Maghreb : La révolte Tunisienne s’étend en Algérie – Solidarité avec les masses Tunisiennes et Algériennes !

Cette nouvelle année a commencé avec une importante vague de révolte qui touche l’Afrique du Nord. Alors qu’en Tunisie, le régime dictatorial de Ben Ali est touché par une importante série de protestations depuis une semaine, l’Algérie a aussi vécue au fil ‘d’émeutes’ populaires. Celles-ci ont principalement impliqué pour le moment des jeunes et ce dans un pays où 75% de la population a moins de 30 ans. Ce soulèvement massif révèle au monde entier l’importance du désespoir et de la rage de cette génération “no future”, et ce dans un contexte aiguisé par les effets de la crise internationale du capitalisme.

Pour en savoir plus:

  • Révolte sans précédent en Tunisie – A bas le régime de Ben Ali !
  • Tunisie: Message de solidarité de Joe Higgins, député européen du CIO
  • Algérie: Arcelor Mittal connaît sa seconde grève à durée indéterminée de l’année! Juin 2010
  • Algérie : Révolte de masse et actions de grève continuent de secouer le pays Avril 2010
  • COURRIER des lecteurs: Elections en Tunisie – Quels enjeux et perspectives? Septembre 2009

Cette vague d’émeutes a débuté dans la banlieue d’Alger mais s’est rapidement étendue à d’autres villes comme Oran, Blida, Bouira, Tizi Ouzou, Dejlfa, Ouargla, Constantine et beaucoup d’autres à travers le pays. La plupart des ces régions n’ont d’ailleurs pas été touchées par des émeutes de cette ampleur depuis plus de deux décennies. Même des figures gouvernementales sont obligées de reconnaitre qu’au moins 24 wilayas (régions) ont été touchées par le mouvement – en d’autres mots, la moitié du pays.

Jour et nuits, des groupes de jeunes se sont engagés dans des affrontements violents avec la police, bloquant les routes avec des pneus enflammés, et dans certains cas en attaquant des bâtiments publics et tout ce qui peut symboliser l’autorité de l’Etat et l’élite. Même si les émeutes en Algérie sont loin d’être un nouveau phénomène, l’étendue de celles-ci, ainsi que leur extension géographique rapide, leur donnant ainsi un caractère national, pourrait être un signal d’explosions plus importantes dans le futur proche.

Dans le passé, le régime a été capable de faire passer de telles explosions de colère comme des incidents isolés. Maintenant, il semble qu’une nouvelle brèche s’est ouverte et que beaucoup de travailleurs sont en train de regarder la jeunesse avec sympathie et inspiration, bien qu’en n’approuvant pas toujours leurs méthodes d’actions, spécialement par rapport aux actes de destruction et de violence. Des rapports mentionnent que dans certaines régions, des habitants se sont organisés dans le but de décourager certains jeunes à commettre des actes de vandalisme contre-productifs.

Un climat de “pre-1988”

Mais ces actes, portés par une minorité, ne peuvent pas éclipser l’importance significative de ces émeutes. Le site des droits de l’homme, “Algeria watch”, commentait ceci : “Très peu d’Algériens sont contre les mobilisations des jeunes; dans des conversations de rue, la majorité les trouvent légitimes, dans un pays où les autres voies sont bloquées et que les moyens ordinaires d’expression sont absents. Les parallèles avec les évènements d’Octobre 1988 sont souvent soulevés parmi les plus âgés d’entre eux.” Cette année-là, l’énorme crise sociale qui toucha le pays a conduit à une série d’émeutes, manifestations et grèves qui finalement conduisirent à la chute du règne du monolithique parti unique, le FLN. Une répression sanglante de l’armée entraina la mort de centaines de personnes et l’absence d’une force politique indépendante de gauche et ouvrière entraina que la révolte fut ensuite exploitée par les forces islamistes réactionnaires. Le pays plongea alors dans une terrible guerre civile d’une longue décennie.

Comme la situation actuelle en Tunisie l’illustre très bien, la poigne de fer d’un régime répressif et le manque de droits démocratiques de base, qui a étouffé toute opposition pendant très longtemps, peut, à partir du moment où cette énergie s’exprime, conduire beaucoup plus loin et prendre un tournant extrêmement explosif. Commentant le mouvement et ses possibles perspectives, Mahamed Zitout, un ancien diplomate Algérien, disait sur Al Jazeera: “C’est une révolte, et probablement une révolution d’un peuple opprimé qui a, depuis 50 ans, attendu des logements, des emplois et une vie décente dans un pays très riche.” Bien que ça ne soit pas encore la révolution, les possibilités que le mouvement actuel prenne des dimensions révolutionnaires est clairement présent, et ce dans un pays où les traditions de résistance des opprimés sont ancestrales. L’attitude de la classe ouvrière, qui n’est pas encore rentrée en scène en tant que telle sera décisive sur les futures développements de la lutte.

