Grève du 10/10 – La FGTB démontre sa force dans le secteur public, mais il en faut plus !

Dans l’ensemble, la grève de la CGSP (Centrale générale des services publics, FGTB) du 10 octobre fut un succès. La campagne menée de concert par le gouvernement, les patrons et les grands groupes de presse n’a pas eu l’effet escompté. Pour eux, les syndicats seraient ‘‘déconnectés de la réalité’’. L’artillerie lourde était sortie et en cas de fiasco, nous aurions subi un déluge de feu. On n’en est pas arrivé là. Après la grève, Charles Michel a de nouveau menacé de limiter le droit de grève et s’est de nouveau plaint du fait que les grévistes aient pris en otage les étudiants et les travailleurs. Mais, par la suite, la presse s’est particulièrement faite silencieuse. C’est que la grève a été bien mieux suivie que ce qu’espérait l’establishment. Évitons toutefois de nous reposer sur nos lauriers. Certaines faiblesses ont été révélées et nous devons rapidement y faire face. Quelques suggestions.

Par Eric Byl

La situation pénible sur les lieux de travail a assuré le succès de la grève

La grève a démontré que c’est l’establishment qui est ‘‘déconnecté des réalités’’. Ils finissent par croire leurs propres mensonges et leurs tournures de phrases. Le gouvernement Michel créerait des emplois et augmenterait notre pouvoir d’achat. Travailler plus longtemps se justifierait par l’augmentation de l’espérance de vie. Les grandes fortunes contribueraient enfin à l’effort grâce à la taxe sur les comptes-titres (nous n’entendons plus parler de la ‘‘taxe Caïman’’). Les syndicats seraient conservateurs et ne voudraient rien moderniser. Pensent-ils vraiment que nous ne nous rendons pas compte de la charge de travail ? De la perte de notre pouvoir d’achat ? Du fossé gigantesque et toujours grandissant entre riches et pauvres ? Que nous croyons que nous avons à travailler plus longtemps pour payer nos pensions ? Tout le monde sait que tout cela disparaît dans les poches abyssales des CEO et des actionnaires.

L’aveuglement de l’establishment est si grand qu’il ne peut admettre les accablantes conditions de vie et de travail que la plupart d’entre connaissons que si les ‘‘enfants’’ de l’élite en font état. Prenez l’émission de ‘‘Pano’’ (magazine hebdomadaire consacré aux thèmes actuels sur la chaine Flamande ‘één’) au sujet des exécrables conditions rencontrées dans les maisons de repos privées. Ce n’est qu’après qu’une journaliste se soit infiltrée durant des mois dans le secteur que l’establishment a simulé l’indignation. Les syndicats, des milliers d’employés et des dizaines de milliers de résidents et leurs familles s’en sont pourtant plaints pendant des années. L’establishment avait la tête ailleurs. Par coïncidence, ce reportage est tombé au même moment que le témoignage d’un médecin anversois qui a travaillé durant un an comme conducteur de bus. Son récit, là non plus, n’apporte rien de neuf. Cela nous surprendrait qu’il soit encore engagé ailleurs, nous aurions pourtant bien aimé qu’il distribue le courrier un an de la même manière.

Ce sont les conditions objectives qui expliquent le succès de cette grève. Il est affolant que nous ayons à apprendre des médias – ceux-là mêmes qui nous attaquent habituellement – les conditions de travail similaires rencontrées par nos collègues d’autres secteurs. C’est vrai, les médias balayent systématiquement les positions syndicales. Mais les syndicats ne l’accentuent pas suffisamment non plus. Prenez les magazines de la FGTB ‘‘Syndicats’’ ou ‘‘Tribune’’ ou encore les feuilles d’informations de la CSC. Ils sont souvent illisibles et consistent en une version résumée des déclarations des différentes centrales qui feraient mieux d’être sur le site de la centrale en question ou dans une rubrique réservée aux délégués et militants. Pourquoi ne pas plus souvent interviewer des travailleurs sur leurs conditions de travail ? Pourquoi les dirigeants syndicaux n’expliquent-ils pas plus souvent quelles sont nos conditions de travail concrètes lorsqu’ils sont en débat avec les politiciens ou les patrons? Cela trouverait l’oreille de beaucoup de téléspectateurs ou d’auditeurs et serait plus efficace que de constamment protéger les ‘‘partenaires politiques amis’’ discrédités du SP.a, du PS ou du CD&V et du CDH.

Discuter de nos réponses et les diffuser de manière organisée

Les syndicats ont d’excellents services d’étude. Ils éditent parfois du matériel magnifique, comme le baromètre socio-économique, mais on l’utilise trop peu. Pourquoi tout ce travail n’est-il pas popularisé et résumé en quelques arguments cruciaux pour être utilisés par les militants sur leur lieu de travail? Même les médias sociaux ne sont pas assez investis par les syndicats. C’est la droite qui y domine les débats puisque, contrairement aux syndicats, elle réagit systématiquement et de façon coordonnée, souvent de manière brutale et malhabile, mais elle donne le ton. Les syndicats disposent d’innombrables militants à la retraite, de travailleurs sans-emplois, de migrants, de spécialistes dans tous les domaines possibles. Mais ils ne sont malheureusement guère utilisés. Pourquoi donc garder les formations syndicales le plus technique possible, principalement axées sur les structures de concertation, alors que nous avons à notre disposition un excellent travail de recherche que nous pourrions sérieusement idéologiquement renforcer à l’aide de nos aînés ?

