C’était il y a tout juste 50 ans : le 13 janvier, la Loi Unique est votée à la Chambre

A Charleroi, au lendemain de la brutale et violente agression contre les travailleurs de la CGSP, un millier de grévistes des ACEC (Ateliers de Construction Électrique de Charleroi) partent de l’usine pour se retrouver à plus de 3.000 à parcourir la ville dans tous les sens, à la recherche des gendarmes, qui restent invisibles malgré qu’un avion de la gendarmerie survole à basse altitude le centre-ville à plusieurs reprises. Ce jour-là, les manifestants, très décidés, défilent en rangs serrés prêts à en découdre, mais ils ne rencontrent personne. Après l’agression à Charleroi, la volonté de poursuivre la lutte se trouve décuplée.

Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

Sur le front de la grève générale, plusieurs autres manifestations ont encore eu lieu, après le vingt-cinquième jour de grève, notamment à Charleroi, Verviers et Wandre (en région liégeoise), il y a encore eu des incidents avec des blessés. Cependant, mis à part quelques reprises en plus de celles des autres jours, les secteurs économiques les plus importants tels que la métallurgie, la sidérurgie, les verreries restent intacts.

La Centrale Générale de la FGTB, qui a toujours été l’adversaire de cette grève, se prononce publiquement contre l’abandon de l’outil. Le bureau du PSB repousse aujourd’hui la proposition de la FGTB wallonne qui suggérait l’ouverture d’un second front politique par la démission collective des parlementaires du PSB ou par leur absence aux séances d’examen de la Loi Unique, mesure qui, d’ après la FGTB wallonne, aurait donné un sens aux déclarations des mandataires réformistes du PSB selon lesquelles la Loi Unique est inamendable et ne saurait en aucun cas servir de base de discussion au Parlement.

Les responsables de l’aile wallonne de la FGTB ont la mémoire courte : ils ont déjà oublié que Van Acker et L. Major ont déjà proposé au Parlement des amendements à cette Loi de Malheur.

A l’issue de la réunion de Saint-Servais, il est décidé de remettre au Roi un mémorandum commun PSB-FGTB qui énumère les mesures préconisées par le PSB pour sortir le pays de l’impasse. Il n’y a plus aucun doute que l’accent est mis sur le fédéralisme. Ainsi, les chefs du PSB et de la FGT B en sont réduits à une demande auprès du souverain, au 25ième jour d’une grève générale qui paralyse toujours l’économie du pays, avec ces dizaines et des dizaines de milliers d’ouvriers toujours engagés dans un conflit classe contre classe.

Au moment même où la Loi Unique est votée à la Chambre, par 115 voix contre 90 et une abstention, les élus socialistes et la FGTB wallonne ne trouvent rien de mieux que de décider comme seule action extra-parlementaire pour sortir le pays de l’impasse, non pas le recours à la lutte révolutionnaire, mais bien d’aller implorer le Roi. En même temps, pour rassurer les travailleurs sur leurs intentions, le PSB déclare : «mais la lutte contre son application continuera jusqu’au bout.»

Jusqu’à aujourd’hui, les grévistes avaient pourtant maintenu vivant leur ardeur dans la lutte, ce qui a permis à la classe ouvrière de maintenir paralysée l’ensemble de l’économie du pays. Encore aujourd’hui, par peur d’initiative spontanée des grévistes, toutes les installations ferroviaires sont toujours militairement gardées. Des instructions sont données, au cas où ; «Tirez, vous ferez les sommations après.» Ces mêmes militaires, qui se trouvaient encore en juillet dernier au Congo, s’indignent, car leurs instructions différaient sensiblement : «Tirez, à la dernière minute et épargnez les vies humaines.»

A l’initiative d’André Renard, une réunion plénière des élus socialistes wallons se tient à Saint-Servais et adopte la résolution suivante :

«Les députés, sénateurs, députés permanents et bourgmestres socialistes des arrondissements wallons réunis, après un mois de grève cruelle et farouche des travailleurs wallons dont ils sont solidaires, se constituent en assemblée légitime et majoritaire du peuple wallon. Décident de solliciter du Roi une audience au cours de laquelle il lui sera remis une adresse solennelle dont ils approuvent les termes à l’unanimité. Réclament pour la Wallonie le droit de disposer d’elle-même et de choisir les voies de son expansion économique et sociale.»

