Après différentes actions contre la norme salariale de 0,3% et le maintien de la discrimination entre statuts d’ouvrier et d’employé, les négociations sectorielles vont commencer. C’est l’occasion de briser cette norme salariale et de mettre en avant des revendications offensives, si possible en front commun syndical.
Article tiré de l’édition d’avril de Lutte Socialiste
Les actions contre l’AIP
La majorité des syndicalistes s’est prononcée contre la proposition d’Accord Interprofessionnel, dans les trois gros syndicats et contre leurs propres directions nationales. Seules la FGTB et la CGSLB ont respecté cette majorité et sont partis en action. Mais les manifestations et actions régionales étaient relativement désorganisées, sans mot d’ordre clair donné suffisamment longtemps à l’avance. La journée d’action du 4 mars a toutefois été un succès. Différents secteurs et zonings industriels étaient à l’arrêt, tout comme le port d’Anvers qui, aux dires du chef de l’autorité portuaire, a perdu un million d’euros par heure. La fédération patronale du métal, Agoria, a perdu 20 millions d’euros de revenus et 35.000 journées de travail.
Il faut refuser la norme salariale !
Avant et après la journée d’action nationale du 4 mars, la volonté d’avoir de nouvelles actions était grande, mais l’absence d’un plan d’action a miné le potentiel de la journée du 4 mars. Il a bien été question du sommet de l’Union Européenne du 24 mars (voir en page 5), mais le débat concernant l’AIP a été renvoyé aux négociations sectorielles.
Au cours des actions contre l’AIP, les informations concernant les augmentations salariales des directions d’entreprises, de plus de 0,3% évidemment, ont fait tache. Maintenant qu’aucun accord national n’a été conclu, les négociations dans les secteurs et les entreprises peuvent commencer, pour obtenir des augmentations salariales décentes.
L’exemple allemand : 7%
Quant on parle de salaire, le patronat aime bien se référer au modèle allemand de bas salaires et de travail flexible (voir notre édition de février). Une part grandissante des travailleurs allemands tombe dans le secteur des (très) bas salaires, mais les secteurs traditionnellement plus forts n’hésitent pas à défendre des augmentations importantes. Le syndicat de la chimie IG BCE revendique 7% d’augmentation pour une année (index compris) pour les 550.000 travailleurs du secteur. La production de ce secteur a augmenté de 11% en 2010, le chiffre d’affaire de 17,5% et la marge de bénéfice a aussi augmenté. Dans la télécommunication, les syndicats allemands revendiquent 6,5% d’augmentation. Ils ont manifesté et fait grève en février contre la ‘‘proposition’’ patronale de 1,08%.
Suivons ces exemples pour les négociations sectorielles. Yvan De Jonge, secrétaire de la FGTB-Alimentation, a déclaré à la presse que : “Toutes les indications nous donnent le droit de demander plus que les 0,3% qu’ils veulent aujourd’hui nous donner. Par exemple, Coca-Cola a réalisé en 2009 un bénéfice 96% supérieur à la moyenne des 10 dernières années et en 2010 il sera trois fois supérieur à la moyenne. Quick a engrangé un bénéfice en hausse de 109% par rapport à la moyenne des dix dernières années. Des entreprises comme Candico, Dossche Mills, CSM notamment ont engrangé de ‘superbénéfices’.’’ Il a aussi dénoncé qu’alors que les bénéfices des entreprises augmentent, le personnel doit travailler 10% plus dur qu’il y a dix ans. Pour les barèmes minimaux, la FGTB-Alimentation revendique 4,5% d’augmentation.
Quelques arguments…
“Il n’y a pas de marge pour une augmentation de salaire”
Au beau milieu de la crise, en 2009, au moins 10 entreprises présentes dans notre pays ont réalisé plus d’un milliard d’euros de profit (presque 30 milliards d’euros ensemble). Les 18 entreprises du Bel20 qui ont fait connaître leurs résultats pour 2010 parlent de 16 milliards d’euros de profit, soit 30% de plus qu’en 2009. Environ la moitié de ces bénéfices seront versés aux actionnaires.
Alors qu’on nous demande de nous serrer la ceinture, il n’y a pas de problèmes pour les topmanagers et les politiciens. Les 13 managers les plus hauts placés d’ABInbev reçoivent 20,33 millions d’euros en salaires et bonus. Et nous ?
