Des danseuses en résistance contre le sexisme

Des groupes #Metoo ont créé de nouveaux espaces dans lesquels les femmes brisent le silence concernant le harcèlement sexuel. Afin de mieux comprendre ce phénomène, nous avons interrogé Ilse Ghekiere, l’une des danseuses et initiatrices de #Wetoo #Makemovement en Belgique.

Propos recueillis par Marisa

La mise en commun de témoignages individuels révèle, d’une histoire à une autre, la répétition de certains schémas. Pourrais-tu expliquer certaines situations récurrentes de harcèlement dans le milieu de la danse ?

‘‘Une situation récurrente est la combinaison du manque d’opportunités avec le caractère physique de la profession. Très souvent, le dépassement des limites est perçu comme faisant partie intégrante du boulot. Mais il y a une confusion entre aider quelqu’un à explorer ses limites et pousser cette personne dans des situations où celle-ci ne veut pas s’aventurer. Les gens traversent de très longues auditions qui, une fois qu’ils décrochent le boulot, les amènent presque à se sentir comme ‘‘l’Élu’’. Tu dois presque te sentir honoré d’avoir obtenu le boulot. Cela rend le métier de la danse vulnérable. C’est également un secteur dans lequel le personnel et le privé se confondent aisément, puisque tout est mesuré en fonction de standards subjectifs. Puisque la danse est une forme d’art physique, le boulot devient souvent une façon de tester tes limites personnelles et peut-être aussi sexuelles. J’entends aussi beaucoup d’histoires tristes concernant les premières années. Des personnes ont le sentiment d’être engagées pour leur personnalité, plutôt que pour leurs compétences artistiques. Engagées pour être une muse, pour réaliser un certain travail émotionnel, qui parfois implique des insinuations sexuelles. C’est très décevant pour de jeunes femmes qui veulent avoir un boulot et qui souhaitent le prendre au sérieux.’’

Pourrais-tu expliquer comment le groupe #Wetoo dans la danse s’est développé ?

‘‘Rekto:Verso (un magazine culturel) voulait que j’écrive un article sur ma recherche portant sur le sexisme dans le milieu belge de la danse. L’affaire Weinstein survint lors de la dernière réécriture de l’article. Le premier jour où l’article parut, il a obtenu une importante attention médiatique. C’est en partie dû au fait qu’en Belgique, ou du moins en Flandre, #Metoo tourna principalement autour d’un directeur de télévision, avec beaucoup de déni dans les autres secteurs de la société.

‘‘J’avais déjà parlé avec beaucoup de personnes du secteur de la danse. Quelques collègues scandinaves soulevèrent l’idée de créer un groupe Facebook #Wetoo. L’initier fut vraiment une bonne chose, car des connexions purent être établies avec des personnes qui se penchaient déjà sur ce sujet. Je sentais également le besoin de nous rencontrer, et pas uniquement en ligne. Nous avons commencé à nous réunir et les gens se sentirent bien plus à l’aise. Nous avons collectivement rédigé une déclaration et créé le site Engagement. La campagne fut lancée à l’occasion d’un évènement au Kaaitheater à Bruxelles, la même semaine que la Journée internationale des femmes.’’

Depuis le lancement de la campagne antisexiste engagementarts.be, des chorégraphes bien connus se sont manifestés dans la presse. Que penses-tu de leurs réactions ?

‘‘Certaines personnes pensent que la déclaration est ‘’extrême’’. Je pense que nous sommes en fait en train d’introduire la campagne de façon plutôt respectueuse. Il y a par exemple un espace pour s’excuser, un espace pour venir à bout de la culture misogyne et participer au changement. Les manifestes féministes sont connus pour être des trouble-fêtes. Je pense que cela indique à quel point les gens craignent l’idée de réellement questionner le patriarcat. Ce que nous pouvons juste faire, c’est de continuer à porter cette radicalité dans le débat, parce qu’autrement, tu passes ton temps à tourner autour d’un certain statu quo.’’

Quel rôle ont joué les syndicats ?

