Algérie: De la lutte pour l’indépendance au développement du fondamentalisme

Une région en révolte – ce qui a précédé… (1)

Cette semaine, nous allons accorder une attention particulière à l’histoire du mouvement ouvrier en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Bien entendu, au vu des révoltes et des révolutions qui touchent cette région, jeter un coup d’œil au contexte sur base duquel prennent place ces développements est particulièrement important. Nous commençons cette série avec cet article, consacré à l’Algérie et basé sur dossier plus long rédigé par nos camarades de la section allemande du Comité pour une Internationale Ouvrière.

C’est en 1830 qu’a commencé l’occupation française de l’Algérie, et la répression coloniale a de suite été particulièrement brutale pour les populations arabes et berbères. La résistance et la lutte pour l’indépendance se sont rapidement développées, avec notamment les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, où quelque 40.000 Algériens ont été tués par l’armée française en 1945 lors d’une révolte. En septembre 1947 est arrivée une loi visant à stopper le mouvement indépendantiste en accordant la citoyenneté française à tous les Algériens. Mais c’était bien trop tard pour enrayer la lutte pour l’indépendance.

Lors de la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, le niveau de vie de la population n’avait pas fondamentalement évolué. Le revenu moyen d’un Algérien européen était de sept fois supérieur à la moyenne de la population autochtone. Deux tiers du pays appartenaient alors à des sociétés françaises ou à de gros propriétaires terriens. En 1954, à la veille de la guerre d’Algérie, au moins un million de personnes étaient au chômage, et pas moins de deux millions de personnes connaissaient des emplois temporaires. Pas moins de 82% de la population autochtone était analphabète, alors que tous les Algériens européens savaient lire et écrire. La mortalité infantile connaissait l’un des taux les plus élevé au monde : 284 pour 1.000, soit quatre fois plus que parmi les Algériens européens.

Le 1er novembre 1954 éclata une révolte. Une fois rendu clair le fait que les mouvements nationalistes traditionnels étaient dans l’impasse et que la voie parlementaire ne conduisait pas à l’indépendance, la voie était libre pour la lutte armée. Au début, les combattants de l’indépendance étaient à peine armés, alors qu’ils avaient engagé le combat contre une nation industrielle puissante disposant en outre d’une minorité européenne raciste au sein même du pays. L’élément déterminant grâce auquel l’indépendance a finalement pu être arrachée a été le soutien grandissant parmi la population et la résistance croissante de la classe ouvrière. Les jeunes français se sont aussi de plus en plus retournés contre la guerre d’Algérie.

En 1962, l’indépendance a été obtenue sous la direction du mouvement de libération FLN, le Front de Libération National, après une guerre qui a coûté la vie à 1,5 million de personnes (soit 10% de la population totale). Environ un million de colons français (généralement des capitalistes, des ingénieurs, des techniciens, des fonctionnaires, etc.) ont quitté le pays, et c’est à peine si une bourgeoisie indigène existait pour reprendre en main l’économie capitaliste algérienne.

Au sein du FLN, la direction du mouvement était dominée par des éléments petit-bourgeois radicaux qui avaient fait appel à la classe ouvrière ainsi qu’aux agriculteurs. Le FLN, sous la pression des masses, a adopté des positions socialistes. Si ces positions avaient été mises en pratique de façon conséquente, il aurait été possible de balayer la grande propriété terrienne et le capitalisme avec un mouvement de masse. Mais ce n’est pas la voie qu’a suivi la direction du FLN. Lors des accords d’Evian, en mars 1962, les sociétés et le gouvernement français ont ainsi obtenu la garantie que leurs intérêts économiques seraient défendus.

Le FLN s’était développé de la guérilla en un parti qui, sous la pression issue d’en bas, a toutefois dû prendre des mesures contre les capitalistes. Durant l’été et l’automne 1962, de nombreuses propriétés étrangères ont été nationalisées. En mars 1963, les comités ouvriers qui avaient repris différentes entreprises des propriétaires européens qui les avaient abandonnées ont été légalisés. Environ la moitié des terres cultivables étaient en possession de l’Etat. En 1963, un système a été introduit sous le nom ‘‘d’autogestion’’, la base de se qui sera connu comme le ‘‘socialisme algérien’’. Les travailleurs pouvaient alors élire leur propre administration pour collaborer avec un directeur désigné par l’Etat.

Toutes ces mesures ont été imposées par décret et n’étaient pas le résultat d’une large implication des ouvriers et paysans et du contrôle de ces derniers sur le processus. À cause de cela, les bases ont de suite été jetées pour la corruption et une mauvaise planification. De plus, l’indépendance était uniquement politique, l’Algérie restait économiquement dépendante des puissances impérialistes, et de la France en particulier.

