C’était en janvier-février de cette année, à Saint-Pétersbourg et ailleurs en Russie; des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues, bloquant voies ferrées, autoroutes,… Tout en réclamant la démission de Vladimir Poutine. Pour la première fois depuis son accession au pouvoir en 1999, les sondages faisaient apparaître une majorité de russes le contestant.
Nicolas Croes
En cause, ce que l’on appelle la " monétarisation " des allocations. Les pensionnés bénéficiaient jusqu’alors de 50% de réduction pour leurs loyers et des transports en commun gratuits, avantages dont bénéficiaient également plusieurs secteurs de l’Etat. Tout cela fut supprimé et remplacé par une compensation financière ridicule. Les mobilisations qui suivirent furent les plus massives de l’ère Poutine, et prirent un tournant particulier, car ces attaques visaient les derniers acquis sociaux issus de la période soviétique, et se déroulaient très exactement un siècle après la révolution avortée de 1905. Ce n’était pas seulement Poutine qui était décrié, mais également le régime, et, de plus en plus, le capitalisme en lui-même.
Différentes études parues lors des élections présidentielles de 2004 notamment avaient déjà permis de démontrer que l’offensive extrêmement violente menée à l’encontre du passé soviétique de la Russie n’avait pas abouti aux résultats attendus. Malgré le flot ininterrompu depuis 1991 d’articles, d’analyses d’archives, de livres ou d’émissions télévisées ou radio dénonçant le "communisme" et promouvant les "valeurs marchandes démocratiques", 57% des Russes veulent revenir au régime soviétique, même dégénéré et bureaucratisé comme il l’était.
Quinze années après la chute de l’Union Soviétique, 45% de la population considèrent encore ce système comme meilleur que l’actuel, et 43% veulent une "révolution bolchévique". Quant à l’opinion des russes concernant les privatisations, 80% les définissent comme criminelles… Il faut toutefois nuancer cela, les jeunes n’ayant pas ou peu connu l’URSS sont de loin plus perméables à la propagande du Kremlin actuel.
Les raisons d’un tel sentiment, malgré l’absence de démocratie ouvrière que connaissait l’URSS depuis le milieu des années vingt? C’est qu’à côté de la bureaucratisation de la société sortie de la révolution d’octobre subsistaient encore des acquis de cette révolution. Mais ceux-ci n’étaient plus que l’ombre de ce qui fut décidé à l’origine. On trouve à ce sujet d’intéressantes données dans le livre de Boukharine et Préobrajensky L’ABC du Communisme, publié en 1919. Ainsi, il était interdit d’utiliser le travail des mineurs âgés de moins de 16 ans, alors qu’ils étaient encore envoyés dans les mines en Belgique. Ceux-ci étaient graduellement retirés du travail et, tout en assurant leur vie matérielle, placés dans des écoles. Les femmes enceintes, ou ayant accouché, recevaient une allocation spéciale égale à leurs appointements, pour tout le temps de leur inactivité, ainsi qu’un subside supplémentaire pour les soins à apporter à l’enfant. De plus, les journées de travail étaient fixées à un maximum de 8 heures, moins pour les travaux plus pénibles, qui étaient par ailleurs interdit pour les adolescents et les femmes.
Il existe une multitude d’exemples, comme l’assurance en cas d’accident, qui permettait d’indemniser toute la famille,… Les malheurs que connurent les travailleurs russes à ce moment n’étaient pas dus à de mauvaises lois, mais à une grande insuffisance découlant du blocus décrété par les puissances impérialistes et de la guerre civile.
Tout cela peut se réduire au fait que la priorité n’était pas de faire du profit. Il y eut durant les premières heures du régime soviétique un réel accent sur le bien-être des travailleurs, et ce en dépit de l’isolement, de la guerre et de la famine. Non pas secondairement et dans le seul but de justifier le pouvoir accaparé par la bureaucratie comme ce fut le cas sous Staline et ensuite, mais tout simplement parce que là est le seul objectif du socialisme.