[INTERVIEW] Fureur et désespoir en Grèce

Nouvelle vague de grèves et de protestations estudiantines – Mais comment arrêter ce tsunami de restrictions ?

Récemment, la troïka (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et Fonds Monétaire International) a débarqué à Athènes pour passer en revue les  »progrès » du gouvernement grec dans son planning sacrificiel (progrès réalisés en échange d’un ultime dégagement de fonds voués au sauvetage du pays). Pendant ce temps, le peuple souffre au-delà de ce qu’il est possible d’endurer. Ces quatre dernières années, les revenus du  »Grec moyen » ont connu une chute spectaculaire de 50%, phénomène que le New York Times n’a pas hésité à comparer à une  »spirale de mort ».

Entretien avec un militant grec

Pertes d’emploi massives, taxes en augmentation et spectre d’une inflation menaçante sont en train de ruiner la vie des travailleurs. Selon le  »Guardian » du 24 septembre dernier, Athènes qui est le port d’attache d’un tiers de la population grecque – laquelle compte pas moins de 11.000.000 d’individus – est frappée par une recrudescence de crimes et de délits divers. Les sans-abri sont en nette augmentation et l’addiction aux drogues n’est plus une réalité marginale. Les journaux mentionnent également le cas de malades psychiatriques éjectés de leur institution faute de place…

Beaucoup de commerçants sont contraints de fermer boutique. Les gens sont réduits à fouiller les poubelles une fois la nuit tombée et les pensionnés ne doivent leur survie qu’aux rebuts des marchés de fruits et légumes. Les taux de suicide connaissent une hausse brutale. Par désespoir, un grand nombre de Grecs retournent à leur misère rurale, ou viennent gonfler le plus grand exode qu’on ait connu depuis quarante ans.

Ce contexte désespéré est habituellement associé à la crise du néo-colonialisme ou à l’écroulement de l’ancienne Union Soviétique. Mais cette tragédie humaine est indissociablement liée à ce qui – jusqu’à récemment – était supposé être  »la glorieuse histoire du projet-euro » des capitalistes européens. L’annonce, par le gouvernement PASOK de G. Papandreou de prochains licenciements massifs, d’une nouvelle augmentation des taxes ainsi que d’une diminution du montant des retraites, a provoqué une frustration et une colère colossales et déclenché une nouvelle montée d’actions revendicatives. Des étudiants occupent déjà des universités en guise de protestation contre les nouveaux honoraires et les plans de privatisation. Mais après les grèves générales et l’occupation des centres villes qui ont eu lieu ces derniers mois, il est permis de se demander comment les travailleurs et la jeunesse grecque pourront encore stopper le tsunami des restrictions.

Nous rapportons ci-dessous un entretien avec Nikos Anastasiades, (Xekinima (CIO-Grèce) paru fin septembre dans le journal  »The Socialist », hebdomadaire de nos camarades du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles).


Débats: Jeunes en lutte en Europe: Unifions la Résistance !

Avec des participants aux luttes en Grèce et en Espagne : Donna Litzou, étudiante active en Grèce, Xekinima et Clara Aguila, jeune espagnole indignée de Barcelone, Socrev


Pourriez-vous expliquer brièvement ce que les mesures d’austérité signifient pour la majorité des Grecs ?

Le gouvernement a récemment annoncé quelques nouvelles mesures d’austérité. Le terme  »nouveau » est d’ailleurs en train de devenir un prétexte à rire pour l’évidente raison que le gouvernement annonce de nouvelles mesures chaque semaine.

Après la ruine des niveaux de vie causée par de précédentes offensives, le gouvernement a maintenant annoncé des mesures qui mèneront à un surcroît d’agressions à l’encontre de la classe des travailleurs. Ces véritables  »charges » contre le peuple grec comprennent entre autres les licenciements des travailleurs du secteur public (il est prévu de saper dans le secteur public en renvoyant 200.000 travailleurs sur 750.000 dans les toutes prochaines années). Ce plan démarrera cette semaine par la  »mise au placard » de milliers d’ouvriers. Les salaires du secteur public seront aussi réduits de 50% en moyenne. Le gouvernement projette de taxer les travailleurs aux revenus les plus bas, mesure qui serait elle-même combinée à l’instauration d’une autre taxe affectant cette fois la cellule intouchable du  »ménage » lui-même. Par ailleurs, le gouvernement de Papandreou a l’intention de doubler le prix du fuel à usage domestique…

En plus de tout ceci, des menaces visent actuellement les fonds consacrés à l’enseignement et à la mise en place d’un budget consacré aux frais de scolarité universitaires.

