10e Congrès mondial du CIO : Résolution sur L’Europe (1)

Des millions de gens participant aux grèves générales et aux manifestations; des gouvernements extrêmement impopulaires, parfois haïs – la classe ouvrière et la jeunesse européennes sont en train de faire leur grand retour dans l’arène de la lutte.

Ce document sur l’Europe est une des résolutions du 10ème Congrès mondial du CIO. Des documents ont été publiés en anglais à propos des relations mondiales, de l’Europe, de l’Amérique latine, du Moyen-Orient, de l’Asie, de la Russie et Europe de l’Est, et sur la situation en Afrique.

10e Congrès Mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière

Le 10e Congrès Mondial du Comité pour une International Ouvrière (CIO) s’est déroulé en décembre en Belgique. Ont participé à cet événement entre autres des délégués et des visiteurs en provenance d’Afrique du Sud, d’Allemagne, d’Angleterre et du pays de Galles, d’Argentine, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, du Chili, de Chypre, d’Écosse, d’Espagne, des États-Unis, de France, de Grèce, de Hong Kong, d’Inde, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Kazakhstan, de Malaisie, des Pays-Bas, du Nigéria, de Pologne, du Portugal, du Québec, de Russie, du Sri Lanka, de Suède, de Taïwan, de Tchéquie, et du Venezuela.

Ce Congrès a duré une semaine et a discuté des principaux enjeux auxquels est confrontée la classe ouvrière internationalement dans cette période d’attaques d’austérité sauvages ainsi que des tâches du CIO.

Nous allons publier sur ce site différents textes et résolutions concernant ce Congrès.

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Dans un contexte de remous économiques et d’une urgence européenne après l’autre, l’Europe traverse des troubles profonds. L’impact continu de la crise économique mondiale a produit tempête après l’autre sur le plan européen comme sur le plan national dans divers pays d’Europe.

L’ampleur de certaines actions – des millions de personnes en grève en Espagne le 3 septembre, un demi million de manifestants dans les rues de France à la mi-octobre, 300 000 manifestants à Lisbonne en mai – sont un reflet des remous profonds qui secouent l’Europe en ce moment. Tandis que de nombreux dirigeants syndicaux tentent de limiter ces actions et d’en empêcher leur développement en une lutte sérieuse, le puissant mouvement français contre la hausse de l’âge de la retraite a développé des caractéristiques d’une situation pré-révolutionnaire. La moindre étincelle aurait pu y enflammer un mouvement plus large dans une situation où les sondages d’opinion montrent un soutien de 54% pour une grève générale. La fin de novembre 2010 a vu plus d’actions de protestation avec une grève générale massivement soutenue, au Portugal, une manifestation de masse à Dublin et un mouvement large d’étudiants et de lycéens au Royaume-Uni.

Il y a une crise mondiale, mais en même temps aussi une vague de protestation bien ancrée sur le plan européen, symbolisée par le fait que , parmi de nombreux analystes capitalistes, la remise en question du futur de l’Eurozone, au moins sous sa forme actuelle, n’est plus considérée comme un tabou et est de plus en plus largement débattue. Il y a un nouveau rythme à présent ; les jours de stabilité à moyen terme et même, dans certains pays, de stabilité à court terme, sont derrière nous. Les événements se succèdent très rapidement – dès qu’une crise est “résolue”, elle cède la place à la suivante. Mais ce qui est encore plus important du point de vue de la lutte contre le capitalisme, c’est que la classe ouvrière a entamé un retour actif sur le devant de la scène, bien que cela ne va pas se développer de manière linéaire. Malgré le fait que seule une minorité est pour l’instant partie en grève, les luttes de masse en France, avec huit journées d’action, ont été très largement soutenues et pourraient avoir été victorieuses s’il y avait eu une direction déterminée. Maintenant, malgré l’échec de ce mouvement concernant le retrait de la loi de réforme des pensions, il s’agit plus d’une pause que d »une retraite pour le mouvement.

Au départ, les gouvernements ont mis en place des mesures urgentes afin d’empêcher que l’alarme financière de 2008 ne dégénère en un effondrement des banques et des marchés qui à son tour aurait pu produire un désastre du type des années ’30 à travers le monde entier. Seuls quelques gouvernements, comme le gouvernement irlandais, ont tout de suite entamé des attaques directes contre le niveau de vie, bien que dans les entreprises des emplois ont été perdus et les revenus diminués dès lors que l’économie se contractait. En Allemagne, le déficit budgétaire de 2010 sera sans doute le plus élevé jamais vu. Mais à ce moment-là, en 2009 et 2010, la combinaison de la fin de la première phase de la crise et la pression sur les gouvernements de la part des marchés financiers pour annuler les mesures d’urgence et neutraliser la dette, symbolisée par la crise de la dette grecque, ont eu pour résultat le démarrage d’offensives brutales de la part des classes dirigeantes et des gouvernements à travers toute l’Europe.