Pour se faire une idée précise de la position politique des directions réformistes du PSB et de la FGTB en plein conflit social à caractère insurrectionnel et révolutionnaire, il est nécessaire et utile de rappeler l’adresse des mandataires socialistes au Roi, parue dans le journal La Wallonie le lundi 16 janvier 1961 (voir ci-dessous).

A la lecture de cette adresse au Roi, les travailleurs du pays sont en droit de se poser la question : que font les dirigeants du PSB des idées républicaines qui ont toujours prédominé, dans un passé pas si lointain, dans le Parti comme, par exemple, en 1950 dans le conflit sur la Question Royale ? Avec cet appel, le Roi s’est vu rassuré, il a compris que les socialistes wallons ne voulaient pas mobiliser la classe ouvrière pour la conquête du pouvoir ou aller au-delà de « l’intérêt général » du pays. Ses revendications sont de nature à rester strictement dans les limites autorisées par l’Etat bourgeois.

Les intentions du pouvoir politique majoritaire en Wallonie n’étaient certainement pas d’organiser la résistance, voire la rébellion, mais «de bien servir, à la fois, la Wallonie et la Belgique» dominée par un régime d’exploitation capitaliste. A ce sujet, dans son livre page 181, Robert Moreau, secrétaire national adjoint de la FGTB, écrira : «Nos camarades syndicalistes ne nous en voudront pas d’exprimer ici le sentiment que cette réunion et ce texte remis au Roi le samedi matin 14 janvier ont davantage impressionné le Chef de l’Etat que les quatre semaines de grèves et de manifestations.»

C’est bien là les déclarations d’un allié d’André Renard, appartenant à l’aile gauche de l’appareil réformiste de la FGTB et qui considère sans honte que «cette réunion et le texte» ont davantage impressionné le chef de l’Etat que les nombreuses manifestations à caractère insurrectionnel et les semaines de grève générale qui ont paralysé l’économie du pays avec les risques constants de débordements généralisés qu’elle engendrait.

Les travailleurs wallons pouvaient en effet être fiers des dirigeants du PSB et de la FGTB qui, après un mois de grève générale, avaient obtenu le droit d’implorer auprès du monarque l’autodétermination pour la Wallonie.

A Namur, André Genot déclare : «la lutte que nous connaissons aujourd’hui s’apparente aux grandes luttes du 19e siècle. D’ores et déjà, la bataille est gagnée, c’est ma conviction profonde»

«Cette grève est gagnée, c’est aussi le sentiment de la classe ouvrière, celle qui sait que demain ne sera pas ce qu’était hier. Celle-ci vient de faire un grand pas vers la société socialiste.» peut on aussi lire dans les pages du Peuple du 14 janvier 1961.

Les dirigeants de la FGTB wallonne doivent maintenant s’efforcer de faire croire que la classe ouvrière a gagné cette grève, qu’elle a fait un grand pas vers la société socialiste, alors que, dans la réalité de la lutte des classes, il n’en est rien. Mais voilà, pour tenter de cacher leur capitulation et de mener la lutte engagée jusqu’au bout, ils veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes. C’est une tactique qui ne trompe que leurs auteurs et surtout pas les travailleurs, conscients de la réalité.


Adresse des mandataires socialistes au Roi

«Sire,

En 1912, le Roi Albert, dont la mémoire reste chère à nos populations, a reçu du grand socialiste et du grand wallon que fut Jules Destrée, une lettre au sujet des dangers que devaient faire courir au pays, formé de deux peuples, des institutions unitaires mal adaptées à la réalité.

Par la suite, le sang versé sur les champs de bataille par les Flamands et les Wallons pour la défense de leurs libertés a raffermi la solidarité des deux peuples distincts par leur langue et par leur culture, mais liés par de grands souvenirs et par l’exercice de leur démocratie.

A l’heure des revendications flamandes, les travailleurs wallons ont su comprendre des griefs qui n’étaient pas les leurs et aider à résoudre des problèmes de la Flandre et de la Belgique.

Nous pensons qu’il plaira à Votre Majesté d’entendre aujourd’hui la voix des mandataires socialistes wallons, représentants légitimes et majoritaires de leur Peuple. Ils sont douloureusement conscients des causes profondes qui mobilisent depuis bientôt un mois la classe ouvrière de leur région dans une grève cruelle autant que farouche.

