Quatre mensonges patronaux démontés

Les patrons reviennent systématiquement avec les mêmes arguments : coûts salariaux trop élevés, nécessité de diminuer les charges,… et proposent que l’on doive travailler plus longtemps ou assainir. A force de répétition, on commence parfois à y croire, et c’est bien pourquoi ils ne se gênent pas pour le faire, quitte à franchement entrer dans la démesure. Avec ce dossier, nous voulons démonter les quatre principaux mythes de la rhétorique patronale.

Par Geert Cool

1 ‘‘Les coûts salariaux élevés minent la compétitivité’’

Cet argument est destiné à intimider les revendications salariales et à remettre en cause l’indexation des salaires. On a été jusqu’à faire une loi pour comparer l’évolution des coûts salariaux en Belgique avec celle de nos pays voisins. L’argument du patronat est simple: si l’on veut maintenir l’économie, les salaires (ou au moins les coûts salariaux) doivent baisser. Ce modèle est aussi connu sous le nom de ‘‘modèle allemand’’

Cet été, Fons Verplaetse, gouverneur honoraire de la Banque Nationale, a dénoncé ce mythe dans l’hebdomadaire flamand Knack. Il y a comparé l’évolution des coûts salariaux horaires dans les secteurs privés belge et allemand en se basant sur les Rapports Techniques du Conseil Central de l’Economie, une source dont les patrons ne peuvent contester l’objectivité. Il a de plus utilisé des moyennes calculées sur trois ans pour éviter tout fruit du hasard et a comparé ces données avec l’évolution du pourcentage des exportations du marché belge (chiffres de l’OCDE et d’Eurostat). ‘‘Spontanément, tout le monde a tendance à penser que les exportations de notre pays vont beaucoup diminuer si les coûts salariaux augmentent plus fortement que dans les pays voisins, mais les chiffres objectifs démontrent le contraire’’ conclut-il.

Entre 1999 et 2004, la différence entre le coût des salaires dans notre pays et les pays voisins a diminué de 0,7% mais, à partir de 2001, notre pays a également perdu de plus en plus de part de marché dans l’exportation (2,4%). À partir de 2004, les coûts salariaux ont augmenté de 4,2% plus vite que dans les pays voisins, alors que la diminution de la part de marché était de 0,5%. Verplaetse déclare : ‘‘Les chiffres démontrent donc clairement qu’il n’existe certainement pas de relation positive entre les coûts salariaux et la perte de part de marché.’’ Selon Verplaetse, la perte de part de marché est due à un ensemble complexe d’éléments, comprenant entre autres la stratégie du prix de vente et des éléments plus structurels comme la recherche et le développement, l’innovation et l’entreprenariat.

Diminuer les salaires mène par contre au rétrécissement du marché interne, dans la mesure où l’exportation est plus facile vers les pays dont on importe aussi, et donc cette diminution des salaires mine notre propre position d’exportation. La diminution des salaires a pour unique objectif de servir à court terme le propre intérêt d’une poignée de riches.

2 “Une pression fiscale trop élevée”

Cet argument est utilisé pour revendiquer des diminutions de charges pour les employeurs, car cela conduirait à une augmentation du nombre d’emplois. En réalité, les employeurs semblent payer déjà bien peu d’impôts, et ces diminutions n’ont pas entraîné de nouveaux emplois.

Le célèbre milliardaire Warren Buffet a récemment expliqué qu’il trouvait remarquable que lui et ses amis ne doivent payer que si peu d’impôts. Les diminutions d’impôts ayant surtout été introduites après 2000 aux USA, Buffet s’étonne de constater que 40 millions d’emplois ont été créés entre 1980 et 2000 ‘‘et vous savez ce qui a été observé par la suite : des taux d’impôts plus bas et une croissance d’emplois encore plus basse.’’

Les grandes entreprises paient de moins en moins d’impôts en Belgique, certains disent même que le pays est devenu un paradis fiscal. La CSC a démontré que le taux d’imposition réel pour les entreprises a diminué de 19,9% en 2001 jusqu’à (à peine) 11,8% en 2009. Une des explications les plus importantes est la fameuse Déduction des intérêts notionnels. En 2009, les entreprises ont payé 93,956 milliards d’euros d’impôts sur les sociétés mais si le taux d’imposition de 2001 avait été appliqué, l’État aurait perçu 7,6 milliards d’euros de revenus supplémentaires. La CSC parle d’une ‘‘hémorragie fiscale massive’’.

