Leuven Vlaams : Une révolte étudiante anti-autoritaire parachève l’émancipation flamande

Kroon, Ron / Anefo – Collection Anefo. Archives nationales, Den Haag, n°2.24.01.05, 921-0003. (Prise à partir de Wikipedia)

A l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, nous trouvons intéressant de revenir sur la lutte étudiante de masse pour la scission linguistique de l’Université de Louvain. Aujourd’hui, 50 ans plus tard, la N-VA veut reprendre à son compte le ‘‘Leuven Vlaams’’. Si l’on considère l’affaire de Louvain uniquement comme la dernière mobilisation de masse pour l’émancipation flamande – sans faire de lien avec la vague de protestation mondiale de la jeunesse autour de ‘‘Mai 68’’ – on ne peut pas comprendre pourquoi cette prétention de la N-VA est si étrangère aux leaders étudiants de l’époque.

Par Anja Deschoemacker

A l’image de nombreux soixante-huitards, le journaliste progressiste Paul Goossens comporte une bonne dose de cynisme en lui, alimentée par la déception qui a suivi ce combat. Mais le leader du Studentenvakbond (scission de gauche du syndicat estudiantin catholique KVHV) reste l’un des derniers témoins qui a participé aux événements du Leuven Vlaams en première ligne. Et il a la justesse d’affirmer que la N-VA falsifie l’histoire du mouvement.

Bart De Wever a déjà exprimé à plusieurs reprises son aversion pour le mouvement de mai 68. Il veut en liquider l’héritage qui se réduit, à ses yeux, à un ‘‘nihilisme identitaire’’ où ‘‘toute autorité et tradition’’ a été effacée ‘‘pour faire place à l’individu’’. (HLN, 24/02/2018).

Il se garde bien de préciser que cet élément important de l’émancipation flamande, la fermeture de la section francophone élitiste francophone de l’université de Louvain, a précisément été obtenue par une lutte dirigée par de jeunes anticapitalistes tels que Ludo Martens, également connu comme le fondateur de ce qui est aujourd’hui le PTB, et Paul Goossens. Eux seuls – avec leurs idées anti-autoritaires caractéristiques de la génération de mai 68 – ont pu mobiliser le nombre nécessaire à la réalisation de cette revendication flamande.

Ils l’ont fait en développant leur lutte en toute indépendance du mouvement flamand de l’époque et même à l’encontre de sa direction. Lorsque la lutte est entrée dans sa phase de masse en 1966, le slogan ‘‘Walen buiten’’ (les Wallons dehors) a disparu à l’arrière-plan pour être remplacé par ‘‘Leuven Vlaams’’ et ‘‘Bourgeois buiten’’ (les bourgeois dehors) ou même ‘‘Revolutie’’. Un personnage tel que Bart De Wever n’a rien à voir avec cette tradition, il est l’héritier de l’aile droite conservatrice de l’ancienne Volksunie, qui soutenait la revendication de la flamandisation de l’Université de Louvain, mais qui s’est révélée incapable de construire le mouvement pour y parvenir.

Cette lutte réunissait tous les éléments nécessaires à un ‘‘mai 68’’ flamand :

  • La démocratisation de l’enseignement, pour des universités populaires, accessibles à tous. Ils n’ont d’ailleurs pas seulement revendiqué de disposer d’une université où les travailleurs flamands pourraient envoyer leurs enfants, mais aussi la création d’une université en Wallonie dont l’accès ne serait pas limité à la couche privilégiée des étudiants francophones de Louvain. Ils voulaient que ces universités fonctionnent démocratiquement, sans direction bureaucratique et élitiste. C’est tout l’inverse de la vision élitiste de l’enseignement de De Wever.
  • Le rejet de la morale dominante et du rôle réactionnaire de l’Église catholique. Le mouvement ne s’est vraiment développé qu’après le 13 mai 1966, quand les évêques ont signifié qu’ils ne voulaient pas entendre parler de scission de l’université. Les évêques voulaient protéger le CVP-PSC et mettre fin aux divisions croissantes au sein du parti. La résistance massive et soutenue des étudiants de Louvain a fait voler ce scénario en éclats : le gouvernement est tombé et les chrétiens-démocrates belges se sont scindés en deux ailes, flamande et francophone, en 1969.
  • La recherche d’un lien avec le mouvement ouvrier et une orientation politique qui, en dépit d’une très grande diversité, était clairement de gauche. Ce lien avec la classe ouvrière ne sera pas établi en Belgique en 68, contrairement à la France. La gauche politique, surtout le PS, ne s’intéressait pas à la révolte des étudiants, la direction syndicale était liée à ses partis. Les étudiants ont exprimé leur soutien à la résistance des travailleurs, mais n’ont pas réussi à susciter l’enthousiasme. Leurs revendications et slogans étaient peut-être anticapitalistes, mais ils n’avaient aucune approche transitoire, aucune idée de la manière dont ces idées pouvaient être réalisées. A Louvain, comme en France, la lutte a pris fin parce qu’aucune force politique de gauche n’était capable ou disposée à lui donner une direction politique.

La direction du mouvement flamand de l’époque (la Volksunie, le parti dont la N-VA est issue) était horrifiée par cette résistance radicale à ‘‘toute autorité et tradition’’. Tout comme De Wever. Les nationalistes flamands revendiquent le Leuven Vlaams puisque de nombreux dirigeants d’origine ont disparu de la scène politique et/ou médiatique. Ici comme sur d’autres thèmes, De Wever l’historien veut contrôler l’histoire. A l’occasion du 50e anniversaire de mai 68, mettons également Leuven Vlaams sous les feux de la rampe et rendons justice au mouvement en contrant la falsification historique de De Wever.

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