Pourquoi nous soutenons le referendum en Catalogne… et pourquoi la N-VA est moins enthousiaste

1er octobre, rassemblement à Madrid. Nos camarades d’IR étaient présents « contre la répression franquiste et pour la grève générale »

Pour la N-VA, le maintien de la politique d’austérité est plus important que le droit à l’auto-détermination

Le référendum sur l’indépendance de la Catalogne a été déclaré illégal par l’Etat espagnol. La période est houleuse et le répression très forte de la part de l’état national. L’opposition de la part de la population catalane s’exprime de façon massive. Nous nous sommes déjà exprimés sur le sujet (voir la déclaration de notre organisation-soeur dans l’Etat espagnol) mais, dans cet article, nous revenons plus spécifiquement sur l’attitude de la N-VA, la force dominante du nationalisme flamand actuel.

Dossier par Anja Deschoemacker

Pas de triomphalisme

Aujourd’hui, à l’occasion du référendum catalan, on ne voit plus rien à la N-VA des visages réjouis et de l’ambiance triomphaliste de la période précédant le référendum écossais sur l’indépendance. Même la combativité de Jan Jambon vis-à-vis de l’indépendance catalane est fortement retombée. Alors qu’en 2015, il faisait encore comprendre que la question catalane valait bien une crise gouvernementale, leurs collègues nationalistes en Catalogne doivent aujourd’hui se contenter d’une déclaration de Bart De Wever selon laquelle l’attitude répressive de l’état espagnol est « stupide et inacceptable ». Le gouvernement fédéral, dans lequel la N-VA est pourtant la force dominante, ne condamne même pas la vaste répression de l’Etat espagnol.

La détermination de la N-VA sur le plan communautaire en Belgique même est déjà mise en question depuis quelque temps par des figures au sein du mouvement flamand dont, notamment, le Vlaams Belang mais aussi deux ex-N-VA, Hendrik Vuye et Veerle Wouters (V&W) et encore des personnes telles que le politologue Bart Maddens. De fortes critiques s’étaient faites entendre après les récentes déclarations de Bart De Wever selon lesquelles le parti ne défendrait pas d’agenda communautaire lors de la prochaine campagne électorale de 2019.

Sur le plan européen, ces mêmes milieux critiquaient le passage en 2014, de la N-VA de la fraction EFA (un rassemblement de partis nationalistes/régionalistes et de verts) au parlement européen à la fraction  groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) où siègent, entre autres, les Tories britanniques. Pour sauver les meubles, la N-VA est restée membre du parti EFA (mais pas de la fraction) et elle a obtenu au sein du CRE, la liberté de voter comme elle l’entend autour des sujet relatifs à la question nationale.

Dans les deux cas, il s’agissait pour la N-VA de faire passer l’agenda socio-économique avant les objectifs nationalistes. Aujourd’hui, face au référendum catalan, nous remarquons beaucoup moins d’enthousiasme chez les dirigeants de N-VA en comparaison de l’époque du référendum écossais. Selon le mensuel Meervoud, Jan Jambon déclarait encore fin 2015, au sein de la coupole européenne des partis séparatistes, que : “Si la question catalane arrive sur la table du gouvernement belge, cela signifiera la fin de ce gouvernement”. La réalité actuelle est toute autre.

Le 21 septembre, ce n’est pas Jan Jambon qui a fait face à la Chambre pour répondre au nom du gouvernement aux questions du Vlaams Belang et de V&W quant à la la réaction du gouvernement belge suite aux récents développements autour du référendum catalan. A la demande de Siegfried Bracke, membre de la N-VA et président de la Chambre, c’est le ministre des pensions, Daniel Bacquelaine (MR) qui s’y est collé.

Cette réponse a parfaitement cadré avec les réactions officielles des institutions de l’UE jusqu’à ce moment. La constitution espagnole n’autorise pas à déclarer l’indépendance, les bourgmestres ne peuvent pas participer à son organisation,… Les arrestations de collaborateurs du gouvernement catalan ne lui posent pas de problème. Il conclut : “Nous souhaitons que cette situation interne soit résolue dans les règles de l’état de droit. Nous continuons à suivre ces évolutions avec l’attention nécessaire. »

La réponse du Président de la Commission européenne Jean-Claude Junckers a fait comprendre, en outre, que la Catalogne, en cas de scission avec l’Espagne, devrait se soumettre aux procédures normales pour devenir membre de l’UE. Etant donné que l’Espagne peut complètement bloquer cette procédure, il n’y a pas grand-chose à en attendre.

