“1968 – L’année qui n’en finit pas” (Paul Goossens)

Ce livre est sorti au beau milieu de la tentative de la N-VA de revendiquer le mouvement ‘Leuven Vlaams’, 50 ans après les faits. L’auteur, Paul Goossens, fut à la tête du mouvement ‘Leuven Vlaams’ et plus tard rédacteur en chef du quotidien ‘De Morgen’. Il est le seul à recevoir un forum dans les médias flamands pour répondre à la N-VA. En décrivant le mouvement et le rôle que le Mouvement Flamand (dont la N-VA est l’héritière) n’a pas joué, Goossens va à l’encontre de la falsification historique de Bart De Wever.

Par Anja Deschoemacker

Goossens montre à quel point le slogan ‘‘Walen Buiten’’ (les Wallons dehors) – systématiquement utilisé dans la presse francophone pour décrire le mouvement ‘Leuven Vlaams’ – était celui de la première phase, non massive, de la lutte. Cette dernière était à ce moment-là dominée par les étudiants et les professeurs nationalistes flamands ‘‘folkloriques’’. Ce slogan a été mis de côté par le mouvement et activement combattu pour ne plus apparaître que sporadiquement dès 1967.

Les conclusions du livre à propos de l’héritage de Mai 68 sont toutefois très limitées et – c’en est presque pénible – restent cantonnées au sein du cadre capitaliste. De plus, c’est un livre de type journalistique, pas un manifeste politique. L’écrivain est à son apogée lorsqu’il décrit avec animation comment, pour les étudiants, il était question de bien plus que d’exigences linguistiques, qu’il s’agissait, au contraire, d’une volonté de changement social profond. À ce sujet, un reportage de 2008 de la RTBF comprenant des interviews détaillés de Paul Goossens vaut également la peine. Malheureusement, la conclusion implicite semble être que cet appel au changement social était naïf et utopique.
Tandis que Ludo Martens créait avec la majorité des dirigeants du SVB (syndicat étudiant) le parti Amada, un groupe maoïste sectaire qui deviendra plus tard le PTB, Paul Goossens s’est éloigné des idées socialistes qu’il considère comme appartenant à l’idéologie totalitaire du siècle dernier. Le socialisme se limite à ses yeux à l’Union soviétique stalinienne bureaucratisée ou à la Chine. Cela fait de lui un réformiste obstiné, avec toutes les limitations qui en découlent.

Son évaluation du mouvement ‘Leuven Vlaams’ et de Mai 68 se limite donc à l’idée qu’il s’agissait d’un dernier soubresaut des Lumières. Il entretient l’illusion que la véritable ‘égalité, liberté et solidarité’ serait possible sans un changement fondamental de la société, sans une révolution socialiste. Paul Goossens ne le dit pas explicitement mais, en insérant Mai 68 dans le cadre des Lumières, il reste expressément dans le carcan du capitalisme. Il s’en tient à un combat pour un capitalisme démocratique. Nous pensons au contraire que la révolte massive des années 1960 qui a duré jusqu’au milieu des années 1970 faisait partie de la lutte pour le socialisme.

C’est un mouvement qui diffère fondamentalement des vagues révolutionnaires précédentes (la Révolution russe, allemande ou espagnole, la grève générale insurrectionnelle de ‘60 -’61 en Belgique,…) en ce sens que les partis dominants de la classe ouvrière – aussi bien la social-démocratie que les partis communistes – n’avaient aucun contrôle sur le mouvement et s’y opposaient largement. La critique de ces partis par les étudiants en révolte fut donc vive, entre autres à propos de leur rôle dans le colonialisme et leur attachement aux États-Unis (dans le cas de la social-démocratie).

L’absence totale d’orientation donnée par les organisations ouvrières établies (le PSB, les syndicats et le Mouvement ouvrier chrétien) participe à expliquer que les idées des militants étudiants allaient alors dans tous les sens. La manière spécifique dont la révolution coloniale s’est déroulée, le développement de la méthode de guérilla, la Révolution culturelle en Chine,… tous ces courants avaient un attrait pour les jeunes de gauche. Amada (qui deviendra plus tard le PTB) fut l’expression organisationnelle la plus importante de Mai ‘68 en Flandre, bien qu’Agalev (l’ancêtre de Groen) puisse également être considéré comme une pousse plus tardive du mouvement.

Paul Goossens n’aborde pas la position des partis révolutionnaires de l’époque, aussi mal préparés que les étudiants et bercés d’illusions vis-à-vis de Tito, Mao et Castro. Ils avaient perdu leur orientation vers la classe ouvrière de leur propre pays. Cela ressort également de l’article du ‘Solidair’(1) dans lequel Herwig Lerouge, ayant fait partie du groupe d’origine autour de Ludo Martens et Paul Goossens à la tête du SVB, décrit le mouvement ‘Leuven Vlaams’. Le lecteur intéressé peut en savoir plus à ce sujet grâce au livre d’Eric Byl ‘‘Le PTB et le PSL, différences et points de rencontre possibles dans la construction d’une alternative politique.’’

Beaucoup de remarques donc, mais l’ouvrage permet d’appréhender ce qui s’est passé à l’époque et de s’armer pour contrer les tentatives de récupérations des événements par la N-VA. Mais, pour des leçons plus poussées, il faut chercher ailleurs.

(1) Solidair (version néerlandophone du magazine du PTB) : “Mei ’68 – De Commune van Leuven, Solidair, mai-juin 2018.

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