Nettoyage ethnique en Birmanie. Silence assourdissant d’Aung San Suu Kyi

Quand la VUB va-t-elle lui retirer son doctorat honorifique ?

Le conflit entre le gouvernement du Myanmar (Birmanie) et la population Rohingya de l’État d’Arakan (que le régime birman actuel appelle Rakhine) s’est intensifié ces derniers mois en raison d’une crise humanitaire majeure. Plus de 400.000 personnes ont fui vers le Bangladesh voisin. Des dizaines de milliers de personnes tentent de survivre dans des camps de réfugiés.

Par Clare Doyle

Le Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a déclaré que ces réfugiés devraient revenir. Un grand camp temporaire a été installé, mais il a tout d’une prison. Il est interdit aux populations locales de donner assistance aux réfugiés même s’ils sont de la même famille. Le gouvernement du Myanmar interdit même toute intervention des organisations humanitaires. Le Conseil de sécurité de l’ONU a formellement condamné la violence en cours, le secrétaire général Antonio Guterres parlant ouvertement de nettoyage ethnique.

Aung San Suu Kyi

Aung San Suu Kyi est de facto devenue la dirigeante politique du Myanmar après que son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), ait obtenu 60% des voix aux élections législatives de 2015. Il s’agissait des premières élections libres après 50 ans de régime militaire. Aujourd’hui, les critiques s’élèvent partout à travers le monde contre Aung San Suu Kyi et son immobilisme face aux violences dont les Rohingyas sont victimes.

Lorsqu’elle a enfin rompu son silence, après deux semaines, elle a simplement déclaré que les événements avaient fait l’objet de ‘‘beaucoup de désinformation’’. Pareil déni de la réalité fait penser à Donald Trump. Au même moment, les preuves de crimes et de massacres de civils innocents s’étalaient dans les médias du monde entier.

Amnesty International a qualifié le discours d’Aung San Suu Kyi au parlement du Myanmar le 19 septembre d’‘‘un mélange de contrevérités et de blâme des victimes’’. Elle n’a pas abordé la violence militaire soutenue par les autorités et a affirmé que le gouvernement avait amélioré les conditions de vie des musulmans de Rakhine.

Divers défenseurs des droits de l’Homme et institutions universitaires réclament que le prix Nobel de la paix d’Aung San Suu Kyi lui soit retiré. Cette récompense lui avait été accordée pour son opposition au régime militaire, opposition qui lui avait valu 15 ans d’assignation à résidence.

Nous avons toujours défendu que la résistance passive d’Aung San Suu Kyi ne serait pas suffisamment forte pour en finir avec les décennies de régime militaire et que les masses devaient être mobilisées. Pour le capitalisme occidental, Aung San Suu Kyi a longtemps été un intéressant partenaire. Elle a ouvert le pays au commerce et aux investissements extérieurs. Mais il semble maintenant que la politique du Myanmar soit beaucoup plus déterminée par le contexte militaro-industriel chinois, dont l’influence est croissante dans la région.

Des excuses pour les meurtres de masse

L’armée du Myanmar détient le pouvoir fermement en main, à la fois dans la société et dans l’industrie. Les exactions commises à l’encontre de la population Rohingya (plus d’un million de personnes) sont présentées comme des opérations anti-terroristes. Mais c’est la terreur que fait régner l’armée avec le soutien des extrémistes bouddhistes nationalistes qui pousse certains jeunes dans cette direction.

Le 25 août, les combattants de l’Armée du salut des rohingya de l’Arakan (ARSA) ont attaqué 30 postes de police et bases militaires. L’armée a déclaré qu’ils avaient aussi appelé la population à ‘‘l’émeute’’. Un peuple opprimé a le droit de se défendre, de manière armée si nécessaire. Mais, sans mouvement de masse, une telle tactique ne peut en soi fournir de solution à long terme. L’État instrumentalise cela comme prétexte pour réprimer toute une population.