Avant la crise politique et économique actuelle, la Grèce était l’un des pays les plus pauvres de l’Union Européenne. Ces insoutenables répressions économiques vont plonger la société dans un état de pauvreté absolue et créer une génération perdue composée de gens inutiles.

Tout récemment, des rapports officiels ont montré que le nombre de suicides pour raisons économiques a doublé l’an dernier…

Des politiciens capitalistes et des financiers internationaux prétendent que ces restrictions gouvernementales sont nécessaires pour secourir l’économie de la Grèce. Mais quelle est la réelle situation économique ?

Après son passage en Grèce en 2009, le Fonds Monétaire International a fait savoir que le pays sortirait de la récession dans pas moins de deux années et serait dès lors dans une meilleure position pour rembourser sa dette souveraine. Mais le FMI se trompait et, aujourd’hui, la situation économique est pire encore. On nous dit que si nous satisfaisons les exigences des marchés, nous serons  »mieux lotis » mais, à chaque fois que nous donnons satisfaction aux marchés, ceux-ci se montrent plus avides. Autant dire qu’ils nous jettent dans un puits sans fond.

Cette année tous les paramètres indiquent que l’économie grecque diminuera de 5%. Beaucoup d’usines et d’entreprises vont connaître la faillite et fermer leurs portes. Officiellement, il y a 600 chômeurs supplémentaires chaque jour. Le taux de chômage est de 16 % – soit l’équivalent de 800.000 travailleurs – et a doublé en seulement trois ans (selon le gouvernement l’emploi inclut tout qui travaille une heure ou plus par semaine).

Et pourtant, cet immense désastre économique n’a pas même contribué à réduire, fût-ce d’un peu, le déficit. En fait, le gouvernement a raté tous ses objectifs financiers. Les revenus de l’Etat sont en baisse en raison d’une base fiscale précaire due à la récession alors que la dépense concernant les allocations de chômage est en augmentation (bien que le montant de ces allocations reste très bas). Le seul chiffre qui continue à croître concerne les milliards d’euros affectés au remboursement de la dette envers les banques, les créanciers internationaux mais aussi l’aide financière aux banques locales. Ces chiffres sont décidément les seules choses dont le gouvernement semble se soucier.

Comment les travailleurs, ou plus généralement les gens, réagissent-ils face à ces atteintes à leur niveau de vie ?

La population est partagée entre l’angoisse et le désespoir. Beaucoup souffrent du chômage ou sont incapables de joindre les deux bouts. Mais, dans le même temps, quasi tous comprennent la nécessité de résister et ils la comprennent d’autant mieux qu’ils ne voient pas de fin aux mesures d’austérité du gouvernement.

En juin de l’année dernière, des mobilisations massives ont vu débouler deux millions de gens – les indignés – dans les rues pour protester contre les mesures menaçant leur niveau de vie. Des grèves et des manifestations violentes ont éclaté aussi chez les travailleurs.

Notre problème ne réside pas dans une  »inaptitude » à la résistance mais dans le fait que la direction syndicale n’est pas à la hauteur de la tâche qui l’attend et qui nous attend.

Face au projet concocté par une classe dirigeante capitaliste – projet qui consiste à détruire notre niveau de vie – les leaders syndicaux appellent parfois à vingt-quatre heures de grève générale. Mais ils le font sans l’apport d’un plan concret qui permettrait de faire chuter le gouvernement. S’ils agissent toutefois ainsi, c’est en partie pour réduire la pression qu’ils sentent peser sur eux. Mais ils échouent à offrir une alternative sérieuse, que ce soit aux mesures de répression du Pasok ou à la défense du niveau de vie des gens. Ils ne s’engagent pas comme il le faudrait dans un dialogue démocratique avec l’union des syndicats et les adhérents.