A la suite de leur propre expérience, les Écossais avaient déjà pu prédire qu’aucun soutien ne viendrait de l’UE pour les tendances indépendantistes des régions européennes. La fraction à laquelle la N-VA appartient au parlement européen, le CRE, sera d’ailleurs dans le camp le plus fortement opposé à la reconnaissance d’une Catalogne indépendante.

Pourquoi soutenir le référendum en Catalogne

Cela peut sembler ironique à première vue. Les nationalistes flamands qui se tiennent calmement à l’arrière-plan alors que l’Etat espagnol rappelle les fantômes du régime franquiste dans la répréssion d’Etat contre le référendum catalan alors que l’organisation-soeur du PSL en Catalogne et en Espagne mobilise activement contre cette répression et en faveur du référendum. Il y a pourtant une logique derrière cela : contrairement à la N-VA, le PSL n’essaie pas de défendre les intérêts de la bourgeoisie mais bien ceux d’intérêts des masses laborieuses.

Notre défense du droit à l’auto-détermination des peuples qui tendent à plus d’autonomie et/ou d’indépendance est honnête et ne sert pas à stimuler un agenda visant à diviser la classe des travailleurs afin d’économiser encore plus durement sur le dos de la majorité de la population. Nous soutenons la lutte pour l’indépendance de la Catalogne précisément parce que cette lutte est indissociable de celle à mener contre la politique d’austérité. Elle se résume à la question suivante : qui doit décider de la politique économique à mener ? L’élite de super-riches ou la grande majorité de la population ?

Pourquoi la N-VA est moins enthousiaste

Ce qui se passe aujourd’hui avec le parti gouvernemental N-VA n’est pas différent de ce qui s’est passé avec des partis comparables en Europe : SNP, CIU, les nationalistes basques modérés,… Ou à l’époque avec la Volksunie, le Rassemblement Wallon et le FDF en Belgique. Nés comme partis de la petite bourgeoisie qui tendent à l’autonomie ou l’indépendance, ils ont vite été placés face au choix suivant : soit jouer le jeu des partis d’Etat pour finalement faire de petits pas en avant en échange de leur soutien à un agenda antisocial – et risquer ainsi de se brûler les ailes au pouvoir et de perdre leur base électorale – soit rester en dehors du pouvoir avec un agenda radical et en construisant un mouvement capable d’atteindre l’objectif défini.

Le SNP en Ecosse et la CIU en Catalogne n’ont pas pu bénéficier longtemps de la majorité absolue qu’ils avaient acquise à une certaine période. Ils ont tous les deux fidèlement appliqué la politique d’austérité qui leur était imposée de la part de l’autorité nationale et ont donc, au mieux, essayé de cacher leur propre responsabilité en créant des procédures dont ils savaient pertinemment qu’elles ne représentaient pas une solution. Dans les faits, ils ont mobilisé les sentiments nationalistes sans tendre réellement vers l’indépendance. Au final, ils ont été obligés d’aller plus loin que ce qu’ils désiraient initialement, poussés par les masses qui en avaient marre de la politique d’austérité.

En Catalogne, cette pression est massivement présente depuis des années déjà. La majorité des dirigeants nationalistes catalans a été brisée par des forces nationalistes plus radicales qui ont défendu un agenda plus à gauche et progressiste que celui de la CIU et du PDeCat dont est issu l’actuel président de la généralité, Puigdemont. C’est cette pression qui a finalement poussé le PDeCat sur la voie du référendum, bien conscient que l’Etat espagnol ferait tout pour l’empêcher.