La riposte de l’armée face aux attaques du mois d’août fut une sanglante campagne de vengeance sans précédent. Des centaines de civils ont été tués, au moins 500 villages ont été brûlés et des centaines de milliers de personnes ont dû prendre la fuite, y compris des non-Rohingyas.

Les Rohingyas

Les Rohingyas vivent depuis le XIIe siècle dans cette région qui fait depuis partie du Myanmar. À l’époque coloniale, l’Empire britannique a joué sur les tensions ethniques pour asseoir sa domination.

Des combattants tels que Aung San, le père d’Aung San Suu Kyi, ont joué un rôle crucial pour mettre un terme à la domination coloniale britannique et pour accéder à l’indépendance en 1948. Peu avant cela, Aung San et ses compagnons avaient été tués. En 1962, les généraux qui ont pris le pouvoir et ont procédé à des nationalisations de secteurs économiques, mais sans qu’il n’y ait de droits démocratiques ou de contrôles par la population.

Plus tard, en août 1988, un soulèvement héroïque d’ouvriers et d’étudiants a failli renverser la dictature. Mais ils n’y sont pas parvenus, faute d’avoir accumulé l’expérience nécessaire et de disposer d’un parti théoriquement équipé pour poursuivre la révolution. Une intense période de répression s’en est suivie qui n’a été que temporairement interrompue par un nouveau mouvement en 2007.

Les droits des minorités

Le Myanmar comporte une majorité bouddhiste. Les Rohingya ont longtemps été une minorité opprimée. 135 groupes ethniques sont reconnus dans le pays, mais les Rohingya n’en font pas partie. Depuis 1982, ils ne sont même plus reconnus comme résidents du pays. Aux élections de 2015, le parti d’Aung San Suu Kyi ne disposait d’aucun candidat de cette communauté.

Parmi les diverses minorités ethniques, beaucoup ont voté pour Aung San Suu Kyi dans l’espoir que ces élections puissent conduire à une plus grande autonomie locale et à un système fédéral face à une armée qui a pillé les richesses naturelles dans les régions du pays où vivent les minorités ethniques. Mais Aung San Suu Kyi ne s’intéresse pas au sort des Rohingyas et des autres minorités.

Plusieurs pays d’Asie du Sud-Est comportent une majorité musulmane, parmi lesquels la Malaisie, un pays relativement riche. Cependant, tous les pays de la région ferment leurs portes aux Rohingyas.

Stopper le cauchemar

Beaucoup de gens se demandent comment mettre un terme à la souffrance des Rohingyas. Des actions de solidarité ont eu lieu au Myanmar, organisées par des personnes issues d’autres communautés. Des actions ont également eu lieu au Bangladesh, en Indonésie et ailleurs.

La lutte pour défendre les minorités persécutées ne peut pas être détachée du combat de tous les travailleurs contre notre ennemi commun le patronat et les défenseurs de ce système. Les politiciens capitalistes et les institutions internationales réclamant la justice ne peuvent rien faire ou se contentent de verser des larmes de crocodile. Ces politiciens et leur système mènent à la guerre et à la division. Ils ont peur d’une révolte massive des travailleurs et des pauvres.

Les défenseurs du socialisme se renforceront dans les mouvements sociaux à venir. Il est nécessaire de créer une nouvelle société dans laquelle les droits de toutes les minorités seront reconnus, jusqu’au droit à l’autodétermination, au sein d’une fédération volontaire d’États socialistes.


Docteur honoris causa à la VUB

Lorsque Kris Peeters s’est rendu au Myanmar pour parler à Aung San Suu Kyi, il voulait lui remettre un doctorat honoris causa de l’Université catholique de Louvain. Cela ne s’est pas fait, mais un doctorat honoris causa lui a tout de même été donné par la VUB (Vrije Universiteit Brussels). La VUB reviendra-t-elle sur cette décision ? Les politiciens traditionnels qui s’étaient rendus jadis avec tant d’enthousiasme au Myanmar vont-ils enfin publiquement se prononcer contre la violence à l’encontre des Rohingyas?

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai