Italie : Dixième anniversaire de la Bataille de Gênes contre le G8

De grandes opportunités perdues pour construire un nouveau parti de masse des travailleurs

Il y a de cela dix ans, le 21 juillet 2001, quelque 300.000 travailleurs et jeunes marchaient avec rage et colère dans les rues de Gênes. C’était le point culminant d’une semaine de protestations contre le sommet du G8 tenu dans cette ville, sous l’égide de George Bush. Le nombre de manifestants avait été gonflé par l’outrage cause par le meurtre d’un jeune manifestant – Carlo Giuliani – commis la veille place Alimonda par les forces de l’ordre italiennes. Cette manifestation avait elle aussi été attaquée et brisée par la police, à coups de gaz lacrymogènes et de matraques.

Clare Doyle, CIO

Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) était présent avec un contingent d’une centaine de membres issus de 12 pays différents. Sur la route de Gênes, tous les manifestants avaient eu des difficultés à passer les barrages policiers – aux frontières du pays ainsi qu’en bordure de la ville. Certains avaient d’ailleurs dû faire demi-tour. La plupart des autres avaient dormi sur les plages, dans leurs voitures, dans leurs bus, ou dans des tentes à proximité de l’endroit du Forum Social, près de la mer.

Lors de la manifestation, le CIO – qui n’avait alors que des ressources limitées en Italie – portait des pancartes revendiquant la fin des provocations policières ainsi qu’une grève générale de 24 heures en protestation au meurtre et à la brutalité policière. C’était avant l’attaque sanglante qui se déroula la nuit, du fait des carabinieri (la police spéciale), à l’école Diaz, où des dizaines d’organisateurs des protestations et de manifestants étaient en train de dormir. Les carabinieri étaient arrivés en véhicules blindés pour attaquer l’endroit avec une violence inouïe, brisant des membres et écrasant les têtes contre le sol. Aujourd’hui encore, on ne peut que se demander comment il est possible qu’il n’y ait pas eu au moins un mort de plus à Gênes.

Jusqu’à aujourd’hui, pas un seul membre d’envergure des forces de l’Etat n’a été puni pour la mort de Carlo (dont les parents étaient encore récemment présents lors d’un meeting de Controcorrente, le CIO en Italie) ou pour le raid de l’école Diaz. Il est incroyable que le second gouvernement de Berlusconi ait pu survivre cinq autres années, des années de grèves de masse et de protestations contre ses politiques néolibérales. Il y ainsi notamment eu à Rome une manifestation de trois millions de personnes contre une modification de la législation du travail adoptée après les luttes de la décennie mouvementée des années ’70, une décennie véritablement marquée par la lutte de classe.

En fait, une opportunité en or a été gaspillée pour la construction du soutien pour un parti des travailleurs à cet époque relativement neuf: le PRC, Partito della Rifondazion Comunista (parti de la Refondation Communiste). Ce parti avait été lancé pour remplir le vide à gauche qui a été entraîné par l’effondrement des pays staliniens et par celui du parti ‘communiste’ d’Italie, devenu une formation complètement capitaliste.

L’absence d’une réelle alternative combative pour les travailleurs et les jeunes a permis à Berlusconi de revenir plus tard pour un troisième gouvernement après une période de ‘centre-gauche’ sous Romano Prodi, c’est-à-dire une période où le ‘centre-gauche’ a mené une politique de coupes budgétaires, de vote de crédits de guerre et de privatisations.

Maintenant, l’Italie, la troisième plus grande économie de la zone euro, fait face à une crise majeure de confiance en son économie et en sa capacité à rembourser ses dettes. Les travailleurs et les jeunes sont en pleine ligne de mire des attaques antisociales et d’une rafale d’austérité. Une riposte est plus que nécessaire.

Le CIO en Italie est représenté par Controcorrente, dont les membres sont actifs au sein du PRC et également à l’extérieur de ce parti en déliquescence. Marco Veruggio est membre du Comité National Politique du PRC et est l’auteur de l’article ci-dessous, initialement publié sur le site de Controcorrente.


2001 to 2011

Que reste-t-il du mouvement antimondialisation capitaliste?

A Gênes, une série d’initiatives, de meetings et de débats ont été organisés pour commémorer ce qui s’est produit dans cette ville du 19 au 21 juillet 2001. Avec un anniversaire tel que celui-là, bien plus que de simplement se remémorer les faits – il existe tout un tas de publications, de films et d’initiatives à ce sujet – il est utile de dresser un bilan des évènements. Il nous semble particulièrement intéressant d’aborder non pas exclusivement ce qui s’est passé lors du G8, mais surtout ce qui s’est passé après le mouvement antimondialisation capitaliste et comment la gauche italienne a utilisé l’enthousiasme généré par les mouvements de masse de Gênes.