Une nouvelle vague de protestation

Les tentatives déterminées qui sont faites cette année pour rabaisser le niveau de vie et remonter la roue de l’Histoire ont provoqué un nouveau départ de la lutte de classe dans de nombreux pays, à commencer par la Grèce. Après six grèves générales en Grèce, la deuxième moitié de 2010 a vu les grèves et manifestations de masse gagner en puissance dans d’autres pays, surtout en France, au Portugal et en Espagne. En Italie, il y a eu de plus en plus d’appels à une grève générale, tandis qu’au Royaume-Uni, les demandes d’une opposition plus active ont commencé à se développer à partir de la base et ont été énormément renforcées par la manifestation de 50.000 étudiants au mois de novembre. En Irlande, c’est une humeur explosive qui est en train de se développer, mais il est possible que cela se reflète avant tout dans le résultat des élections anticipées. Les pays d’Europe centrale et orientale n’ont pas été indemnes de protestations ; il y a eu de grandes manifestations et grèves contre les coupes salariales et sociales en Tchéquie, en Lituanie, en Roumanie et en Slovénie. En Roumanie, l’impact combiné de la restauration capitaliste avec maintenant la crise économique à ce qu’un sondage en septembre révèle que 49% des gens trouvent que la vie était meilleure avant décembre 1989, bien que 69% disent qu’il y avait alors un “manque de démocratie”.

L’année 2010 a vu la jeunesse commencer à jouer un rôle important dans toute une série de pays. La récente mobilisation des étudiants et lycéens en soutien à celle des travailleurs en France a marqué une nouvelle étape, tandis qu’en Autriche, au Royaume-Uni, en Irlande et en Italie, un grand nombre d’étudiants sont aussi descendus dans les rues contre les coupes dans l’éducation. Au Royaume-Uni, les fortes hausses des frais d’inscription et la fin abrupte des petites bourses hebdomadaires pour les 16-18 ans qui sont à l’école sont en train de provoquer une riposte déterminée de la part de nombreux lycéens. La jeunesse a également joué un rôle crucial en Allemagne lors des mouvements de protestation de masse contre la reprise du transport de déchets nucléaires en novembre.

Partout en Europe, la plupart des gouvernements sont extrêmement impopulaires, voire haïs, malgré l’exception apparente de la réélection de la coalition conservatrice en Suède, qui a regagné un certain soutien à quelques mois des élections au moment où l’économie a repris. Dans certains pays, on ne peut pas assurer combien de temps leurs gouvernements vont encore pouvoir survivre. La crise spectaculaire de 2008 en Islande, et la brutalité avec laquelle sa population a été traitée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, a fait voler en éclat le gouvernement de droite. En Irlande, le gouvernement tient à peine debout (depuis l’écriture de ce texte, des élections anticipées ont été appelées pour le mois de mars, NDLT), tandis qu’en Italie la rupture entre Berlusconi et Fini a posé la possibilité d’élections anticipées. En Grèce, malgré le fait qu’il ait rompu presque immédiatement la plupart de ses promesses électorales de 2009, le gouvernement Pasok perdure, faute d’une alternative. Les taux d’abstention anormalement élevés lors des élections locales de novembre était un indicateur à la fois de l’opposition à l’austérité et du manque d’une alternative de masse au Pasok. L’opposition durable et massivement soutenue au projet “Stuttgart 21” d’une nouvelle gare à Stuttgart en Allemagne illustre l’aliénation croissante par rapport à la plupart des institutions étatiques et parlementaires dans toute une série de pays.

Les commentateurs capitalistes ont tiré beaucoup du fait que, au contraire des crises du vingtième siècle qui ont à chaque fois connu d’importants tournants vers la gauche, la première phase de la crise capitaliste actuelle a vu dans la plupart des pays le triomphe électoral de forces de droite ou d’extrême-droite. Mais comme l’a montré le nombre de grèves générales et d’actions de masse, le mouvement ouvrier est en train d’entrer en action, et ceci a déjà commencé à créer un sentiment anticapitaliste. Cela va saper la seule note positive pour les classes dirigeantes confrontées à de nombreux problèmes, c’est à dire l’absence de partis ouvriers capables de remettre en question le capitalisme lui-même. C’est là le résultat de l’impact continu de l’effondrement des États staliniens, du virage à droite dans le mouvement ouvrier et de la transformation de la plupart des anciens partis ouvrier-bourgeois et staliniens.

