Depuis septembre 2010, le secteur industrie de la section BHV du SETCa est privé de ses 5 permanents, licenciés brutalement pour « faute grave ». C’est le résultat de l’obstination des dirigeants du SETCa fédéral à vouloir se débarrasser d’éléments jugés gênants, gênants parce que combatifs. Martin Willems, l’un de ces cinq permanents licenciés, revient pour nous sur ces évènements et ses conséquences.
Interview réalisée par Nico M. (Bruxelles), pour le mensuel Lutte Socialiste
Nico : Quelles sont les enjeux importants derrière ces licenciements ? Quelles sont les derniers développements de la campagne pour votre réintégration ?
Martin W. : Tout d’abord, ce qui est spécifique à notre syndicat et qui est essentiel dans cette affaire, c’est que les permanents syndicaux sont élus par la base réunie en assemblées puis en Congrès ; cette élection est remise en question au moins tous les 4 ans. Le contrat de travail découle « automatiquement » de cette élection. Ce n’est donc pas du tout les dirigeants qui décident si je suis permanent ou si je ne le suis pas, c’est la base, à laquelle nous devons rendre des comptes et répondre de nos éventuelles fautes.
Martin Willems sera présent au Week-end "Socialisme 2011" et animera une commission "Pour des syndicats démocratiques et combatifs", le dimanche 13 mars, de 13h à 15h30.
Ce licenciement est donc illégitime car décrété par des dirigeants seuls, qui ont à dessein évité de consulter la base à ce sujet. Suite à notre «licenciement », toutes les assemblées et le Congrès qui étaient justement prévus ont été annulés, nous privant de ce fait de la possibilité de nous justifier et nous défendre devant la base. L’assemblée générale est l’échelon de base de la démocratie syndicale. C’est le seul endroit où tous les militants peuvent s’exprimer. Le Congrès est l’organe souverain de notre section.
Mais en ce début 2011, de nouvelles assemblées de secteur étaient prévues, notamment pour préparer les cahiers de revendication et les congrès sectoriels : une assemblée générale « services » le 26 janvier et une assemblée « industrie » le 8 février. Il faut savoir que l’assemblée « services » représente presque la moitié de toutes les entreprises de la section, dont 70 du secteur industrie.
Lors de l’assemblée du 26 janvier, les militants ont exigé que la question de notre licenciement soit rajoutée à l’ordre du jour. Les dirigeants à la tribune, dont le président fédéral, se sont opposés à cette demande. Sous la pression de la salle, Bernadette et moi, qui étions dehors à distribuer des tracts, avons été invités à entrer ; les présidents de séance sont descendus de la tribune tout en restant dans la salle. Les travailleurs ont repris en main l’ordre du jour. On s’est exprimés, on a répondu à des questions, d’autres permanents ont voulu défendre la position des dirigeants fédéraux et finalement une motion a été votée à l’unanimité. En substance celle-ci demande notre réintégration en appuyant que c’est une revendication syndicale et que le syndicat ferait bien de montrer l’exemple de ce qu’il revendique dans les entreprises. Suite à cela la direction n’a pas bougé, et certains ont même avancé l’idée que l’assemblée n’avait aucune validité parce que nous étions invités.
La deuxième assemblée a donné lieu à des manœuvres. La « direction » n’a par exemple invité les militants que d’une partie des entreprises du secteur et, quelques jours avant, a tout simplement annulé l’assemblée. Ils ont eu des craintes au vu de ce qui s’est passé le 26 janvier et parce que les militants attendaient cette réunion pour enfin que l’assemblée puisse s’exprimer sur le licenciement des 5 permanents. Cela démontre l’état d’esprit des dirigeants du SETCa et de notre section. Leur objectif d’éliminer les 5 permanents se fait au mépris du fonctionnement des instances démocratiques de la section et ils n’hésitent pas à mettre en difficulté les délégués dans cette bataille ridicule.
Malgré l’annulation de l’assemblée et des congés syndicaux par la direction, L’assemblée s’est quand même tenue avec un nombre significatif de délégués et entreprises représentées. Après discussion et débat, la même motion à été votée à l’unanimité. De plus les militants présents ont émis l’idée que des actions plus conséquentes étaient nécessaires après cette longue période depuis notre licenciement où nous avons fait plus un travail d’explication et de conscientisation. Une délégation d’une trentaine de militants s’est donc dirigé vers les locaux place Rouppe pour rencontrer la direction fédérale. Une fois sur place celle-ci n’a pas daigné recevoir les militants mais a par contre appelé la police pour faire vider les locaux. Paradoxalement, la police a dû expliquer au SETCa qu’ils n’interviennent pas dans les conflits sociaux contre des militants pacifiques.
Nico : Quelles sont les perspectives pour la suite de la campagne réintégration ?
Martin W . : Nous sommes des syndicalistes donc nous croyons fermement à la conscientisation et à l’action collective de masse. On ne demande pas la pitié des militants ni des dirigeants mais bien de s’interroger sur la démocratie syndicale et le fonctionnement syndical aujourd’hui.
On se bat pour notre réintégration mais aussi pour défendre les principes de notre organisation et de la démocratie syndicale.