Les intérêts notionnels et autres mesures similaires n’ont pas conduit à la création de nouveaux emplois, aucune différence significative n’existant entre le nombre de nouveaux emplois avant et après l’introduction de cette mesure favorisant les grandes entreprises. Dans les 20 entreprises qui ont le plus bénéficié des intérêts notionnels (qui représentent un tiers du coût de la mesure, soit 5,6 milliards d’euros), il n’y a que 242 employés de plus qu’en 2007. Sans l’entreprise GSK Biologicals uniquement, il y aurait même une diminution de 347 emplois.

3 ‘‘Nous devrons travailler plus longtemps’’

Dans bon nombre de pays voisins, l’âge de la retraite a été augmenté jusqu’à 67 ans. Chez nous aussi, le patronat plaide en la faveur de cette augmentation avec une argumentation toute simple : nous vivons plus longtemps. C’est indéniable, mais ce n’est pas le seul élément à prendre en compte.

Il y a par exemple l’augmentation de la productivité, qui fait que nous produisons davantage durant la période pendant laquelle nous travaillons. Cet élément est systématiquement mis de côté par le patronat. Entre 1964 et 2002, il s’agissait d’une augmentation de 215%. Cela provoque une forte augmentation du stress et de la pression au travail, il n’est donc pas évident de travailler plus longtemps que 60 ou 65 ans.

De plus, le montant des pensions diminue par rapport aux salaires. Une pension moyenne ne représente plus que 60% du dernier salaire. Un quart des pensionnés vit même en dessous du seuil de pauvreté. La diminution de la pension légale et les augmentations continuelles de productivité des travailleurs font que le budget total pour les pensions dans le PIB (produit intérieur brut) n’augmentera pas durant les années qui viennent.

Il est remarquable de voir comment le patronat plaide à la fois pour la prolongation de l’âge de la retraite et se retrouve en même temps en toute première ligne pour faire appliquer les mesures de prépension lors des restructurations. Pour les employeurs, il ne s’agit pas tellement de l’âge de la retraite, mais bien de la poursuite du démantèlement de la pension légale et de la sécurité sociale.

4 ‘‘Le gouvernement a vécu au-dessus de ses moyens et doit épargner’’

L’astronomique dette de l’État est utilisée par le patronat pour en appeler à de sérieuses coupes budgétaires. L’augmentation récente des dettes de l’État est la conséquence de la prise en charge des dettes privées par la société. Après s’être délestés de leurs propres dettes sur le dos de la collectivité, les patrons et les banquiers exigent de celleci qu’elle paie immédiatement les dettes. La course aux profits s’accompagne d’une belle arrogance à l’égard des travailleurs.

Car nous devons être bien clairs, ceux qui devront payer les dettes, pour les employeurs, c’est nous. Le président de la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique) avait déclaré dès le début de la crise : ‘‘nous devons ajuster nos attentes d’augmentation systématique du bien-être en Occident. Notre système n’est psychologiquement et financièrement pas structuré pour ça. Un processus d’adaptation est nécessaire.’’ Traduisons : le niveau de vie d’un travailleur doit diminuer.

Les politiques d’assainissements conduisent à une amplification des problèmes économiques. Même les économistes néolibéraux renommés doivent maintenant le reconnaitre. Marc De Vos du ‘‘Think Tank’’ Itinera en fait partie. Dans le Knack, il a parlé de l’option d’assainissements très durs : ‘‘Des coupes budgétaires drastiques et des réformes européennes sont sensées réveiller les marchés financiers. Mais cela semble fonctionner difficilement. D’un côté, le remède semble pire que la maladie, dans le sens qu’il envoie l’économie à la catastrophe, ce qui fait qu’un pays comme la Grèce se retrouve dans une spirale infernale sans perspectives et avec de plus en plus de dettes. De l’autre, la population ne peut pas continuer à avancer sans perspective, les protestations en rue en témoignent. Et sans coopération de la part de la population, aucun programme de réformes ne peut réussir.’’

Pendant que la droite et les employeurs exigent des contre-réformes et des assainissements, selon le Financial Times, la relativement bonne position économique de notre pays est due au fait que, en Belgique, on ne mène pas encore de politique économique très dure. La droite veut changer cela, en suivant le modèle irlandais de baisse de charges patronales, le modèle allemand de bas salaires, le modèle français de réforme des pensions, mais aussi le modèle britannique d’assainissements très durs. Peut-être De Wever devrait-il vérifier ce pourquoi les économies des pays qu’il met en avant comme modèles tombent les unes après les autres ?

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