Bien que l’effet de l’effondrement du stalinisme et l’offensive idéologique anti-socialiste qui a suivi a fait en sorte que, jusqu’ici les classes dirigeantes européennes n’ont pas eu affaire à une remise en question déterminée du capitalisme lui-même, la crise a déjà eu de profonds effets.

Cela signifie que jusqu’à présent, malgré l’hostilité envers les banques et l’appel à “ne pas payer pour leur crise”, il n’y a pas eu d’actions larges d’opposition au capitalisme lui-même. Mais la logique de cette crise, le fait que, pour bon nombre d’entre nous, le niveau de vie est en train de diminuer sans aucune perspective d’amélioration à court terme, va s’ajouter à l’activité des socialistes pour préparer la voie pour une remise en question du capitalisme dans son ensemble. Cette remise en question va s’étendre jusqu’à englober tous les partis politiques, institutions et structures existants. Le vieux mode de fonctionnement sera remis en question par une situation qui consistera au mieux en une baisse du niveau de vie, au pire dans un grand plongeon dans la misère. Nombreux sont ceux qui ont été encouragés ou forcés à partir au chômage ou à se lancer dans des petites entreprises qui seront brutalement écrasées, et le mouvement ouvrier a besoin d’un appel programmatique envers ces couches, afin d’empêcher leur virage à droite. Un facteur crucial pour l’avenir est le fait que l’expérience de la lutte va poser la question de la manière dont l’offensive des capitalistes peut être combattue ; et au fur et à mesure que les travailleurs, les jeunes et de nombreuses sections des classes moyennes réalisent que ce système ne peut pas leur offrir la moindre perspective d’un avenir radieux sur le court terme, se posera la question de savoir quelle est l’alternative.

Une situation politique fluide

Dans cette période de crise, le manque de gouvernements stables et le désir d’“incorporer” l’opposition peut mener à des coalitions officielles ou officieuses, y compris des “grandes coalitions” entre les partis majoritaires ou des gouvernements de coalition “nationale”, dans le but de “répondre à l’urgence”. Mais le capitalisme est très flexible. En Belgique, l’absence d’un nouveau gouvernement depuis les élections de juin n’a pas empêché le gouvernement “intérimaire” de mener des attaques indirectes.

Les élections, qu’elles se déroulent régulièrement où qu’elles soient anticipées, peuvent par elles-mêmes produire des complications pour les classes dirigeantes. L’année 2010 a vu de grandes difficultés à former des gouvernements aux Pays-Bas et en Belgique (ces dernières étant dues aux complications découlant de la question nationale en Belgique) et le tout premier gouvernement de coalition au Royaume-Uni en temps de paix depuis les années ’30. Ces résultats électoraux sont le produit de la chute de soutien de nombreux partis traditionnels bourgeois, réformistes ou staliniens, en plus du caractère volatile de la période. La crise au sein de nombreux vieux partis, allant jusqu’à leur éclatement, comme on l’a vu en Italie et, dans une moindre mesure, en France, a ouvert la porte à la montée de nouvelles forces de caractère différent, tout comme elle en a été le résultat.

Tandis que les sondages d’opinion précédents montraient des possibilités pour le NPA en France et pour Syriza en Grèce, de toutes les nouvelles formations de gauche, seul Die Linke en Allemagne a été capable de réaliser un impact électoral conséquent. Bien que le NPA garde un certain potentiel, principalement autour de son radicalisme verbal occasionnel et de la stature personnelle de Besancenot, il est loin d’être certain si cela pourra se traduire en nombre de voix. Mais comme nous l’avons vu précédemment en Italie, en France, aux Pays-Bas et en Écosse, des succès électoraux ne garantissent absolument pas un développement ultérieur. Une des raisons pour lesquelles Syriza a obtenu le score médiocre de 4,6% aux élections de 2009 en Grèce, comparé aux sondages qui le plaçaient à 18% au début de 2008, a été le vote pour le “moindre mal” en faveur du Pasok. Toutefois, comme de nombreux dirigeants d’autres formations de gauche, les dirigeants de Syriza n’ont pas compris ce vote ni le fait que le soutien pour le Pasok allait être rapidement sapé par l’expérience de son retour au gouvernement, et cela est une des raisons, en plus de la complète incapacité des dirigeants de Syriza de répondre politiquement et organisationnellement à la crise et aux revendications de lutte des classes, pour les troubles qui ont emporté Syriza l’an passé.