L’Etat qui a surgi de la guerre d’indépendance était un type de régime bourgeois-bonapartiste qui recourait à une rhétorique ‘‘socialiste’’ mais était dirigé par une élite petite-bourgeoise. Cela signifiait que les décisions n’étaient pas démocratiquement prises, il n’y avait pas d’implication active des travailleurs et des paysans dans le processus de prise de décision. C’est ce vide qui a permis l’arrivée d’un gouvernement autoritaire. En 1965, Ben Bella – qui essayait de pousser le FLN dans une direction anticapitaliste et socialiste – a été arrêté à l’occasion du coup d’Etat militaire de Houari Boumediene. Mais la misère économique et sociale s’est toutefois poursuivie sous ce régime, et ce dernier a été forcé de prendre des mesures contre le capitalisme. Le régime a ainsi renforcé les interventions d’Etat dans des secteurs qui auparavant étaient laissés au secteur privé. Une entreprise de construction publique a été mise en place et, en 1966, onze mines qui étaient encore en possession étrangère (avec des propriétaires absents) ont été expropriées et nationalisées. Toutes les activités d’assurance ont aussi été placées sous le contrôle de l’Etat et une Banque Nationale a été instaurée.

En 1971, un conflit entre le gouvernement algérien et les grandes entreprises pétrolières françaises concernant le prix du pétrole a été réglé par la décision du gouvernement de prendre en main 51% de deux sociétés françaises et d’entièrement nationaliser les oléoducs de gaz et de pétrole. La même année, un programme de réforme agraire a été adopté, qualifié de ‘‘révolution agricole’’. Une forme d’élection de ‘‘conseils ouvriers’’ a également été instaurée dans le secteur public. La distribution de nourriture est elle aussi arrivée dans les mains de la collectivité.

Lors d’une deuxième phase, en 1973, les propriétaires terriens qui ne faisaient rien avec leurs terres cultivables ont été obligés d’entreprendre des activités agricoles ou de donner leurs terres aux fermiers. Un programme a été mis en place afin d’instaurer des ‘‘villages socialistes’’ et les jeunes étaient encouragés d’aller travailler et étudier à la campagne durant leurs vacances. L’enseignement privé a été supprimé en 1976.

Après la mort de Boumediene, en 1978, le comité central du FLN a pris le pouvoir. Les nationalisations opérées sous Boumediene avaient assuré un énorme développement économique, la mortalité infantile avait diminué de moitié, le nombre de médecins avait augmenté de 1279 à 29.506 et le degré d’alphabétisation avait augmenté, de 12% à 80% parmi les femmes par exemple.

Mais, en Algérie également, on a pu constater que le développement du pays, en restant dépendant du capitalisme mondial, n’était pas possible. Le pays a été durement touché par la récession mondiale des années ‘80 et par l’effondrement des prix du pétrole. Le régime a réagi par des libéralisations et, ainsi, les fermes d’Etat ont été bradées au privé.

Le déclin économique continuel a conduit à des protestations contre le régime, et le pays a ainsi connu des ‘‘émeutes de la faim’’ en 1988. La fin des interventions des autorités avait assuré qu’une majorité de la population souffre de la faim. Plus de 500 personnes, majoritairement des jeunes, ont perdu la vie lors de ces protestations. Cette révolte avait été précédée d’une grève des ouvriers de l’automobile, ces derniers exigeant des augmentations de salaire. Cette grève a été suivie par le personnel postier et, plus tard, d’autres pans de la classe des travailleurs ont eux aussi rejoint la protestation. Les revendications ont alors été élargies, jusqu’à s’en prendre directement au régime de parti unique.

Le calme a été rétabli après 1988, mais a au prix fort. Tout d’abord, la répression a été cruelle, avec quelques bien maigres concessions. Les magasins ont reçu plus de nourriture, les salaires ont connu une augmentation et on a parlé de réformes politiques mais, au final, le mouvement n’a pas rencontré la victoire. C’est ce contexte qui a assuré que l’espace existe pour le développement du FIS (Front Islamique du Salut) qui, lors des élections locales de 1990, les premières élections ‘‘libres’’ du pays, a de suite remporté 54% des voix. Lors des élections parlementaires, le FIS a récolté 47% au premier tour, un an plus tard. Le FLN craignait de perdre le pouvoir et l’armée craignait l’arrivée d’un régime fondamentaliste. L’appareil d’Etat bourgeois est alors intervenu, et le FIS a été interdit, ce qui a conduit à une guerre civile qui a fait plus de 100.000 morts.

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