Niger : Enlèvements en plein centre de Niamey – Terrorisme au Sahel : ça doit cesser !

L’enlèvement et la mort de deux jeunes Français le week-end dernier au Niger révèle l’ampleur de l’arrogance de l’élite impérialiste française

Vendredi soir, le 7 janvier, deux amis, Antoine de Léocour, et Vincent Delory, prenaient tranquillement leur verre au maquis Le Toulousain, en plein centre de Niamey, lorsqu’ont fait irruption quatre hommes armés qui leur ont ordonné de les suivre. Moins de 24 heures plus tard, les deux jeunes hommes trouvaient la mort dans la steppe malienne au terme d’une course-poursuite digne des plus lourdingues des films d’action.

Au départ, on avait cru qu’il s’agissait d’un règlement de compte de la part d’un prétendant jaloux, vu qu’Antoine s’apprêtait à se marier avec une Nigérienne, raison pour laquelle son ami Vincent venait d’arriver au Niger, pas même deux heures auparavant, pour lui servir de témoin. Qui pouvait croire à une prise d’otage ? En plein centre de Niamey, cela ne s’était encore jamais vu. En plus, le même soir, dans le même maquis, étaient présents des poissons autrement plus juteux : le chef de la coopération espagnole, le directeur d’Oxfam, etc. tous témoins de l’enlèvement.

Pourtant, sitôt les premiers accrochages armés pendant la nuit au niveau d’un barrage routier, il a fallu se résoudre au fait que oui, il semblait bien que l’on avait à faire à un enlèvement d’otages par AQMI (al-Qaïda au Maghreb islamique). La course-poursuite entre l’armée nigérienne et les ravisseurs s’est poursuivie toute la nuit et le lendemain, passé la frontière malienne. C’est là qu’est intervenue l’aviation française, mettant un terme sanglant à l’aventure.

Pourquoi est-ce justement ces deux jeunes Français (âgés de 25 ans), dont l’un n’avait jamais mis les pieds au Niger auparavant, qui ont été enlevés ? La faute à pas de chance. Cette aventure a révélé la barbarie profonde des terroristes d’AQMI. AQMI jusqu’ici ne s’attaquait qu’au personnel de la société minière Areva, qui exploite les gisements d’uranium dans le nord du Niger qui fournissent à la France un tiers (!) de sa production d’électricité totale. Cela avait permis aux soi-disant “moudjahidines” de se doter d’un certain soutien en tant que “combattants anti-impérialistes” (en particulier de la part de la population locale majoritairement touarègue, qui soufre de la pollution radioactive), puisqu’ils allaient même jusqu’à revendiquer la nationalisation des mines. Ce soutien leur a permis de se constituer un vaste réseau d’informateurs et de ravitaillement, masquant leurs pratiques mafieuses de trafic de drogue et d’armes passant par les routes du désert.

Mais ce week-end, ils se sont attaqués à une toute autre cible : deux jeunes Français choisis purement au hasard. Les guérilleros d’AQMI sont tout bonnement rentrés dans un endroit où ils savaient qu’ils allaient trouver des Blancs, en ont chopé un au hasard (Vincent), qui a été suivi par son ami Antoine, et sont partis avec. C’est-à-dire que n’importe qui peut être ciblé. Donc que tous les blancs au Niger sont ciblés (reste à voir si AQMI s’en prendrait aussi aux non-Français, mais c’est probable). AQMI a également envoyé un pied de nez à la junte militaire au pouvoir, en opérant dans un café se trouvant à peine à 300 m de la Présidence ! Donc, tous les blancs sont ciblés, partout au Niger. Voire partout au Sahel, vu que cet enlèvement fait suite à une tentative d’attentat à la bombe à Bamako, capitale du Mali, pas même une semaine auparavant – une grande première également.