La situation économique et sociale plus volatile a eu pour conséquence le fait que les élections dans de nombreux pays ont été le témoin de la percée subite (et parfois de la chute tout aussi subite) de différentes forces bourgeoises ou petite-bourgeoises telles que le PVV de Wilders aux Pays-Bas, le FDP en Allemagne, les LibDems au Royaume-Uni, la NVA en Flandre et les Verts en France et en Allemagne.

Toutefois, les victoires électorales ne signifient pas nécessairement une popularité stable même dans ces pays, comme en Allemagne, où l’économie s’est accrue due aux exportations. En Allemagne, après les élections de 2009, on a assisté à un effondrement monumental du soutien à la coalition CDU/CSU/FDP, et en particulier du FDP.

Tensions sur le plan économique

Mais la croissance économique en Allemagne, comme celle de tous les autres pays européens, est fragile et il se pourrait qu’elle ait déjà atteint son point le plus haut. La spéculation déclarée sur l’avenir de gouvernements ou de l’euro, les rivalités et alliances changeantes au sein de l’Union européenne, en plus de la remontée des luttes, sont toutes annonciatrices des grands troubles à l’horizon.

Ainsi, l’année 2010 ne s’est pas révélée être l’année que les classes dirigeantes avaient espérée lorsqu’elles avaient signé la soi-disant “stratégie de Lisbonne” en 2000. Au lieu de cela, l’Union européenne est confrontée à une des pires crises qu’elle ait jamais connues, tandis que des tempêtes économiques et politiques remettent en question l’avenir de l’eurozone ou même de l’UE dans sa forme actuelle.

La tempête autour de l’euro a plongé l’UE dans d’âpres querelles internes tandis que les gouvernements nationaux cherchaient à accuser des forces étrangères ou des gouvernements rivaux en tant que responsables de la crise. Pendant tout un temps la Grèce, et surtout les travailleurs grecs, ont été le point de concentration de toute la démonisation, en tant que responsables de la crise de l’euro, en plus d’être des mendiants qui demandaient la “charité” du reste de l’Union. Il y avait dans tout ça un élément de vérité, car une crise de la “dette souveraine” en Grèce aurait pu se révéler être le maillon faible qui allait causer la catastrophe dans toute la zone euro, mais il est bientôt apparu qu’il y avait toute une série de maillons faibles dans ce qui était une véritable “chaine de crises”. C’est ainsi que les spéculateurs et analystes capitalistes ont commencé à parler des “PIIGS” (les “porcs” : Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) pour qualifier ces pays de l’eurozone qui étaient en crise.

Cependant, la plupart de ce que l’Union Européenne présentait au début des années ‘2000 comme étant un “progrès” s’est dans les faits avéré n’être qu’une brutale offensive néolibérale sur de nombreux gains que le mouvement ouvrier était parvenu à gagner précédemment au cours de décennies entières. C’était là l’essence même de la “stratégie de Lisbonne”. Ce n’était pas par hasard que le gouvernement allemand social-démocrate/vert de Schröder avait baptisé “Agenda 2010” son plan de coupes néolibérales de 2003. Cette offensive a réellement eu un effet de maintenir vers le bas le niveau de vie dans de nombreux pays, en grande partie à cause des dirigeants syndicaux. En Autriche, la part des salaires dans le PIB est passée de 62% en 1995 à 55% en 2008, tandis que les 25% les plus pauvres en Autriche ont subi une baisse de 12% de leur revenu réel.

C’est ce genre de “succès”, plus les illusions dans l’euro et la croissance économique continue au niveau mondial, qui explique en partie pourquoi les dirigeants européens ont été complètement pris par surprise par l’arrivée de la crise, une crise qui a posé un point d’interrogation géant sur le soi-disant “projet européen” et sur la survie de l’eurozone dans sa forme actuelle.

Alors que la crise internationale qui a démarré en 2007 était la raison finale de l’échec de l’UE à atteindre ses objectifs de 2010, certains pays européens souffraient déjà de changements à l’échelle mondiale qui se produisaient dans le capitalisme. Bien que cette calamité a complètement pris par surprise l’ensemble des classes dirigeantes et de leurs politiciens, elle n’est pas une sorte d’événement “bizarre”. En réalité, elle découle de la nature même du capitalisme et en particulier du caractère de la croissance économique des deux dernières décennies.