Quand ils sont mobilisés, les gens ont conscience du potentiel de leur propre pouvoir mais, paradoxalement, ils ne réalisent pas qu’à travers ce pouvoir ils détiennent un outil capable de les mener à la victoire.

Une grande partie des partis de gauche connaissent différentes sortes de problèmes. Le parti communiste (KKE) avance des slogans qui, parfois, interpellent en ce sens qu’ils touchent au noyau dur de la crise capitaliste, mais la démarche du KKE reste incroyablement sectaire dans la mesure où ce parti refuse d’organiser le combat au-delà de ses propres rangs.

Syrisa, un vaste parti de coalition, ne prend pas d’initiatives politiques et ne propose aucun programme capable de provoquer le soulèvement général qui permettrait d’affronter la crise et de faire tomber le gouvernement.

Quelle est l’alternative socialiste proposée par Xekinima pour stopper l’hémorragie et fournir aux gens une solution à la crise ?

Si cette politique d’austérité perdure, il n’y aura pas d’avenir pour les travailleurs et la jeunesse grecs. Car si le gouvernement, le FMI et les banques continuent sur leur lancée mortifère, ils propulseront le niveau de vie des gens vers des profondeurs de plus en plus abyssales. La seule façon de mettre fin à cette politique d’étranglement économique est de stopper le remboursement de la dette. Il faut cesser de rembourser ceux qui sont responsables de la crise, à savoir les institutions bancaires.

Cela requiert de coordonner les différents mouvements de protestations et de luttes ouvrières autour d’un programme de revendications socialistes afin d’en finir avec la crise capitaliste et d’aller de l’avant.

Nous en appelons à la nationalisation des banques et à la re-nationalisation des services privatisés. Nous voulons nationaliser les hautes instances de l’économie sous le contrôle démocratique des travailleurs de façon à faire fructifier – via la création d’emplois – cette manne prodigieuse de ressources et de richesses créées en premier lieu par les travailleurs Grecs.

Les luttes des travailleurs et de la jeunesse grecs devraient être associées à une perspective internationale, elles le devraient parce que la crise capitaliste affecte les travailleurs du monde entier. Il ne saurait y avoir de solution locale à la crise, ou qui soit la seule propriété d’un état nation. Les travailleurs ont besoin de se battre pour une Europe qui défende les intérêts de leur classe, pour une fédération socialiste des états européens.

En Grèce, ce qui nous attend, c’est la perspective immédiate d’un renouvellement des grèves et l’imminence d’une mobilisation de grande ampleur contre les taxes abusives tels que l’impôt sur les ménages. Il faut également compter sur un sérieux mouvement de révolte en réaction aux mesures visant les écoles et les universités.

Si toutes ces luttes se rejoignaient pour n’en former qu’une seule, elles pourraient réussir à renverser le gouvernement et faire valoir une stratégie différente pour mettre fin à la crise.


Plus d’austérité, plus de misère

Le gouvernement Pasok vient pourtant d’en  »rajouter une couche » en matière d’austérité et ses nouvelles mesures viennent encore alourdir, comme un  »extra » amer, un bilan d’agressions sauvages ciblant l’emploi, les pensions, le salaire minimum garanti… avec pour résultat un effondrement (de 50 % en moyenne !) du revenus des ménages. Ces nouvelles répressions économiques signifieront :

  • Que le montant mensuel des pensions dépassant le seuil des 1.200 euros sera amputé de 20% et que tout qui prendra sa retraite en dessous de 55 ans connaîtra une diminution de 40 % sur le montant mensuel de sa retraite si celle-ci dépasse le seuil des 1000 euros.
  • Que le nombre de fonctionnaires acculés à percevoir une rémunération partielle augmentera de 50% (pour atteindre 30.000 personnes) à la fin de l’année. S’ils ne peuvent pas être réengagés dans l’année, ils seront licenciés. En somme, le gouvernement est en train de faucher 200.000 emplois sur les 750.000 que comptait la fonction publique…

    Quant à l’impôt sur le revenu calculé en fonction du montant des salaires annuels, il verra son seuil baisser, passant de 8.000 euros à 5.000…

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