À l’annonce de la mort de ces deux innocents, les premières réactions pour les Nigériens ont été une grande tristesse et une grande inquiétude pour l’avenir. La situation se dégrade. Cela est confirmé par exemple par la liste de l’International Crime Threat Assessment rédigée par les États-Unis : en 2000, aucun pays du Sahel ne figurait sur cette liste ; en 2010, tous les pays de zone sahélo-saharienne étaient, à un degré ou à un autre, touchés par la criminalité transnationale et le terrorisme. Les Nigériens sont un peuple en général fier de son hospitalité et de sa non-violence – surtout quand on compare la situation dans le pays par rapport à ce qui se passe quotidiennement au Nigéria voisin. En plus, le départ précipité de l’ensemble des blancs présents au Niger aurait une répercussion certaine sur l’ensemble du commerce et de l’emploi (vu le nombre d’ONG occidentales qui emploient énormément de personnel nigérien, cadres comme petit personnel). D’ailleurs, le couvre-feu imposé dès 19h à l’ensemble de la population blanche du Niger commence déjà certainement à avoir un effet.

Même au-delà de ça, à partir du moment où l’ensemble du territoire nigérien devient “zone rouge”, quid du tourisme ? L’économie de la région d’Agadez (centre de la culture touarègue au Niger, dans une région de grande beauté naturelle et qui accueillait beaucoup de visiteurs chaque année) est déjà dévastée, la plupart des artisans touaregs se sont repliés à Niamey… – où aller maintenant ?

Mais au fil de la semaine, la tristesse a fait place à l’incompréhension puis à la colère et à l’indignation.

L’incompréhension d’abord, parce que les communiqués émis par l’armée française sont en contradiction flagrante avec ceux de l’armée nigérienne. Notamment concernant le nombre de pertes des deux camps, la capture ou non de terroristes par les forces nigériennes pour interrogatoire, la présence inexpliquée de gendarmes nigériens qui apparemment accompagnaient les terroristes, et évidemment, les circonstances du décès des deux malheureux otages.

La colère ensuite, parce que si les médias français comme nigériens se sont longuement étalés sur l’identité des deux otages, sur leur vie, leur famille, etc. avec photographies, grandes déclarations du Ministre de la défense Alain Juppé et organisation d’une marche blanche dans leur ville natale, absolument rien n’est dit concernant les trois gendarmes nigériens tués dans l’aventure (le Capitaine Aboubacar Amankaye, le maréchal des logis Abdallah Aboubacar et le gendarme de 1ère classe Abdou Alfari ). Il a fallu attendre l’édition du journal gouvernemental le Sahel du 12 janvier pour avoir leurs noms, accompagnée d’une photo en noir et blanc d’un brancard recouvert d’un drap – on suppose que l’un d’entre eux se trouve en-dessous. D’ailleurs, l’ensemble de la presse nigérienne semble n’avoir eu que faire de l’événement, toute concentrée qu’elle était sur l’organisation des élections communales et régionales du 11 janvier. Les seules informations provenaient des chaines françaises. Pas un merci, rien. Tout cela a contribué à donner l’idée que la vie de deux Français vaut plus que celle de trois Nigériens. Eh quoi, on n’est pas des êtres humains ou bien ?

L’indignation enfin, parce qu’il semble de plus en plus se confirmer qu’alors que les soldats nigériens étaient tout proches des terroristes, l’aviation française a ouvert le feu sans même en aviser ses alliés (ou laquais ?) nigériens. L’autopsie des corps de Vincent et Antoine a révélé que l’un est mort d’une balle dans le visage tirée à bout portant (vraisemblablement de la part d’un des terroristes qui, voyant leur opération échoué, s’est vengé sur les otages), l’autre de brulures graves – il serait donc apparemment décédé dans l’incendie du véhicule des terroristes après que celui-ci ait essuyé les tirs français. Vincent et Antoine auraient donc été sacrifiés par leur propre gouvernement. De même que certains soldats nigériens qui, il le semble, se sont vus eux aussi canardés par l’aviation française.

La revendication de l’enlèvement par les chefs d’AQMI a encore plus retourné le couteau dans la plaie : ceux-ci, loin de se désoler de la perte de leurs hommes et de leur matériel, et de l’échec de leur mission de prise d’otages, se félicitent au contraire d’avoir infligé plus de pertes à l’ennemi que leurs propres pertes (ils parlent de 25 blessés et tués nigériens), et d’avoir semé le désordre entre les états-majors français et nigériens.