La colère accumulée s’est exprimée simultanément dans différentes régions. L’accès à internet et des sites tels que facebook, youtube ou encore twitter ont aidé les manifestants à dépasser les tentatives des médias d’Etat de cacher la réalité de ce qui se déroulait. Comme en Tunisie, la violente répression déployée par le régime (en Tunisie, une cinquantaine de personnes ont été tuées, alors qu’en Algérie, au moins 5 personnes sont décédées) a suscité une colère encore plus grande. Ce n’est pas une surprise de voir le silence et la complicité des gouvernements “démocratiques” européens face à la répression violente et l’assassinat de manifestants. Tout au mieux certains d’entre eux se sont limités à exprimer leur “inquiétude”.

300 personnes d’origine tunisienne et algérienne se sont rassemblés il y a quelques jours à Marseille pour demander un arrêt immédiat à la répression dans la région. Le CIO demande la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées à cause de leur implication dans les manifestations en Tunisie et en Algérie. Nous encourageons aussi l’organisation d’actions similaires partout où cela est possible.

Ce n’est pas juste une émeute de la faim

Ce tsunami d’émeutes n’a pas surgi de nulle part. Déjà depuis des mois, une révolte mûrissait en Algérie. Selon le quotidien, Liberté, une moyenne d’environ 9000 émeutes et ‘troubles’ ont eu lieu chaque mois en 2010. Depuis des mois, des travailleurs de différentes compagnies sont partis en grève les uns après les autres. En mars de l’année passée, nous écrivions à ce sujet: “Grève après grève, manifestation après manifestation, transforment le pays en un chaudron social prêt à exploser à n’importe quel moment.” (voir cet article) Ceci s’est confirmé par les récents évènements. La goutte qui a fait déborder le vase est la récente et dramatique explosion des prix de la nourriture qui ont augmenté de 20 à 30 % depuis le début du mois. Cela est particulièrement le cas pour l’huile, la farine et plus spécialement le sucre, dont le prix a augmenté de 80% dans le courant des trois derniers mois.

Les augmentations de salaires obtenues dans le secteur public après des années de luttes et de grèves restent dérisoires. Et alors que ces augmentations n’ont pas été appliquées partout, elles sont déjà mangées par la flambée des prix. Dans le secteur privé, la situation est encore pire. Faire ses courses afin de nourrir sa famille est devenu un challenge quotidien; pour le nombre sans cesse croissant de sans emplois, cela est devenu tâche impossible. L’insécurité sociale et la misère grimpante ont convaincu la majorité des Algériens que les mesures publiques de contrôle des prix sont absolument inutiles et laissent la liberté aux spéculateurs et aux monopoles d’augmenter leurs marges de profits sur le dos des plus pauvres, des petits commerçants et des vendeurs de rue. Dans les rues du quartier ouvrier de Bab El-Oued à Alger, qui est devenu le bastion symbolique de la révolte, les gens répètent sans cesse: “50% d’augmentation pour les flics! Et pour nous?” Il est clair que le seul secteur qui a bénéficié récemment d’une augmentation significative de ses salaires a été la police. C’était une tentative consciente de l’Etat d’augmenter la fiabilité de ses forces armées dans la perspective de ‘troubles sociaux’.

Par peur de perdre contrôle sur la situation, une réunion urgente des ministres le week-end passé a approuvé un nombre de mesures pour réduire le prix du sucre et de l’huile. Mais cela va difficilement être assez pour apaiser la situation, et encore moins la haine énorme envers le régime. En effet, bien que l’augmentation du coût de la vie soit devenue une inquiétude critique et un des éléments décisif de cette révolte, les raisons de la colère sont bien plus profondes. Ce que la jeunesse a exprimé aujourd’hui dans les rues fait partie d’un mécontentement plus général. “La vie chère, pas de logements abordables, chômage, drogues, marginalisation”. C’est ainsi que les habitants d’Oran, la deuxième plus grande ville d’Algérie, résument les raisons de leur révolte.

