Contre la dictature des marchés : de l’indignation à la révolution

Des années durant, on a voulu nous faire avaler que les mouvements de masses étaient choses du passé, enterrées avec le XXe siècle. Mais l’actualité de ce début d’année 2011 s’est écrite au rythme des révoltes – ou révolutions – de masse en Tunisie, en Egypte, en Grèce, en Espagne,… L’enthousiasme provoqué par ces mobilisations s’est notamment concrétisé par la création de centaines de camps se revendiquant des ‘’indignadas’’ à travers le monde et par des manifestations, notamment le 19 juin, dans pas moins de 35 pays simultanément.

Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition d’été de Lutte Socialiste

Cet élément d’internationalisme et de référence aux luttes d’autres pays est un des facteurs parmi les plus frappants de ce puissant processus. La Puerta del Sol a été envahie le 15 mai dernier en référence aux occupations de places en Afrique du Nord et au Moyen-Orient puis, en un second temps, une multitude de camps ‘’d’indignés’’ ont émergés à la surface du globe. Un mois plus tard, le 15 juin, la mobilisation des indignés devant le parlement catalan à Barcelone a forcé les parlementaires à rejoindre l’enceinte du parlement en hélicoptère, un merveilleux moyen pour passer au dessus de la contestation populaire, au sens propre comme au figuré. Le même jour, en Grèce, la pression des masses a ébranlé le gouvernement, avec une grève générale à l’ampleur extraordinaire – et une participation comprise entre 80 et 100% selon les secteurs ! – rejointe par les ‘’indignés’’ grecs qui avaient commencé leurs occupations le 25 mai. La confédération syndicale grecque des secteurs privés et publics a ensuite appelé à une grève générale de 48 heures fin juin.

Les journalistes et analystes des grands médias et des prestigieuses universités se trouvent souvent démunis face à ces évènements qui ne cadrent pas avec leurs ‘‘nouvelles’’ grilles d’analyses, et atteignent parfois le grotesque. Ainsi, Alain Bertho – professeur d’anthropologie à l’Université de Paris 8-Saint-Denis, ‘’spécialiste’’ de ce genre de thème après s’être fait connaître par un documentaire intitulé ‘’Les raisons de la colère’’ et avoir écrit le livre ‘’Le temps des émeutes’’ – reste malgré toutes ses études totalement surpris par ce mouvement. Lors d’une interview, à la question ‘’Pourquoi cette révolte se produit-elle aujourd’hui de façon simultanée dans plusieurs régions du monde ?’’, il n’a trouvé d’autre répondre que ‘’Alors ça ! Peut-être que les historiens réussiront à l’expliquer.’’ Voyons ce que les militants marxistes ont à dire à ce sujet avec leur ‘‘vieille’’ grille d’analyse basée sur la lutte des classes…

Un malaise global

Dans Lutte Socialiste, nous avons déjà eu l’opportunité de développer les causes sociales véritablement à la base du processus révolutionnaire qui a frappé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, et sur lesquelles sont venues naturellement s’ajouter des revendications démocratiques. La logique est ici identique. Derrière le mouvement pour la ‘’démocratie réelle’’ espagnol se trouve un contexte qui se répand et empire à travers le monde, un cocktail détonnant fait de situation sociale catastrophique, d’absence totale de perspectives d’avenir et de partis politiques à la solde de la dictature des marchés.

En Espagne, il y a actuellement près de cinq millions de sans-emplois (dont 40% des jeunes de moins de 25 ans) et plus de 10 millions de travailleurs engagés dans des contrats précaires et temporaires, avec des salaires inversement proportionnels à l’ampleur de la crainte du lendemain. Cette situation est loin d’être confinée à la péninsule ibérique, comme l’illustrait parfaitement cette jeune femme qui, lors d’une manifestation en Irlande – pays également sévèrement frappé par la crise – portait une pancarte clamant avec angoisse ‘’J’ai émigré d’Espagne, où vais-je maintenant aller ?’’

En 2009 déjà, alors que la crise ne faisait que commencer, le Bureau International du Travail avait publié un rapport qui dénonçait l’augmentation du chômage parmi la jeunesse ‘’Le chômage des jeunes, qui a augmenté de 7,8 millions de personnes depuis 2007, risque de produire une génération perdue de jeunes gens qui sont sortis du marché de l’emploi et qui ont perdu tout espoir d’obtenir un travail qui leur assure une vie décente.’’ Comment dès lors s’étonner de la révolte, surtout au regard des profits gigantesques que continuent d’engranger les banques, les spéculateurs, les actionnaires, les grands patrons, etc. ?