En réalité, il semble à présent que, alors qu’AQMI aurait pu se voir discrédité par cette manœuvre à l’arbitraire répugnant, cette organisation ait été dépassée en barbarie par l’armée française elle-même. L’armée française, en voulant régler cette affaire elle-même et de la manière la plus musclée possible («Ne rien faire, c’est donner un signal que la France ne se bat plus contre le terrorisme», Alain Juppé), a en réalité contribué à miner encore un peu plus sa propre réputation.

Beaucoup de Nigériens sont aujourd’hui scandalisés du fait que ce soit à nos compatriotes de payer pour des histoires qui, finalement, “ne nous concernent pas”, et qu’en plus, il semble que le chef actuel de l’État, le dictateur débonnaire Salou Djibo, ait donné son accord à l’intervention française. Ce “grand patriote” se retrouve donc quelque peu compromis dans cette affaire.

Le terrorisme, fruit de l’impérialisme

Les vrais responsables de la situation d’insécurité croissante sont les Sarkozy et les Juppé, mais au-delà des exactions d’un gouvernement, c’est l’ensemble de la classe dirigeante impérialiste française qui est responsable de cette affaire, les Lauvergeon et Co, patrons des mines d’uranium qui irradient la nature, le bétail et la population du Sahara pour tirer un immense profit, sans rien donner en retour au pays à qui appartiennent les richesses exploitées, à part des cacahouètes.

Avec leurs amis spéculateurs et du FMI, ils ont contraints à la faillite et à la misère l’ensemble du continent africain. Aujourd’hui encore, ils manipulent la politique de leurs anciennes colonies en soutenant tel dictateur par-ci (comme Ben Ali en Tunisie), tel président soi-disant élu par-là (comme Ouattara en Côte d’Ivoire). La démocratie ? Seulement quand ça les arrange ! Dès qu’un président ose se dresser contre eux, on le renverse ou on l’assassine. Au-delà de ça, ils corrompent les élites nationales qui sont réduites au rang de bourgeoisie compradore purement parasitaire.

Il n’y a en ce moment au Niger aucun parti des travailleurs digne de ce nom, qui pourrait servir de relais aux justes revendications du peuple nigérien. C’est d’ailleurs aussi le cas au Mali et en Algérie. Cela crée un vide politique, c’est-à-dire que toute cette colère face au pillage en bonne et due forme des richesses du pays et face à la corruption des élites nationales se retrouve sans aucun outil de lutte politique pour canaliser cette colère en quelque chose de constructif. De même en ce qui concerne les justes revendications nationales du peuple touareg. Et donc, ce vide politique est petit à petit en train d’être occupé par les organisations islamistes réactionnaires, qui sont perçues par les masses comme étant les seules à oser se dresser contre la domination de l’impérialisme, les seules à donner une réponse à l’aliénation des masses. C’est un réel danger. Les islamistes n’ont rien d’autre à offrir que la barbarie. Il faut tout faire pour éviter que la peste islamiste ne se répande au Niger ou au Mali, comme elle s’est répandue en Somalie, au Yémen et au Pakistan.

Mais les élites corrompues de France et d’Afrique n’offrent aucune solution à part le massacre d’innocents, qui ne fait que renforcer ces organisations qu’elles disent vouloir combattre.

Travailleurs français comme nigériens : contre l’impérialisme !

Au cours de son Quatrième Congrès en 1922, l’Internationale Communiste déclarait déjà dans ses “Thèses sur la question nègre” que «l’ennemi de la race nègre est aussi celui des travailleurs blancs. Cet ennemi, c’est le capitalisme, l’impérialisme. La lutte internationale de la race nègre est une lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.» Et un peu plus loin : «Le peuple nègre n’est pas le seul à souffrir de l’oppression du capitalisme et de l’impérialisme : les ouvriers et les paysans d’Europe, d’Asie et d’Amérique, sont aussi les victimes de l’impérialisme ; la lutte contre l’impérialisme n’est pas la lutte d’un seul peuple, mais de tous les peuples du monde».