Marco Veruggio, Controcorrente (CIO-Italie), Gênes

Au crédit de ce mouvement antimondialisation capitaliste, on peut mettre le fait qu’il a attiré l’attention de millions de personnes à travers le monde sur des thèmes dont l’importance est seulement pleinement comprise aujourd’hui. C’est surtout vrai dans le cas des effets de la compétition de l’économie de marché globale, particulièrement parmi les couches les moins politisées de la population, et dans celui de la ‘financialisation’ de l’économie, tout cela s’accompagnant de l’idée qu’un ‘autre monde est possible’. Mais c’est précisément sur cette question cruciale, celle de l’alternative au capitalisme, que le mouvement antimondialisation capitaliste a failli, en développant une série de théories et de modèles au fil des ans, qui se sont effondrés sous les coups de leurs contradictions internes.

Prenons par exemple les théories de Toni Negri sur l’impérialisme et sur le rôle central de la classe ouvrière. Selon lui, il n’y a plus de puissances impérialistes en conflit pour se diviser le monde, mais un simple et unique ‘impero americano’. Il est aussi question dans ses théories de l’idée selon laquelle la transformation sociale ne serait plus à l’avenir l’œuvre de la ‘vieille’ classe ouvrière mais de la ‘multitude’, ou encore que le travail intellectuel avait remplacé le travail industriel. Mais avec cela, on est incapable d’expliquer ce qui s’est produit les dix années qui ont suivi. Il y a eu le développement d’un ‘impérialisme européen’, qui joue aujourd’hui un rôle dirigeant dans l’intervention militaire en Libye. La Chine est aussi arrive sur le devant de la scène, et pas seulement comme un rival économique des USA et de l’UE. De l’autre côté, la classe ouvrière industrielle est revenue tout au devant de la scène sociale, comme par exemple avec le conflit en Italie entre la FIOM (syndicat métallurgiste) et les patrons de FIAT. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, il y a aujourd’hui environ un milliard de travailleurs dans l’industrie en plus à travers le monde, précisément suite à la globalisation.

Des ‘solutions’ impraticables sous le capitalisme

De l’autre côté, même les modèles qui étaient mis en avant en exemple, comme le Brésil du temps de Lula et de la soi-disant ‘démocratie participative’, ont révélé leurs limites à long terme. Le PT (Parti des Travailleurs) de Lula a vécu de sérieuses défaites électorales, y compris à Porto Allegre, et se parti reste au pouvoir uniquement parce qu’il représente la force la plus capable d’appliquer les désirs du Fonds Monétaire International. Le fait que le Brésil ait endossé le commandement des troupes militaries envoyées en Haïti indique également que le développement économique du pays s’est accompagné d’un développement similaire du pays en tant que puissance politique et militaire, avec sa propre sphère d’influence et une expansion sur l’échiquier d’Amérique latine. On peut encore parler de l’émergence de mécanismes et de structures perverses sur les marchés financiers – bulles spéculatives, etc. – qui révèlent que la Taxe Tobin (pour laquelle militait le mouvement ‘No Global’) est insuffisante, même considérée comme étant tout juste un instrument régulateur.

A ce moment, nous étions sévèrement critiques pour avoir soulevé ces objections. Mais l’épreuve du temps a démontré qu’elles étaient justifiées. Les dirigeants de la gauche, y compris Fausto Bertinotti du PRC, se déclaraient totalement en accord avec le mouvement. En réalité, ils n’ont fait qu’utiliser le nom de l’antiglobalisation et l’attraction représentée par le PRC au sein d’une couche de militants du mouvement dans le but de négocier avec le centre-gauche et de construire un certain rapport de force pour que le PRC rentre dans le gouvernement. Un pacte de réciprocité ave la bureaucratie du mouvement a apporté du soutien électoral pour les partis de gauches, avec en retour une représentation parlementaire pour le mouvement. Par la suite, cette représentation parlementaire a été utilisée pour soutenir les missions militaires et les politiques néolibérales d’un gouvernement dirigé par l’un des conseillers les plus en vue de Goldman Sachs, Romano Prodi.

Nous pensons que la lutte pour une alternative est possible, mais si les forces sur lesquelles se baser, les moyens et les objectifs sont clairement définis. Nous continuons à penser que pour parvenir jusqu’au bout d’un processus de changement social, les travailleurs actuels et les jeunes – les travailleurs de demain – dans leurs organisations politiques et sociales, constituent la principale force sur laquelle se baser. Le moyen doit être la lutte et l’objectif une société où le gouvernement serait une expression de ceux qui produisent les richesses et non de ceux qui utilisent cette richesse pour produire des crises économiques, des guerres et la destruction de l’environnement.

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