Ici comme ailleurs, ce cocktail de facteurs, encadré par un état policier qui musèle quelconque opposition sérieuse et protège la clique de riches gangsters corrompus au pouvoir, constitue le contexte des derniers évènements. Les inégalités sociales entre les pauvres et l’élite dirigeante ont grandi dans des proportions jamais vues depuis l’indépendance. Alors que le PIB Algérien a triplé ces dix dernières années, les revenus gigantesques du pétrole, qui constituent la plus grosse partie de cette croissance, ont seulement servi à remplir les poches et les comptes en banque d’une infime minorité proche de la classe dirigeante alors que la majorité de la population souffre de sous-nutrition, ou même encore de famine. L’augmentation des cas de blanchiment d’argent et la corruption touchant tous les secteurs et à tous les niveaux de pouvoir ont contribué à éclairer aux yeux de tous le détournement continu de la richesse du pays au bénéfice de quelques-uns.

Selon le journal, El Watan, un jeune manifestant a somptueusement résumé cette situation: “Rien ne nous retiendra cette fois. La vie est devenue trop chère et la famine menace nos familles pendant que des apparatchiks détournent des milliards et d’enrichissent sur notre dos. Nous ne voulons plus de cette vie de chien. Nous demandons notre part de la richesse de ce pays.”

La jeunesse en détresse

En 2001, des jeunes manifestants faisant face aux policiers tirants à balles réelles criaient: “Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts”. Le même esprit “rien à perdre” est présent dans la révolte actuelle de la jeunesse. En effet, aucune perspective n’est offerte à cette génération qui est particulièrement et durement touchée par les hauts niveaux de chômage et ainsi réduite à des activités quotidiennes de survie. Officiellement, le chômage touche 21,3% des jeunes entre 16 et 24 ans; la réalité est sans aucun doute bien plus grave alors que les statistiques officielles sont complètement falsifiées par les autorités. Certains estiment que certainement 60% de la population en dessous de 30 ans est sans emploi. Même une grande proportion de jeunes diplômés ont rejoint les rangs des chômeurs une fois leurs études finies. Pour les jeunes Algériens, la vision du futur est souvent réduite à un choix entre la prison et l’exil. Le taux de suicide parmi cette couche de la population atteint des proportions exorbitantes. La construction de la “forteresse Europe” et l’augmentation des mesures répressives contre les candidats à l’émigration vers l’Europe signifient qu’il n’y a pas d’autre voie pour les jeunes que de prendre le chemin de la lutte et de l’action collective.

Bien que généralisé, le mouvement actuel implique essentiellement la jeunesse des quartiers pauvres et n’a pas encore rassemblé autour de lui la mobilisation active de la masse de la population. L’entrée en action de la classe ouvrière sera nécessaire pour donner à ce mouvement un caractère plus massif et organisé évitant ainsi de le laisser se transformer dans des actions désorganisées et de désespoir qui rendrait plus facile sa répression par les forces armées.

Alors qu’en Tunisie, la fédération des syndicats, l’UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) a exprimé sa solidarité avec la jeunesse et a soutenu leur lutte en appelant à l’action, les travailleurs algériens peuvent difficilement compter sur de telles initiatives de la part de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) qui a atteint un niveau incroyable de corruption, de trahisons et de soumission au régime de Bouteflika. Le seul communiqué public publié jusqu’à présent par la direction de l’UGTA avait pour but de défendre de manière exécrable la version officielle du gouvernement quant aux évènements. Sur les dernières années, cette soumission au gouvernement a entraîné des secteurs entiers de syndicalistes à quitter l’UGTA pour rejoindre des syndicats plus combatifs et indépendants. La bataille pour vitaliser, unifier et démocratiser ces syndicats indépendants est une des tâches importante à laquelle la classe ouvrière est aujourd’hui confrontée.

La mise sur pied de comités locaux de résistance dans les quartiers et dans les entreprises pourrait être un outil très utile pour construire la lutte de la jeunesse mais aussi surtout pour y impliquer le reste de la population via des actions de masse. Ces comités pourraient aider à coordonner de telles actions en lien avec les syndicats indépendants dans la perspective d’arrêts de travail et de grèves à l’échelle nationale. Déjà, dans certains secteurs, comme les dockers du port d’Alger ou bien les travailleurs des soins de santé discutent de partir en grève. Ces discussions sont d’une importance capitale. Généraliser de telles étapes pourrait transformer la situation. Un appel à une grève nationale en soutien à la révolte des jeunes entrainerait une réponse massive et contribuerait à transformer l’énorme colère et frustration qui existe en un mouvement plus puissant qui pourrait potentiellement abattre ce régime pourri et ouvrir la voie à un changement réellement démocratique et socialiste.

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