Paradise Papers : le naufrage fiscal des Etats se poursuit

Affiche du Réseau pour la justice fiscale (RJF) lors de la Marche des solidarités à Charleroi le 23 octobre 2017.

Les révélations des Paradise Papers offrent un nouvel éclairage sur l’ampleur des pratiques d’ingénierie fiscale internationale. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales coûtent à elles seules chaque année quelque 600 milliards de dollars en recettes fiscales perdues par les Etats au niveau mondial. A cela s’ajoute encore ce que les ménages les plus fortunés parviennent à cacher dans les paradis fiscaux, une perte de 200 milliards de dollars annuels d’impôts, toujours selon l’estimation du FMI. 80 % de ces montants sont le fait des 0,1 % les plus riches de la planète.(1)

Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste

Ces chiffres ne font pas l’unanimité mais toutes les estimations démontrent que nous parlons d’un phénomène massif et systémique. La cascade de révélations de ces dernières années nous porterait à croire que moins d’argent se dirige aujourd’hui vers les paradis fiscaux, mais c’est tout l’inverse. Pour l’économiste Gabriel Zucman(2) ‘‘les fortunes détenues dans les paradis fiscaux ont augmenté d’environ 40% à l’échelle mondiale entre fin 2008 et début 2016’’. Il précise en outre que le phénomène concerne de moins en moins de monde, l’augmentation est surtout révélatrice de la croissance de la fortune des fraudeurs. Il estime le montant global des avoirs détenus dans les paradis fiscaux à 7.900 milliards d’euros.

Rien n’a changé, tout a continué ?

Au sommet de Londres d’avril 2009, les pays du G20 ont décrété la ‘‘fin du secret bancaire’’. D’autre part, les principaux paradis fiscaux ont également accepté le principe de la mise en place d’un échange automatique des données entre les banques offshore et les institutions financières nationales. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Et non. La fraude fiscale continue de prospérer.

Pour Zucman, ‘‘en même temps que la pression internationale sur les paradis fiscaux s’est accentuée, l’opacité financière s’est renforcée. (…) La majorité des avoirs détenus offshore est désormais camouflée derrière des sociétés-écrans, des trusts ou des fondations, grâce auxquels ils continuent d’échapper à l’impôt. Les paradis fiscaux recentrent leurs activités sur les ultra riches, dont le patrimoine ne cesse de croître – plus vite que l’économie mondiale. La fraude devient ainsi un sport d’élite, auquel les gouvernements s’attaquent en s’en remettant à la bonne foi des institutions financières de Suisse ou des îles Caïmans, dont l’intérêt est pourtant diamétralement opposé au leur. Le tout dans un épais brouillard statistique.’’

De la fraude vulgaire vers la technologie de pointe

Depuis les révélations des Panama Papers, certains changements ont été accélérés en termes de fraude fiscale. Mais les opportunités de frauder ‘‘légalement’’ et d’éviter de payer un impôt restent nombreuses. Les multinationales et les ultra riches ont les moyens de s’entourer d’une armée de juristes et de comptables capables de profiter de chaque avantage offert par les gouvernements.

Car chaque pays dispose de ses techniques pour protéger ses champions économiques. Les Pays-Bas sont par exemple passés maîtres dans l’art de modifier leur loi dès qu’une mesure est jugée illégale par les autorités européennes afin de préserver leur avantage fiscal. Chaque pays est devenu spécialiste d’un domaine particulier : la Belgique est devenue le paradis fiscal des banques internes des grandes entreprises, l’Irlande est devenue le paradis des sociétés telles qu’Amazon… Les effectifs de fonctionnaires dévoués à la lutte contre la fraude fiscale sont parallèlement dégraissés(3).

Alors que nous subissons depuis des années une austérité sauvage, cette situation suscite une indignation féroce. Cette colère doit être organisée avec un plan d’action et un programme visant à retirer les leviers de l’économie des mains de cette infime minorité de rapaces pour les placer dans les mains de la collectivité.

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Lanceurs d’alerte : deux poids, deux mesures

Trois ans après l’éclatement de l’affaire LuxLeaks, les seules personnes à avoir été inquiétées sont les deux lanceurs d’alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet. Leur procès en cassation a débuté peu de temps après les premières publications des Paradise Papers.

Dans les pages de son édition du 23 novembre, Le Soir s’est demandé ce qui avait changé dans la protection des lanceurs d’alerte. Pas besoin de s’étendre sur le cas belge : ‘‘rien n’a changé depuis 2014’’.

Au niveau européen, selon Mireille Buydens, avocate et professeure à l’ULB : ‘‘il existe déjà une protection pour certains lanceurs d’alerte. Ceux qui dénoncent des abus de marché, des manipulations des cours de Bourse. Et elle est assez bien faite. Mais on n’a pas voulu d’une protection globale. Seuls les lanceurs d’alerte qui travaillent dans l’intérêt des marchés, donc dans l’intérêt des banques, ont été protégés. Pas les autres. La Commission [européenne] sait donc parfaitement y faire quand il s’agit de protéger les lanceurs d’alerte. Mais uniquement lorsque c’est aussi dans l’intérêt des puissants lobbys.’’

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Notes

(1) Arnaud Zacharie, Antonio Gambini, Commission spéciale Panama Papers : vers des recommandations qui manquent d’ambition, article disponible sur le site du CNCDE, cncd.be.
(2) Gabriel Zucman est l’auteur de l’ouvrage de référence La richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux publié en 2013 et dont la deuxième édition entièrement revue et augmentée a été publiée en octobre dernier.
(3) Nous avons abordé ce qu’il en est en Belgique dans un article précédent : Panama Papers: “C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches”, https://fr.socialisme.be/15747/panama-papers-cest-de-lenfer-des-pauvres-quest-fait-le-paradis-des-richesPhoto

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