La colère trouve sa voie

Par contre, ils ont été nombreux ceux qui se sont étonnés de la passivité des appareils syndicaux. De même, les derniers qui entretenaient encore des illusions envers la social-démocratie en ont aussi été pour leurs frais. En Espagne et en Grèce, c’est la ‘’gauche’’ capitaliste qui conduit les travailleurs et leurs familles droit vers le gouffre, avec la bénédiction et le soutien de leurs ‘’camarades’’ européens. Cela explique aussi le côté fortement ‘‘antiparti’’ présent dans le mouvement. Nous estimons toutefois qu’il est erroné de rejeter toute intervention ouvertement politiquement organisée dans le mouvement. La démocratie réelle, c’est aussi pouvoir dévoiler son appartenance politique, y compris pour que l’on sache à qui on parle, et pouvoir avoir l’opportunité de défendre loyalement ses positions, ce pour quoi les masses se sont battues et continuent à se battre en Afrique du Nord et au Moyen Orient.

Quand, le 15 mai, les premiers jeunes plantent leurs tentes Puerta del Sol, ils le font donc sur un terreau de mécontentement largement partagé dans la société, comme en ont témoigné les très nombreuses personnes plus âgées ou militants syndicaux qui ont eux-aussi participé aux Assemblées Populaires et actions des Indignés. En Espagne, une grève générale avait mobilisé pas moins de 10 millions de travailleurs le 29 septembre 2010, à l’occasion d’une journée d’action européenne, mais n’avait été utilisée par les directions syndicales que comme un ‘’one-shot’’ destiné à laisser échapper de la pression au lieu de construire un rapport de forces contre l’austérité. Mais la colère à la base de la société à cherché à trouver une expression. Globalement, cette recette se retrouve partout et, si les degrés divergent, ce n’est qu’une question de temps avant que la sauce ne commence vraiment à être épicée, et la note des plus salées.

Rôle et pouvoir des assemblées

Un des autres aspects parmi les plus importants de la révolte des Indignés est représenté par les Assemblées Populaires. Dans la plupart des pays, celles-ci ne rassemblent essentiellement que des militants, des ‘‘indignés de longue date’’. Mais lorsqu’elles sont couplées à un mouvement de masse de la jeunesse et à des mobilisations plus larges dans la population, elles ont un réel potentiel d’être de puissants organes de lutte.

L’histoire révolutionnaire du mouvement ouvrier est marquée par l’émergence de conseils de travailleurs, d’organes de lutte dans les quartiers et sur les lieux de travail. Il en fut ainsi avec les ‘‘soviets’’ de Russie en 1905 et 1917 (c’est-à-dire les ‘‘conseils’’), en Allemagne en 1918, avec les conseils ouvriers qui ont émergé des luttes contre le stalinisme à Berlin-Est en 1953, en Hongrie en 1956 ou encore en Tchécoslovaquie en 1968. On peut encore parler des conseils ouvriers qui se sont développés en Espagne dans les années ’30 avant ou encore au Chili début des années ’70 avant le coup d’Etat de Pinochet. De même, dans de nombreuses grèves générales, les comités de grève ont dépassé les appareils syndicaux traditionnels et représentaient un grand danger, au même titre que les conseils ouvriers, pour le pouvoir en place. De ces organes, peut naître une nouvelle société.

Dans un premier temps, ces organes ont à organiser la lutte mais, pour peu qu’ils se basent sur la force du mouvement des travailleurs et recourent à des méthodes telles que la grève générale, ils sont capables de bloquer l’économie et les institutions capitalistes, et de poser la question cruciale : qui est le maître dans les entreprises, dans l’économie et dans l’Etat, les travailleurs ou les capitalistes ?

En Espagne et en Grèce, les Assemblées Populaires sont encore à leur tout début, leur développement ultérieur est fort loin d’être garanti. Mais si ces Assemblées s’étendent localement, régionalement et au niveau de l’Etat, tout particulièrement sur les lieux de travail, et sont coordonnées par l’élection démocratique de représentants, il est possible de commencer à construire une alternative démocratique à la dictature des marchés capitaliste dans le cadre même de la lutte contre le système, en commençant par l’organisation de la résistance contre les attaques antisociales et le contrôle des dirigeants syndicaux tout en impliquant sans cesse plus de gens dans l’organisation des actions.

L’alternative que nous défendons est une société basée sur le contrôle démocratique des secteurs-clés de l’économie (finance, énergie, transport,…), c’est-à-dire leur expropriation pour qu’ils soient nationalisés sous le contrôle démocratique de la collectivité, des travailleurs et des jeunes, par l’intermédiaire. A partir de là, l’économie pourrait être orientée vers la satisfaction des besoins de la majorité grâce à une planification démocratique de la production. Le parti que nous construisons internationalement vise à défendre ces positions, pour éviter que l’énergie des masses soit gaspillée.

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Première page de Lutte Socialiste