Le nationalisme n’est en effet pas neutre. Il peut être de droite avec pour base l’égoïsme économique et le revanchisme, comme c’est le cas en Flandre mais aussi en Catalogne quand on parle des partis nationalistes bourgeois au pouvoir. Mais il peut aussi être de gauche et tendre à se libérer de l’emprise de la classe dirigeante et de son agenda politique et économique. C’est le cas du large mouvement que nous voyons actuellement en Catalogne. C’était aussi le cas au sujet du mouvement autour du référendum écossais. Dans les deux cas d’ailleurs, sans que la direction des partis nationalistes dominants n’aillent si loin.

Alors que SNP se trouve dans le camp socio-démocrate d’austérité socialement accompagnée et le PDeCat plutôt au centre, la N-VA est bien plus à droite du point de vue socio-économique. Là où le SNP et le PDeCat ont encore au moins de beaux discours contre une série d’économies (ou pour des réformes progressives), la N-VA se positionne comme la puissance dirigeante qui essaie de toutes ses forces de mener les économies les plus dures et les attaques les plus structurelles contre la classe des travailleurs et les couches les plus pauvres La chance que ces derniers groupes rejoignent un mouvement derrière la N-VA pour l’indépendance de la Flandre est quasiment nulle.

Alors que la base historique de la N-VA était la classe moyenne flamande – qui prônait aveuglément le nationalisme flamand en ayant en tête que les choses iraient mieux si la « Flandre » n »avait plus à payer pour ces misérables Wallons – cette classe moyenne traverse maintenant l’expérience d’un gouvernement N-VA qui, à l’instar des gouvernements précédents et même plus ardemment, défend surtout les intérêts des grandes entreprises et des ultra-riches. Les moyens qui n’iraient plus en Wallonie (ou vers les chômeurs, les malades, …) n’iront pas non plus vers un renforcement du niveau de vie de la classe moyenne mais disparaîtront tout simplement dans les poches des ultra-riches et des grandes entreprises.

Lors d’un futur recul électoral de la N-VA, à défaut d’une alternative issue du mouvement des travailleurs dans la lutte pour plus de moyens contre l’élite dominante, une partie de ces voix reviendra à l’ancienne bergerie du CD&V. Une autre partie cherchera des voies plus radicales pour l’agenda nationaliste flamand, ce que le Vlaams Belang et V&W attendent. Ils seront probablement ensemble dans l’un ou l’autre front flamand.

Bien que le recul de la N-VA ne soit pas pour demain, surtout faute d’alternatives aux partis traditionnels qui soient progressistes, de gauche et suffisamment fortes, il est à terme impossible pour la N-VA de maintenir ce grand écart. Le mouvement perdra inévitablement de sa force à un moment donné, comme cela fut le cas pour le SNP et le PDeCa. En tout cas, la tendance dominante à la N-VA aujourd’hui est de s’accrocher au pouvoir et de considérer l’austérité prioritaire plutôt que de pousser de l’avant un agenda favorable à l’indépendance de la Flandre.

A défaut de viabilité pour l’indépendance flamande dans la société flamande, la stratégie avancée est de s’en prendre aux Wallons. Sous pression d’un gouvernement thatchérien de droite dominé par la Flandre – et donc par la N-VA -, des sentiments régionalistes pourraient vite remonter à la surface et assurer que des Wallons soient demandeurs d’une confédération. A la N-VA, on a donc dû être ravis que le PS organise un congrès wallon après son congrès idéologique et que les forces régionalistes se fassent entendre au sein de la FGTB wallonne.

Si un mouvement substantiel émergeait en Wallonie autour d’un programme anti-austérité, lié à la revendication de plus d’autonomie régionale – ce qui n’est pas exclus, surtout si une lutte syndicale nationale contre la politique d’austérité se fait attendre, que le mouvement social rencontre d’autres défaites et que la démoralisation commence à s’étendre – ce mouvement montrera cependant plus de similitudes avec les mouvements d’indépendance écossais et catalan qu’avec le flamand : la classe des travailleurs le marquera de son sceau.

