manière étonnamment positive. Nous n’avons jamais reçu autant de soutien de la part de nos clients. Bien sûr, ils voient aussi comment nous travaillons et comment les magasins sont gérés. Il y avait beaucoup de compréhension. En outre, de nombreux clients doivent également faire face eux-mêmes à de lourdes charges de travail.

‘‘Lors des grèves de 2014 ou 2016, nous avons régulièrement reçu des réactions négatives aux piquets de grève. La propagande antisyndicale générale dans presque tous les médias a certainement eu un impact à l’époque. Or, ce n’était pas du tout le cas ici. L’enjeu du conflit et le large soutien du personnel en faveur de la grève étaient évidents pour tous les clients.’’
Le 1er mai est survenu un accord. Qu’est-ce que cela implique et qu’en est-il de son application ?

‘‘Il est arrivé après presque une semaine d’action. La direction a accepté les 42 heures supplémentaires par magasin, ce qui signifie que ces heures s’appliquent réellement à chaque magasin et ne peuvent être prises en charge par des transferts entre magasins. La mesure est également prise pour une durée illimitée. Cela sera nécessaire : les négociations relatives à une convention collective sur l’organisation du travail ne progressent pas sans heurts.

‘‘La direction a laissé entendre que les actions de grève avaient eu un impact sur l’image de l’entreprise. Certaines personnes ne voudraient plus être engagées chez Lidl. Ce n’est pas à cause de la grève, mais de l’attitude de la direction ! Si Lidl veut devenir d’un ‘‘endroit où il fait bon travailler’’, il faut prendre au sérieux la thématique de la charge de travail.

‘‘Nous exigeons que les 42 heures supplémentaires par magasin soient ajoutées autant que possible aux contrats à temps partiel existants. Nous avons remarqué que la mise en œuvre de l’accord sera lente. Avec le Setca, nous insistons pour que chaque magasin obtienne effectivement ces 42 heures supplémentaires dès que possible.

‘‘La direction doit en tenir compte. La pression de la grève et la possibilité de nouvelles actions si les engagements ne sont pas mis en œuvre sont fortement ressenties à la table des négociations. La position des syndicats a été considérablement renforcée. Pour maintenir cette situation, nous devons transformer la large participation à la grève de fin avril en un travail syndical plus actif.’’
Quel sera l’impact de cette grève et de ses résultats sur le reste du secteur ?

‘‘Les travailleurs de l’ensemble du secteur subissent une pression croissante sur pour de plus longue plage horaire avec moins d’employés. Le personnel doit également faire preuve d’une plus grande polyvalence entre les différentes fonctions. Dans d’autres chaînes, cela se fait également en travaillant avec des commerçants indépendants (franchisés) ou en démantelant les caisses au moyen de systèmes de self-scan.

‘‘Cela n’existe pas chez Lidl, mais toutes les autres chaînes se tournent vers Lidl pour la flexibilité de son personnel. Idéalement, ils seraient tous ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, avec le moins de personnel possible. Lors des négociations fin avril, la direction de Lidl a laissé entendre qu’elle trouvait l’ouverture dominicale intéressante. Il est important de mettre un terme à cette flexibilité croissante, sinon elle deviendra la norme dans l’ensemble du secteur.

‘‘Nous voulons du personnel avec des contrats à plein temps et de meilleurs salaires. Afin de rendre la charge de travail supportable, une réduction générale du temps de travail à 30 ou 32 heures sans perte de salaire pour tous est nécessaire. En outre, la flexibilité toujours plus grande doit être limitée par de bons accords sur les tableaux de service et de bonnes conditions de travail. Il doit y avoir plus de personnel pour les équipes volantes, des remplaçants pour les collègues malades. En bref, il faut totalement revoir notre organisation du travail.

‘‘Ceci entre, bien sûr, en contradiction avec les bénéfices de l’entreprise. Cependant, nous devons nous demander quelle est la chose la plus importante : servir les clients ou donner des milliards de profits au grand patron Schwarz en pressant le personnel comme des citrons ? Cela soulève la question sur le type de société que nous désirons.’’

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