Le Jeune Karl Marx : Une œuvre de mémoire populaire et un appel à l’action

Photo : Camille Jurdant

De Sergueï Eisenstein à Roberto Rossellini, quelques cinéastes ont été tentés de porter la figure du philosophe révolutionnaire allemand Karl Marx sur grand écran. Mais comment illustrer en images l’histoire de l’évolution d’une pensée ?

Par Sébastien (Liège)

Butant sur cette question, Eisenstein (1927) abandonna le projet d’adapter au cinéma Le Capital – l’ouvrage majeur de Marx – tandis que Rossellini (1974) n’eut l’idée d’un biopic sur le grand barbu qu’à la veille de sa mort. Or, si l’industrie hollywoodienne ne voit d’intérêt à parler du plus grand penseur du XIXe siècle qu’en vue de provoquer la ‘‘peur du rouge’’, les jeunes et les travailleurs d’aujourd’hui ont plus que jamais besoin de se réapproprier l’histoire des luttes de leur classe.

Avec Le Jeune Karl Marx (2017), le réalisateur haïtien Raoul Peck (Lumumba, I’m Not Your Negro), résolument du côté des opprimés, participe à ce devoir de mémoire en plein centenaire de la Révolution russe. Ce mardi 3 octobre, une équipe du PSL a assisté à la projection en avant-première, en présence du réalisateur, au cinéma Le Parc (Liège).

1843-1848 : Prémices d’une collaboration qui bouleversera le cours de l’Histoire des luttes.

Allemagne, 1842. Dans un silence de plomb, des paysans pauvres ramassent du bois mort dans une forêt. Peu à peu, un bruit assourdi par la terre, semblable au roulement des tambours, brise ce calme pesant. La cavalerie prussienne arrive. Au service des propriétaires terriens, elle va massacrer ces ‘‘voleurs’’. Légalement. Durant cette scène, en voix off, le jeune Karl énonce des passages de son article Débats sur la loi relative au vol de bois parut la même année. Une scène puissante qui ne nous quittera plus. C’est probablement son objectif dans un film dont la suite ne mettra pas en scène la main d’œuvre en lutte, mais bien les débats philosophiques et luttes internes des figures de sa direction révolutionnaire d’alors.

C’est donc dans ce contexte d’intense développement des antagonismes de classe que le jeune Karl Marx (interprété par un August Diehl qui réussit le pari de nous faire oublier l’image du sage et grisé personnage retenu par tous) fait la rencontre du tout aussi jeune Friedrich Engels (Stefan Konarske), fils révolté d’un riche industriel anglais. Accompagnés de leurs conjointes Jenny Marx (Vicky Krieps) et Mary Burns (Hannah Steele) – dont la mise en exergue des rôles nous a ravis – ils vont collaborer à l’élaboration de ce qui deviendra la pensée ‘‘marxiste’’. Le film se clôture en 1848 par la rédaction puis la publication du résumé populaire de cette pensée à destination de la classe ouvrière : Le Manifeste du parti communiste.

Il faut une théorie solide pour changer le monde, hier comme aujourd’hui.

À travers quelques personnages révolutionnaires contemporains de Marx tels que l’anarchiste Proudhon (Olivier Gourmet) ou l’agitateur social Wilhelm Weitling (Alexander Scheer), Raoul Peck illustre brillamment l’importance d’adopter une théorie révolutionnaire solide pour peser dans la lutte des classes opposant bourgeoisie et prolétariat. Concepts et slogans abstraits ne sont que verbiage du socialisme utopique, auquel Marx et Engels opposeront le socialisme scientifique, matérialiste. Quand la Ligue des Justes, initiée par Weitling, affirme que ‘‘tous les hommes sont frères’’, Engels somme la foule à s’interroger : bourgeois et patrons sont-ils vraiment semblables à l’ouvrier ? Ont-ils les mêmes intérêts ?

De nos jours, médias traditionnels, politiciens bourgeois et grands patrons n’ont de cesse de masquer les conséquences désastreuses du capitalisme. Ils tentent de brouiller l’existence d’une lutte toujours aussi acerbe et meurtrière entre deux classes aux intérêts antagonistes. Difficile pourtant d’éclipser les faits : ils sont aujourd’hui 8 milliardaires à posséder autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Dans ce contexte, Le Jeune Karl Marx est une invitation salvatrice à exposer l’actualité de cette pensée qui a inspiré les meilleurs révolutionnaires du siècle dernier. Enfin, ce film est surtout un appel à l’engagement contre un système capitaliste dont les conséquences dramatiques quotidiennes nous rappellent que la lutte des classes, loin d’être un concept poussiéreux, est une réalité qui s’intensifie de jour en jour.

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