“Nous voulons partir en action, mais ceux de la CSC ne veulent pas…”
S’il y a division au sommet syndical, ce n’est pas le cas à la base dans le cadre de l’AIP. Le militant de la LCB (centrale flamande des employés de la CSC) Jon Sneyers a effectué une recherche sur les votes concernant l’AIP dans la CSC, qui démontre que 55% de la base s’est opposée au projet, chiffre ‘‘transformé’’ en 67% de ‘OUI’ avec différentes manipulations. Mais à la direction de la FGTB, on trouve aussi des coupables : la secrétaire générale Anne Demelenne a signé le projet d’Accord Interprofessionnel avant que sa base ne le rejette.
Les manœuvres au sommet entraînent très certainement des tensions à la base, mais il ne faut pas les favoriser. Le 4 mars, des militants de la CSC étaient aussi présents aux piquets, et la CNE/LBC avait fait une action particulièrement réussie le 28 février à Bruxelles, avec une petite délégation de militants de la FGTB. Travaillons l’unité à la base, les directions pourront moins facilement jouer avec nos pieds.
“Nous voulons partir en action, mais pas les Flamands…”
Cet argument, on peut souvent l’entendre du côté francophone: les Flamands seraient de droite et pas combatifs. Le 4 mars, il y avait 2.500 manifestants à Gand, 2.000 à Anvers, un millier à Louvain, et le port d’Anvers était totalement à l’arrêt. Avec des actions ce jour-là souvent mieux organisées que du côté francophone. Cet argument d’une moindre volonté de lutter en Flandre est faux, et ne doit pas être répéter si on veut construire un mouvement plus offensif.
Aucun parti traditionnel ne soutient les positions des travailleurs
Si cela nécessitait encore confirmation, le syndicat socialiste des employés SETCa et la Centrale Générale ont eu l’occasion de s’en apercevoir en faisant la tournée des partis traditionnels les 6 et 17 mars : aucun parti n’a soutenu les revendications syndicales.
Les partis gouvernementaux, y compris le PS, ont soutenu la proposition d’AIP, avec la norme salariale de 0,3% et le maintien de la discrimination entre statuts ouvrier et employé. Cette proposition a d’ailleurs aussi reçu le soutien de la N-VA. Le 4 mars, Bart De Wever s’est explicitement prononcé contre les actions pour de meilleurs salaires, a parlé d’une ‘‘ville occupée’’ et a exigé l’intervention de la police contre les grévistes. Nous avons bien vu ce qu’il fait du droit à l’action collective.
Quand la proposition scandaleuse d’AIP est sortie des négociations du ‘‘groupe des dix’’, le PS a déclaré que ‘‘Cet accord donne une nouvelle fois tout son sens au maintien au niveau fédéral de la concertation sociale interprofessionnelle, pivot de la compétitivité de nos entreprises, de la formation des salaires et des conditions de travail de milliers de travailleurs’’. Quand le gouvernement a cherché à imposer son projet, le PS a soutenu ce dernier dans un communiqué se terminant par : ‘‘Pour le PS, la priorité absolue est d’aboutir à un accord interprofessionnel équilibré et de garantir la paix sociale, dans une situation de crise particulièrement difficile.’’
On ne doit rien attendre de ces partis. Si les syndicats laissent tomber la question du prolongement politique de leur résistance contre l’AIP, ils reviendront vers les partis traditionnels la queue entre les jambes. Il est grand temps de rompre tout lien entretenu avec les partis traditionnels! Les militants combatifs doivent commencer à discuter de la façon de construire leur propre instrument politique, un nouveau parti des travailleurs.
Quelques chiffres sur les salaires…
A Bayer, les syndicats ont publié un tract comprenant les chiffres des profits de leur entreprise. En 2010, Bayer a eu 1,3 milliards d’euros de bénéfices, après impôts. De l’aveu même de la direction, le chiffre d’affaire a été cette année-là le plus élevé de l’histoire de l’entreprise.
En 2010, les dividendes par action ont été augmentés de 0,10 euro pour atteindre 1,5 euro. Les actionnaires ont reçu au final 1,24 milliards d’euros, soit 7% de plus qu’en 2009.
Les 6 membres du “bureau de management” ont reçu 10 millions d’euros en 2010, 13,5% de plus qu’en 2009. Le CEO (chief executive officer) Dekkers a gagné 80 fois plus qu’un simple ouvrier
Les travailleurs du site d’Anvers ont, eux, reçu une prime unique de 225 euros…
Si les actionnaires peuvent recevoir 7% de plus et les managers 13,5%, pourquoi doit-on se contenter de 0,3% ?