Notre combat s’inscrit dans la vie de l’organisation syndicale et on veut promouvoir dans notre combat une certaine conception du syndicalisme. Nous devons donc aussi intervenir sur les enjeux actuels que traverse le syndicalisme. Et l’AIP est un énorme enjeu. Pas seulement au niveau des chiffres qu’il contient mais aussi au niveau de principes extrêmement graves. Par exemple la norme salariale qui est devenue contraignante et plus ou moins de 0%. Autrement dit c’est purement et simplement une interdiction d’augmentation salariale. Ou encore accentuer les transferts d’argent public pour aider le patronat au niveau des indemnités ou des salaires minimums. On va où là ? Un jour ils n’auront même plus à payer les salaires. C’est l’argent public qui s’en chargera ? On est en train de violer des principes fondamentaux de notre conception des relations de travail. On peut aussi parler de la question des statuts ouvrier/employé. D’abord ce dossier n’avait rien à faire dans un AIP. Le patronat surcharge l’AIP pour pouvoir présenter certains dossiers où il ne pouvait pas ne pas reculer comme des concessions justifiant qu’il n’y ait pas d’avancée sur des points essentiels pour un AIP, comme la norme salariale.
Dans le secteur industrie, nous connaissons bien le problème des différences de statut entre ouvriers et employés. Au quotidien on travaille en front commun avec les ouvriers. On a souvent la chance d’avoir une de confiance avec les centrales ouvrières suite à des luttes communes, par exemple avec les métallos chez IAC-FIAT. Aujourd’hui il est temps de réellement lutter contre ces discriminations entre employés et ouvriers, notamment sur les conditions de licenciement ; il faut s’aligner sur les meilleures conditions des employés. Et surtout ne jamais accepter une solution « entre les deux », au nom d’une vision patronale de la « solidarité » qui n’est que partager la misère. Le progrès social ne va que dans un sens. Sinon demain alors on peut trouver une aussi une solution d’ »entre-deux » pour niveler les pensions des fonctionnaires sur celles des travailleurs du secteur privé, ou encore dire que le CDI c’est injuste vis-à-vis des intérimaires. Avec une telle logique on va se faire baiser partout. On ne doit pas résoudre les problèmes en coupant la poire en deux. Ca veut dire qu’il faut faire quelque chose pour les ouvriers et c’est justement les employés, le SETCA, qui doivent mener le plus activement une telle lutte. Tant qu’il y aura des conditions moins favorables alors les meilleures seront toujours menacées.
Pour Brinck’s par exemple, il y aurait fallu idéalement une lutte dans tout le secteur du transport de fonds, avec G4S, pour passer tout le secteur sous le statut employés et éliminer la « concurrence » déloyale en alignant sur le haut. En plus avec seulement 2 entreprises on pouvait bloquer tout le secteur.
On compte donc bien s’inscrire dans toutes les actions contre l’AIP et pour un combat significatif. Aujourd’hui les mots d’ordre semblent assez flous, avec le risque que le mouvement s’essouffle et qu’on en arrive à « atterrir » avec cet AIP. Il faut donner un signal clair sur la portée de ce qu’on veut faire. On ne doit pas passer d’un mot d’ordre de journée de grève nationale vers une journée d’action nationale où chacun fait un peu ce qu’il veut et où d’expérience il n’y a pas de mouvement d’ensemble très clair.
Nico : Dans son attaque contre les permanents, la direction du SETCA ne semble pas intéressée par ces enjeux que tu viens de souligner. On a parlé de leur obstination à se débarrasser des éléments combatifs au mépris de tout ce qui devrait construire le syndicalisme : démocratie et combativité notamment.
Martin W. : Ce qui est dramatique c’est qu’au travers de leur obstination ils participent avec le patronat à banaliser le concept de faute grave, très flou en Belgique. C’est d’autant plus dramatique que ça a lieu dans et par le syndicat.. Il faut souligner qu’une faute grave court-circuite toute forme de protection existante, préavis, prépension ou protection des délégués par exemple. Notre « faute grave » repose sur un délit d’opinion et de contestation. Et si aujourd’hui on nous taxe de faute grave alors demain c’est le syndicalisme qui est une faute grave.
Récemment ING a menacé de licencier pour faute grave 2 délégués sous le concept flou d’harcèlement moral sur d’autres délégués. Comme par hasard il s’agit de 2 délégués combatifs. Ca pose tout de suite la question de la cohérence de notre combat : on ne peut pas cautionner chez nous les situations que l’on combat dans les entreprises. Ce ne sont pas des exemples isolés de tentative de purges dans les entreprises. On remet en cause la liberté de contester, liberté centrale pour le syndicalisme.
Aujourd’hui dans les entreprises, les délégations continuent à nous faire confiance et nous donnent mandat pour les aider dans leurs combats quotidiens. Ce qui est fou c’est que dans ce cadre, depuis septembre jusqu’à encore aujourd’hui, la direction du SETCA prend contact avec les organisations patronales et les directions pour ne pas nous permettre d’entrer dans les entreprises et nous refuser d’exercer le mandat donné par les travailleurs tout en maintenant aussi une pression sur les délégués. Cette affaire a des répercussions très concrètes dans les entreprises même où l’ont met des bâtons dans les roues des délégations. Ils mettent un point d’honneur à nous empêcher de travailler, contre l’intérêt évident des travailleurs. Ca va jusqu’à un point où on se demande quels sont les arrangements avec les directions d’entreprise. On peut se demander quel est le prix à payer pour que les directions d’entreprise acceptent de relayer dans leur entreprise une querelle interne au SETCa. Si les dirigeants du SETCa obtiennent gain de cause pour qu’on ne soit pas admis dans l’entreprise alors est-ce que les mêmes directions qui ont fait cette faveur vont accepter qu’ensuite le SETCa se montre dur pendant les négociations ? C’est vraiment problématique parce qu’on parle parfois de situations où les travailleurs risquent de perdre leur emploi. On peut avoir des débats internes mais face à notre véritable ennemi de classe on doit montrer un front uni, en tout cas pas se déforcer.