‘‘Acod Cultuur (le syndicat socialiste flamand des artistes, des techniciens et des travailleurs culturels des arts, des médias et de l’ensemble du domaine socioculturel, ndlr.) et LBC Cultuurvakbond (son homologue chrétien, ndlr.) furent d’un grand soutien. Ils nous ont soutenues en rencontrant d’autres partenaires du milieu, mais aussi en offrant une aide financière supplémentaire. Je pense qu’ils estiment que ce type de sensibilisation est mieux réalisé par les artistes, ce qui est très judicieux de leur part. À partir du moment où quelque chose est fait par les gens sur le terrain, ils semblent être disposés à montrer leur soutien. Le travail que nous sommes en train d’accomplir pour le moment serait difficile s’il était réalisé à travers la structure lourde d’un syndicat.’’

Quelles sont les prochaines étapes ?

‘‘Le but principal du site est de voir s’il y a des gens provenant d’autres disciplines artistiques qui seraient intéressés à mener la campagne ou à former une plateforme pour porter cette discussion au sein de leurs propres domaines. Nous organiserons des rassemblements, des discussions et continuerons de recueillir des témoignages.

‘‘Un autre projet consiste à organiser une session en anglais pour la formation de personnes de confiance, puisque la communauté de la danse est une scène très internationale, et que ce type d’initiative n’existe pas encore. Je suis également la seule artiste indépendante à faire partie d’un groupe de travail du département flamand de la culture qui traite des problèmes de harcèlement dans le secteur culturel. Je pense que certains changements structurels peuvent se produire. Je pense que nous devons oser nous soutenir mutuellement et rompre radicalement avec cette approche néolibérale et individualiste de l’art. Tout le monde essaie de survivre chacun de son côté, parce que nous ne réfléchissons ni à long terme ni collectivement. Très souvent, nous ne connaissons pas non plus nos droits et n’osons pas nous battre pour ceux-ci. Dans cette situation le plus important est alors d’obtenir un boulot, même si les conditions sont mauvaises.

Une délégation de #Wetoo était présente à la manifestation du 8 mars à Bruxelles.

‘‘Oui, c’était juste incroyable et je n’ai pas de doute que chacune du groupe serait d’accord avec cela. C’est important de sortir dans les rues, de crier et d’être ensemble. Il y a une force directe dans les manifestations, incomparable aux autres formes de résistance.’’


Pour une danse sans sexisme

Dans le secteur de la danse, les contrats de longue durée sont une exception. Mais la précarité va encore plus loin que l’insécurité d’un travail temporaire. En général, les horaires de travail sont extrêmement flexibles et bien souvent le volume de travail dépasse les heures effectivement payées. A cela, il faut ajouter d’autres inconvénients comme le faible niveau de rémunération, sans congés payés, sans primes, sans protection contre le licenciement abusif, des limitations en matière d’assurance maladie ou de pension. En tenant compte de ces conditions, les dénonciations d’abus, y compris de harcèlements sexuels, sont difficiles à mener. Certainement, la peur de perdre son boulot à tout moment ou de ne pas être appelé pour un nouveau contrat pèse fort lorsqu’on veut porter plainte.

En Belgique, une des sources de stabilité pour les danseuses et danseurs, ainsi que pour d’autres travailleurs culturels, est le statut d’artiste. Mais sous le prétexte de prétendus ‘‘abus’’ du système, la réforme de 2014 a réduit drastiquement les conditions d’accès pour les nouvelles générations. Récemment, l’ONEm a rédigé une nouvelle note interprétative considérant que les contrats à la tâche (non définis par un horaire) ne permettent pas d’accéder au statut d’artiste. La règle du cachet, qui permettrait de reconvertir ces contrats à la tâche en équivalents-jours, ne joue pas, ce qui représente un nouvel obstacle pour accéder aux allocations.

Il est assez significatif que des groupes #Metoo se sont davantage développés dans le milieu de la danse. Avec ROSA, nous soutenons la campagne antisexiste de #Wetoo #Makemovement, ainsi que l’initiative de former et d’intégrer davantage de personnes de confiance sur les lieux de travail et d’études artistiques. Leur participation à la manifestation du 8 mars à Bruxelles a été très importante. Nous soutenons des initiatives comme NO CULTURE, qui rassemble des jeunes travailleurs du secteur culturel, concernant le statut d’artiste et pour la redéfinition d’un statut viable et cohérent.

La lutte contre le sexisme est liée à une lutte collective contre la précarité. ROSA mène campagne pour un féminisme socialiste, pour un changement de société qui met fin à toute forme d’oppression, qui rend l’art libre de la logique du profit et accessible à toutes et tous.

 

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