Ces thèses ont été illustrées le week-end dernier par le mépris avec lequel le gouvernement français a traité la vie des deux jeunes Français, n’hésitant pas à ouvrir le feu. Le prestige de la France avant tout. Il fallait “donner une bonne leçon aux terroristes”, montrer que “c’est nous qu’on est les plus forts” (on pourrait même croire qu’ils ne voulaient pas que l’armée nigérienne leur vole la vedette en arrêtant elle-même les terroristes).

Un internaute, commentant la situation sur le site TamTam info, disait aussi ceci : «On sait, pour parler d’une autre affaire, que Florent Lemaçon avait été tué sur son bateau par des tirs “amis” (on dit aussi “tirs fratricides”) c’est-a-dire par ses compatriotes français et non par les pirates somaliens. De même, l’humanitaire français de 78 ans, Michel Germaneau est mort parce qu’il ne pouvait plus prendre ses médicaments (il était cardiaque) et non pas par la faute de ses ravisseurs “parce qu’ils voulaient se venger” comme on a voulu nous faire croire.» Avant de conclure : «Désinformation ou mépris ? Les deux».

Mais à quoi s’attendre d’autre quand on voit le mépris ouvert avec lequel l’élite française, regroupée autour de son président Sarkozy, traite au quotidien la vie de ses concitoyens en France même ? Ce gouvernement qui est sourd aux aspirations de son peuple, qui passe sa réforme des pensions malgré des journées d’action regroupant des millions de Français, qui attaque les fonctionnaires, qui privatise les chemins de fer, la poste, l’électricité, tout en arrosant de milliards d’euro ses amis banquiers. Un gouvernement qui envoie l’armée faire dégager des grévistes ! Qui au moindre problème, cherche à dévier l’attention en inventant de faux débats comme la question des Roms, le port du voile, bref, qui se cherche des bouc-émissaires pour masquer sa propre politique mafieuse.

L’État français se fait de plus en plus musclé, en France comme dans ses anciennes colonies. Il est urgent que le peuple africain arrête de considérer tous les Français comme des envahisseurs, mais considère au contraire les travailleurs français comme des alliés potentiels dans la lutte contre la détestable et criminelle élite française.

Combler le vide politique, construire un mouvement de lutte

Pour lutter contre le terrorisme et l’impérialisme, il est urgent de construire un mouvement populaire large et démocratique, qui regroupe l’ensemble des ouvriers et des employés, et des représentants des petits commerçants, des artisans, des chauffeurs de taxi, des étudiants et des jeunes en galère, des éleveurs, des agriculteurs, des pêcheurs du bord du fleuve… et des pauvres en général, pour organiser et diriger la lutte contre le gouvernement nigérien pro-impérialiste actuel, comme celui qui va sortir des urnes. Ce mouvement pourrait prendre une forme similaire à celle de la Coalition de la société civile (Lasco) au Nigéria, et devrait se doter d’un parti politique.

Ce mouvement devrait être armé d’un programme socialiste et internationalise, appelant à la (re)nationalisation, mais sous contrôle des travailleurs, des secteurs-clés de l’économie, comme l’ensemble des mines d’uranium et d’or, des champs pétroliers, des banques, et des services publics comme les télécommunications, l’eau, etc. afin de mettre en commun l’ensemble des ressources du pays pour un plan de développement socialiste du pays basé sur les aspirations de comités populaires élus et armés dans chaque quartier, village, etc. et avec une attention particulière sur la question touarègue.

Enfin, le Niger ne se développera pas seul, et la tentation serait grande pour l’impérialisme d’envoyer ses escadrons de la mort semer la terreur et assassiner les leaders de ce mouvement populaire. C’est pourquoi nous prônons l’organisation de ce mouvement à une échelle internationale, dans toute l’Afrique de l’Ouest, dans toute l’Afrique, et au niveau mondial, avec notamment des liens forts et fraternels avec le peuple travailleur français en lutte contre son élite dirigeante.

C’est ainsi seulement que l’on pourra une bonne fois pour touts couper l’herbe sous les pieds des terroristes et des islamistes, et enfin assurer un développement et une paix durables au Niger et en Afrique.

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