L’absence de véritables propositions de gauche dans le débat public durant des années a laissé ses traces. Les opinions de droite, les préjugés populistes et la méfiance à l’égard de tout ce qui est à gauche ont pu s’infiltrer parmi une partie du mouvement des travailleurs. Chaque militant le constate. Nombreux sont ceux qui évitent la discussion, d’autres continuent de s’acharner envers et contre tout, mais sans réelle idée de la manière d’inverser la tendance. Armer ces militants d’une analyse, d’un programme, d’une stratégie et d’une approche qui leur permet de le faire est l’un des principaux défis qui se pose aux syndicats. Nous devons les aider à reconnaître les événements sociaux concrets qui peuvent leur permettre d’améliorer la compréhension et la perspicacité de leurs collègues.

Le piquet de grève de l’hôpital bruxellois Brugmann le 10 octobre peut servir de modèle : très politique, avec des arguments disponibles, des banderoles et des tracts. Il a fallu des années pour y parvenir. Même l’introduction de parcmètres par la commune a été saisie comme une occasion pour le syndicat de réunir le personnel et dénoncer le manque de parkings pour le personnel tout en exigeant une meilleure compensation pour les transports en commun. À Anvers, le piquet de grève du dépôt de De Lijn à Zurenborg et celui des cheminots à la gare d’Anvers-Berchem se sont transformés en écoles syndicales, en prenant même le temps de montrer leur solidarité avec les conducteurs de bus londoniens. À l’ULB, les délégations syndicales auraient dû dénoncer les économies réalisées dans les budgets de l’enseignement et des services sociaux en réponse à la récente publicité pour la prostitution étudiante ‘‘Rich Meet Beautiful’’. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut rendre conscient l’inconscient et construire un rapport de force. La force d’un délégué syndical se mesure à celle de la base sur laquelle il repose, y compris pour peser sur l’orientation générale des syndicats.

Organiser la grève et la solidarité

Le fait que quelque chose n’allait pas dans cette orientation a malheureusement été confirmé le 10 octobre. De nombreux militants ont eu connaissance de la grève à travers une presse habituellement hostile. Aucune assemblée du personnel n’a été organisée pour informer, consulter et motiver au préalable. La CSC et l’essentiel du privé n’ont pas suivi. Apparemment, de nombreux militants de la CSC n’ont pas apprécié la déclaration de leur président, Marc Leemans, qui entend privilégier la négociation. Depuis des mois, la CSC se plaint pourtant que le gouvernement Michel ne veut pas vraiment négocier. Nous pouvons bien comprendre que la FGTB ne peut pas tout simplement mobiliser l’ensemble de ses secteurs d’un claquement de doigts. Nous savons que la CGSP a au moins tardé pour répondre aux questions des centrales du privé de la FGTB concernant la manière dont ils pouvaient soutenir la grève. Mais entre ça et rien du tout, il y a tout de même une différence.

Libre Parcours, un réseau de syndicalistes combatifs des transports publics, a produit un autocollant ‘‘Grève 10/10 Je suis solidaire’’, en espérant que d’autres allaient reprendre l’idée. Pourquoi la FGTB n’a-t-elle pas imprimé quelques centaines de milliers d’autocollants de ce type à distribuer à tous les militants pour qu’ils les diffusent sur leur lieu de travail et parmi leurs proches afin que d’innombrables personnes puissent ainsi exprimer leur solidarité avec les grévistes et pour assurer que l’opinion publique soit plus favorable ? L’establishment lâche tous ses démons sur nous alors que les dirigeants syndicaux ne font qu’ignorer les occasions. Que ce serait-il passé si la FGTB avait contacté la CSC pour dire que nous sommes tous du même côté, même s’il existe des différences tactiques ou stratégiques, et suggérer qu’une telle vignette soit produite et distribuée conjointement ? Cela aurait grandement renforcé la grève tout en bloquant les tentatives du gouvernement d’opposer les syndicats. Cela aurait donné aux militants de la CSC désireux d’agir un instrument avec lequel commencer.

Une grève ne commence pas le jour même et elle ne se termine pas non plus à ce moment-là. Le lendemain, sa pertinence fait l’objet de débats animés sur les lieux de travail. Soit nous abandonnons cela aux chefs de bureau, aux services du personnel et à ceux qui crient le plus fort, soit nous fournissons à nos militants un instrument pour déterminer le ton de la discussion. Après une grève, une courte évaluation s’impose, le plus vite possible. Pourquoi avons-nous fait grève ? Quel est notre objectif? Comment espérons-nous l’atteindre? À cela s’ajoute la nécessité de veiller à l’unité des travailleurs – grévistes et non-grévistes, syndicats ayant fait grève et les autres – afin de viser les directions et les autorités qui sont les véritables responsables des conditions de travail et salariales que nous subissons.

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