C’était il y a tout juste 50 ans : le 6 janvier 1961, émeute à Liège

Il n’ y a pas qu’en Wallonie que les grévistes réclament la marche sur Bruxelles. A Gand, 12.000 manifestants crient également « A Bruxelles », il y en a 3.000 à Forest. Des concentrations importantes ont lieu quasi quotidiennement dans le Borinage, Le Centre, et la région de Charleroi. A Liège, la concentration décidée par la régionale de la FGTB est un gigantesque succès. Mais c’est dans le sang que cette manifestation se terminera.

Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

Le journal La Wallonie parle de 50.000 manifestants à Liège. La colère gronde. Plusieurs journaux de droite se bornent à dire que la Place Saint-Paul où a lieu le meeting : «étai couverte de monde». La foule est immense et impressionnante, les rues voisines sont bloquées par une marée humaine. C’est la réponse des grévistes à André Renard qui, pour essayer de justifier son refus de marche sur Bruxelles, invoquait que si cette fois-ci les travailleurs n’étaient pas 50.000 à monter sur Bruxelles, ce serait un échec.

Les troupes se sont mobilisées et, rien que pour la régionale de Liège, il 50.000 manifestants dans la rue, prêts pour la marche sur Bruxelles. Même la FGTB est impressionnée de voir une mobilisation aussi massive après dix-huit jours de grève générale.

André Renard exhorte les grévistes à la « discipline » et à la « dignité » et les invitent à rentrer chez eux dans le calme. Renard doit, une nouvelle fois, repousser la Marche sur Bruxelles, l’affrontement révolutionnaire des grévistes contre les symboles du pouvoir réunis dans la capitale, mot d’ordre réclamé par les grévistes avec une force et une résonance incommensurable.

S’ adressant à la foule, Renard parle avec modération et, à l’ issue du meeting, il conseille aux grévistes de se disperser dans le calme. Le quotidien Le Peuple, lié au PSB, relate : «L’orateur calme tout d’ abord certains exaltés qui réclament à corps et à cri une marche sur Bruxelles. Il leur rappelle qu’au moment opportun, les dirigeants syndicaux sauront prendre leurs responsabilités.» Et Renard, à bout d’ arguments, évoque l’abandon de l’ outil: «Pour cette arme redoutable, nous choisirons le moment opportun. Il y a la sidérurgie. Nous allons l’atteindre dans les jours qui viennent, peut-être même dans les heures qui viennent. Nous savons ce que cela peut coûter à la classe ouvrière. Si cela peut vous faire mal, nous savons que cela peut faire encore plus mal à l’ adversaire.»

Des promesses, encore des promesses, toujours des promesses d’action mais, comme toujours, aucune de celles-ci ne sera tenue, elles sont lancées dans le seul but de faire patienter les grévistes qui vont une fois de plus se retrouver seuls dans des actions de rues. Des paroles, encore des paroles, toujours des paroles, parfois modérées, parfois radicales, mais rien ne se concrétise par des actions percutantes, pour la simple raison que les directions du PSB et de la FGTB, complètement compromises, n’ont aucune intention d’affronter réellement l’ Etat Bourgeois.

Voici le compte rendu du discours d’André Renard paru dans le journal La Wallonie du 7 janvier 1961 : «Les travailleurs wallons font la grève totale, nous en sommes fiers, mais les camarades flamands, eux-aussi, sont en grève. Nous leur rendons hommage et particulièrement aux Anversois. Jamais il n’ a été question de rompre la solidarité avec nos camarades flamands en lutte». Mais, après avoir «tendu une main fraternelle à nos camarades flamands» Monsieur Renard fait une profession de foi fédéraliste décidée et enthousiaste, car il ne veut plus subir «la domination cléricale flamingante». Il évoque alors les moyens que les grévistes ont encore à leur disposition pour faire triompher leur cause : la grève perlée que «les capitalistes craignent particulièrement car pareille grève fait baisser le rendement des usines de 50 %» et l’abandon de l’outil que nous utiliserons «soit dans les prochains jours, peut-être dans les heures qui viennent» Et il conclut : «Un seul mot d’ ordre : tenir. Avec des piquets de grève plus durs que jamais, car la lutte est presque gagnée. La classe ouvrière de Wallonie forme un bloc sans fissure. Il faut tenir. Tenir aussi longtemps qu’il le faudra.» Parler de grève perlée au moment où toute l’ économie du pays est paralysée par la grève générale, c’ est vraiment entraver et se mettre en contradiction avec le déroulement efficace de celle-ci…

Le ton de la manifestation monte de minute en minute, la nervosité et la colère des grévistes sont poussées à bout par le discours de Renard, qui ne répond pas aux attentes des grévistes, ainsi que par le manque de mots d’ ordre d’ action qu’ils sont en droit d’ attendre de la FGTB nationale et régionale, et de Renard en particulier. Ils sont déçus et vont le faire savoir.