Au même moment, elle a également révélé le véritable caractère et les limites de l’UE. C’est là tout le sens du dernier round de bagarres entre les puissances européennes, et maintenant du débat ouvert sur le futur de l’euro et de la discussion (qui accompagne probablement un début de planification) de la possibilité qu’au moins un pays se voie forcé de quitter l’eurozone. Mais cette discussion n’a pas été limitée aux pays qui pourraient être forcés de quitter l’euro, mais elle a également porté sur la possibilité, dans une situation extrême, pour l’Allemagne de le quitter.

Des crises qui s’enchainent et la crise de l’euro

Alors qu’en mai 2010, un énorme plan de sauvetage d’un montant de 750 milliards d’euro a mis un terme à la crise immédiate provoquée par la révélation de la véritable situation financière de la Grèce, ceci n’a amené qu’une stabilité temporaire. À de nombreuses reprises depuis lors, de brusques écart de spread ont indiqué un potentiel pour de nouvelles crises, ou la menace de nouvelles crises, au fur et à mesure que des doutes refont surface quant aux finances d’autres pays de l’eurozone.

La nouvelle crise en novembre, autour de l’Irlande cette fois, a été en partie déclenchée par Merkel qui en octobre a imposé un accord qui disait qu’à l’avenir, en cas de crise financière, les investisseurs devraient assumer eux-mêmes les pertes sur leurs investissements. Les autres pays européens n’étaient pas dans une position d’affronter l’impérialisme allemand qui est la base financière sur laquelle reposent l’euro tout comme l’UE. Merkel a en partie agi afin de prévenir la montée de l’opposition à l’intérieur de l’Allemagne à l’encontre de ce qui y était perçu comme le “renflouement” d’autres pays.

Toutefois, si cet accord d’octobre a accéléré le cours des événements, ce n’est pas lui qui les a causé ; les marchés financiers ont rapidement augmenté les taux d’intérêt qu’ils exigeaient de l’Irlande, tentant par-là de couvrir une partie de pertes potentielles. Ce qui est ici très clair, c’est qu’alors que les institutions financières exigeaient que ce soient la classe ouvrière et la classe moyenne qui subissent les coupes, elles ont utilisé tout leur pouvoir pour résister à toute proposition selon laquelle elles-mêmes devraient accepter la moindre perte. La pression énorme qui s’en est suivi sur l’Irlande afin qu’elle accepte un renflouement et encore plus d’austérité, en plus de la “supervision” internationale qui l’a accompagnée, était le reflet d’une véritable panique. De nombreuses classes dirigeantes craignaient que l’effondrement des banques irlandaises provoque une crise internationale du type de Lehmann Brothers, et/ou que la crise autour de la dette irlandaise pourrait très vite mettre l’Espagne sous une pression similaire. Tandis que des plans de “sauvetage” peuvent être offerts à des petites économies comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, une crise espagnole enverrait valser l’ensemble de la zone euro.

Mais l’avenir de l’eurozone n’est pas seulement menacé par une nouvelle crise de la “dette souveraine”. Il y a également des tensions qui découlent des déséquilibres du système de l’euro, un système qui a profité à de nombreux égards au capitalisme allemand, au détriment de ses rivaux. Comme l’a expliqué le CIO avant l’introduction des billets et des pièces euro, cette situation met en question la durée qui reste à vivre à l’eurozone dans sa forme actuelle. Clairement, l’intégration de l’économie européenne a parcouru tout un chemin et a produit une situation dans laquelle, en addition aux immenses troubles politiques, une reconfiguration ou l’éclatement de la zone euro serait extrêmement destructeur. Mais cela en soi ne serait pas suffisant pour empêcher que, en pleine période de crise, un pays ou un groupe de pays quitte l’eurozone ou, comme Merkel l’a menacé en mars 2010, en soit mis à la porte.

Il y a de plus en plus de tensions et de conflits d’intérêt entre les différents pays européens, ce qui est quelque chose que la Chine tente d’exploiter avec ces offres de soutien financier à la Grèce et au Portugal. En même temps, il y a  parmi les grandes puissances européennes une lutte pour la direction, sinon pour la suprématie. À cause de la crise, la Grèce et de plus en plus l’Irlande, en tant que pays de l’eurozone, sont placés sous un contrôle croissant de l’UE – en réalité de l’Allemagne, qui est la plus grande puissance économique de la zone euro. En Grèce comme en Irlande il y a une colère, avec des éléments d’anti-impérialisme, à l’encontre de ce qui est correctement perçu comme étant une perte de souveraineté au profit de l’UE, de la BCE, du FMI et des marchés financiers. L’opposition populaire va grandir dans cette direction, et les marxistes vont tout faire pour donner à ce sentiment un caractère anticapitaliste plutôt que nationaliste.