Au siècle dernier, la Wallonie, rapidement adaptée à une civilisation nouvelle, a mis les trésors de son sol et de sa main d’oeuvre au service de la Belgique, dont alors elle assura la prospérité. Notre classe ouvrière n’a retiré de cet effort prodigieux que souffrances et misères. Peu à peu cependant, elle a pris conscience de sa condition et de ses droits. Enfin, au lendemain de la première guerre mondiale, elle a obtenu, avec le suffrage universel, le moyen d’accéder à son émancipation politique, prélude indispensable à son émancipation économique et sociale.

Hélas, tandis que nos pères conquéraient difficilement des conditions de vie meilleures, les richesses naturelles de la Wallonie s’épuisaient, l’importance de sa population fléchissait, son précieux élan industriel souffrait des faiblesses d’un régime économique qui, soucieux du profit immédiat, se révéla bientôt incapable d’un effort cohérent et soutenu d’organisation.

Nos industries ont vieilli et peu à peu beaucoup d’ entre elles sont mortes, victimes de la concentration capitaliste, mais aussi de leur inadaptation aux méthodes et aux formes modernes de production. Partout en Wallonie, le long de nos vallées et aux flancs de nos collines, de sinistres squelettes d’usines abandonnées attestent cette ruine progressive.

Nos charbonnages, vides de leur substance aisément exploitable, ont dépéri, puis un à un se sont fermés. On ne compte plus, près des « terrils » qui restent là comme les lourds témoignages de tant de travail humain, les « belles-fleurs » définitivement immobiles et silencieuses.

Pendant ce temps, le patronat transportait ses entreprises anciennes ou nouvelles vers le pays flamand, avec l’espoir d’y trouver une main d’œuvre plus abondante et moins onéreuse. Il transférait à Bruxelles, siège de tous les pouvoirs nationaux, ses banques, ses sociétés et leurs bureaux.

Ceux de nos industriels qui veulent survivre en restant fidèles à la région wallonne trouvent difficilement les capitaux nécessaires à la modernisation de leurs entreprises tandis que des milliards de francs s’évadent vers des pays étrangers.

Depuis un demi-siècle, les socialistes wallons dénoncent les dangers qui menacent non seulement nos travailleurs, mais aussi la Wallonie et la Belgique.

Depuis un demi-siècle, ils traduisent aussi bien la détermination des travailleurs wallons d’échapper à l’emprise d’une majorité parlementaire flamande à prédominance conservatrice que la volonté du monde du travail de participer effectivement à la gestion de la vie économique de sa région.

Les socialistes wallons ont dit aussi la nécessité d’appliquer avec audace et énergie, les réformes de structure que d’autres pays occidentaux ont trouvé un des chemins de leur salut, qu’il s’agisse d’orienter l’économie, de la planifier et de l’organiser en fonction de l’intérêt général. Sire, les travailleurs wallons entendent travailler en paix et pratiquer, à chaque occasion, la solidarité, qui est leur religion politique à l’ égard de tous ceux qui, chez nous où ailleurs, vivent comme eux de leur labeur. Au moment où naissent des communautés économiques nouvelles, ils entendent contribuer à la prospérité de l’ensemble du pays mais ils veulent aussi que soient respectés leurs droits et leurs intérêts légitimes.

L’évolution de la Belgique donne au Peuple wallon le sentiment de n’être ni compris, ni entendu de ceux qui gouvernent le pays. Ils s’interrogent sur son destin au sein de la communauté belge. Il met en cause, formellement, le caractère unitaire de nos institutions traditionnelles.

Il cherche les solutions qui, sans attenter à l’indépendance ni à l’intégrité du pays, consacreraient l’existence en Belgique de deux Peuples dotés chacun de sa personnalité, de sa culture et de ses aspirations propres.

Il demande que la Constitution soit révisée de telle façon que nos institutions nationales garantissent les Wallons contre les effets du profond déséquilibre interne dont souffre le pays.

Votre sagesse, Sire, entendra, nous en avons la conviction, un appel qui s’inspire de la volonté de bien servir à la fois, la Wallonie et la Belgique.

Le vendredi 13 janvier 1961

Les députés, sénateurs, députés permanents et bourgmestres socialistes des arrondissements wallons du pays. »

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