Les discours des orateurs à peine terminés, des cortèges de plusieurs milliers de manifestants se dirigent et occupent le centre ville. Sur le parcours, les locaux du journal La Meuse, accusé de délation par les grévistes, sont saccagés. Un car de police est renversé et incendié. Des banques, le siège des mutualités chrétiennes et le local des classes moyennes voient leurs vitres voler en éclats. En certains endroits, les grévistes établissent des barricades avec des pavés, mais également avec des voitures ou des roulottes de voirie. Le centre de Liège est un véritable champ de bataille où les grévistes s’organisent et sont prêts à l’affrontement avec les forces de répression du gouvernement.

Face à ce déploiement spontané des ouvriers, les forces de l’ordre sont complètement débordées et partout dans le centre de Liège, c’est l’affrontement. La grève générale est maîtresse de la rue. C’est devant la gare des Guillemins que la bataille est la plus violente et la plus rude.

Lorsque les manifestants arrivent aux abords, l’armée défend l’édifice. Au moment où la gare est sur le point d’être investie, le commandant de l’unité fait tirer en l’air une rafale d’ avertissement. Les gendarmes, arrivés à la rescousse, lancent des grenades lacrymogènes à hauteur d’homme pour refouler la foule, sans succès. La gare des Guillemins est complètement saccagée par les grévistes en colère.

Cette toute nouvelle gare des Guillemins représentait la fierté d’ un édifice publique important, sa construction avait été réalisée par les pouvoirs publics et, aux yeux des grévistes, en s’attaquant au bâtiment, ils avaient, faute de mieux, le sentiment de s’attaquer à l’Etat bourgeois lui-même.

Pendant tout l’après-midi et dans la soirée de ce 6 janvier, le centre de Liège est un véritable champ de bataille. Liège vit pendant plus de sept heures une véritable insurrection ouvrière. Les travailleurs, excédés d’être abandonnés par leurs dirigeants, se battent avec leurs poings nus et avec une énergie qui inspire le respect de toute la classe ouvrière belge, contre de véritables bataillons de gendarmes qui n’ont pas hésité à tirer sur la foule. Dans la soirée, on compte deux morts parmi les grévistes et plus de 75 blessés. Le bilan des sept heures d’insurrections s’établit comme suit : 75 blessés dont 9 grièvement. Dans ce nombre 25 manifestants, 33 agents de police, 16 gendarmes, 1 pompier. Parmi les 9 blessés graves, 2 manifestants dont un très grièvement, 3 agents et 4 gendarmes.

Certains intellectuels ont des préjugés défavorables à la classe ouvrière. Ainsi, quand Valmy Feaux exprime son opinion sur l’origine de l’émeute insurrectionnelle de la gare des Guillemins, il écrit que «Ce sont les manifestants qui occasionnent le désordre que nous avons évoqué et qui durera plus de sept heures.» (V. Feaux, La grève de l’ hiver 1960-1961, cinq semaines de lutte sociale, P.126) Alors que, d’après plusieurs témoignages dont ceux des dirigeants syndicaux qui se trouvaient directement sur la place aux moments des évènements, ce sont une nouvelle fois les provocations policières qui ont énervé les manifestants. La police avait érigé des barrages pour empêcher les grévistes de passer afin de se rendre dans leurs communes respectives. Ensuite, les manifestants ont brutalement été attaqués et pourchassés à coups de bombes lacrymogènes ou par les autopompes et leurs puissants jets d’eau glacée. Les manifestants furent alors brutalement dispersés dans les rues avoisinantes par une importante colonne de policiers et de gendarmes, ce qui a provoqué des réactions de colère violente de la part des grévistes, qui s’ en sont finalement pris à la gare des Guillemins.

Environ 28 blessés sont hospitalisés, 6 d’entre eux sont atteints par balle. Lefèbvre, le ministre de l’intérieur, soutient la thèse de la légitime défense au cours d’ une «émeute organisée» Ce 6 janvier qui fit plusieurs victimes tuées par balle. En effet, Laurent Rodder un ouvrier affilié au PSB est grièvement blessé, la rate et le foie perforé par une balle dans le dos. Alors qu’Albert Boutet âgé de 25 ans est lui plongé dans un coma critique. Il décède peu après. Jos Woussen âgé de 32 ans, ancien champion de boxe décèdera également suite à ses blessures, atteint d’ une balle à la tête.

Les travailleurs se sont courageusement battus. Ils ont fait, une fois de plus, la preuve de leur ténacité, de leur courage et de leur instinct de classe. Ils se sont battus, chacun à leur poste, mais ils n’ont pas réussi à se libérer de l’étouffoir de leurs organisations bureaucratisées.

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