Le possibilité de voir ce mouvement entrer gentiment dans le schéma de la N-VA et négocier avec elle une confédération dans laquelle la sécurité sociale serait scindée (ce qui, sans mesures compensatoires, mènerait à une sérieuse chute du niveau de vie en Wallonie et à Bruxelles) et la dette publique répartie de part et d’autre – ce qui permettrait à la Flandre de garder un contrôle au moins partiel sur Bruxelles – est cependant plus mince que de celle de voir le mouvement contre la politique d’austérité entraîner les travailleurs flamands derrière lui.

Ce qu’il adviendrait de Bruxelles et de la communauté germanophone dans un tel développement est une autre question importante. La chance que la N-VA puisse élaborer une proposition qui emporterait l’approbation de la population bruxelloise est nulle. Et que Bruxelles veuille avoir son mot à dire ne fait aucun doute.

Des études indiquent depuis l’existence de la Région bruxelloise, Bruxelles construit toujours plus sa propre identité, indépendamment de la Flandre et de la Wallonie. Il y a des tensions constantes avec la communauté flamande et la Fédération Wallonie-Bruxelles, toutes deux compétentes pour l’enseignement à Bruxelles. Ces tensions avec la Wallonie peuvent continuer à s’accentuer si les gouvernements de la région bruxelloise, de la région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles conservent à plus long terme des majorités différentes.

La régionalisation des compétences communautaires à Bruxelles peut vite être à l’ordre du jour. Lors de telles négociations, il y aura peu voire pas de place pour la communauté flamande. Ainsi, « l’enfumage des Wallons » peut avoir pour conséquence que la Flandre perde toute participation à Bruxelles. Et quand la possibilité pour Bruxelles d’exister comme région et communauté en un seul bloc se posera, même dans la petite communauté allemande, le rêve d’une propre région refera surface.

Si elle a le couteau sur la gorge, la bourgeoisie pourra admettre une indépendance sur le papier – mais une réelle libération est impossible sous le capitalisme. Il est difficile de rénover des châteaux de cartes, chaque carte que l’on bouge met en péril l’équilibre de tout l’édifice et chaque mouvement peut faire s’écrouler tout le château. La bourgeoisie a beau utiliser la question nationale pour semer la division et détourner l’attention de la lutte des classes qu’elle est en train de mener, elle reste un défenseur absolu des Etats-nation existants. Elle n’acceptera que les Etats-nation soient brisés que si l’alternative est une révolution qui menace de renverser le capitalisme.

Et même dans ce cas-là, elle essaiera d’imposer au nouvel Etat-nation de rentrer dans le rang sur le plan économique – c’est-à-dire de poursuivre la politique d’austérité sur le dos de la majorité de la population – que ce soit via l’Union européenne, le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale.

C’est pour cela que non seulement nous sommes en faveur de l’indépendance de la Catalogne mais également pour une Catalogne socialiste indépendante. L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche sur base du mouvement indépendantiste, un gouvernement qui enfreint les diktats de l’Etat espagnol et de l’UE parce qu’ils rendent impossible une politique sociale serait un énorme stimulant pour la classe des travailleurs ailleurs en l’Espagne et en dehors. Dans un tel scénario, un mouvement de la base pourrait naître rapidement visant à une confédération des Etats socialistes ibériques, ce qui inspirerait la lutte des travailleurs dans toute l’Europe contre la politique d’austérité et le processus de décision anti-démocratique. Ainsi, une Europe de la base pourra être construite où équité et respect de la volonté seront centraux, tous comme les droits des minorités. Un mouvement qui puisse veiller à l’unité des travailleurs.

Nous ne soutenons les mouvements d’indépendance que si ces éléments sont réunis et alimentés par les masses et, surtout, la classe des travailleurs. Nous ne donnerons jamais notre soutien à un mouvement indépendantiste qui veut obtenir une amélioration pour ses « propres » travailleurs en imposant un appauvrissement à d’autres, comme la N-VA et le PDeCat le défendent. Nous pensons que l’histoire belge montre suffisamment que la question nationale ne sera jamais résolue sur base capitaliste. Commencée sous domination francophone, le français étant la langue de la bourgeoisie, pour arriver à une domination flamande au profit de cette même bourgeoisie, l’Etat capitaliste belge n’a jamais réalisé la libération de qui que ce soit, il n’a signifié qu’exploitation, oppression et discrimination.

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