Une nouvelle chute de l’économie

Déjà avant la tempête du mois de novembre, il a été clair que la faible reprise de l’économie de cette année, qui était un mélange de spasme post-mortem et de croissance économique en Chine, n’allait pas mettre un terme aux tourments de l’Europe. Cela, malgré le fait que dans une poignée de pays, et surtout en Allemagne, il y a toujours des gens qui gardent l’espoir que le pire est passé. Toutefois, il est clair que cette reprise n’est pas fermement basée ni enracinée dans des développements au sein de l’UE. La très forte dépendance de l’Allemagne sur ses exportations est particulièrement fragile et, si elle devait s’inverser, cela aurait de profondes répercussions, autant que ce qu’on a déjà vu avec la chute dramatique de -6,8% de son PIB entre les printemps de 2008 et 2009. Partout en Europe, il y a eu une croissance des emplois précaires, temporaires et limités, du travail à temps partiel et du nombre de travailleurs qui ont été forcés à “s’auto-employer”, tout cela étant bien loin de vrais emplois à plein temps.

Pour les travailleurs allemands, cette croissance économique a eu des effets différents. L’année 2010 a connu des gains dans certains secteurs, par exemple il y a eu dans la sidérurgie une hausse salariale de 3,6% et l’harmonisation de la paye pour les travailleurs à contrats à durée déterminée, et aussi certaines entreprises, surtout dans l’industrie automobile, ont accordé des hausses salariales en avance sur ce qui était prévu dans les contrats. Mais 2009 a été la première année depuis 1949 où non seulement les salaires réels, mais aussi les salaires nominaux, ont baissé, en même temps que la pression des patrons dans les entreprises continuait à croitre. Qui plus est, la majorité des nouveaux emplois créés ont été temporaires, des emplois qui peuvent facilement être perdus dès que l’économie s’arrête de croitre. Malgré cela, la croissance économique récente a créé certains espoirs que le pire est derrière nous, en Allemagne et dans certains pays qui y sont économiquement liés. En novembre 2010, 35% des Allemands craignaient le chômage, comparé à 59% un an auparavant. C’est une des raisons pour lesquelles les nouvelles mesures d’austérité du nouveau gouvernement, visant principalement les couches les plus pauvres de la population, ne provoquent pas encore une opposition large.

Mais beaucoup de pays en Europe sont confrontés à une situation économique bien, bien pire et, en outre, il n’y a pas de porte de secours. 2009 a été l’année d’énormes chutes du PIB dans les États baltiques, (la Lettonie a subi la pire chute du PIB : -18%) et de très grosse pertes dans des pays comme la Finlande (-8%), l’Irlande (-7,1%) et l’Islande (-6,8%). Au fur et à mesure que s’écoulait l’année 2010, le taux de croissance d’autres pays européens s’est lui aussi ralenti.

La situation instable est une raison pour les divisions continues au sein des classes dirigeantes quant au rythme et à l’ampleur des attaques qu’ils désirent poursuivre sur le niveau de vie, et à la nécessité ou non du maintien de mesures afin d’atténuer les effets de la crise.

Ce qui est clair est qu’au sein de l’UE, il n’y a aucune base pour une reprise économique durable ; cette situation est aggravée par les offensives que la plupart des gouvernements ont lancées avec la mise en œuvre de mesures d’austérité. C’est ce qu’on voit en Grèce et en Irlande, dont les économies sont en réalité toujours en train de baisser, tandis que des pays comme le Portugal ou l’Espagne ne sont pas loin derrière. L’offensive du gouvernement britannique est justifiée par l’espoir d’une reprise des exportations, mais il n’y a aucune certitude quant à la possibilité du capitalisme britannique de reconstruire ses secteurs non-financiers. De la même manière, tous les signes indiquent que l’économie mondiale est de nouveau en train de ralentir, et qu’une récession en “double chute” se pointe à l’horizon. Les perspectives pour l’économie mondiale sont aussi cruciales pour les perspectives économiques de l’Allemagne, puisque sa rapide reprise en 2010 était purement basée sur les exportations. Une décennie de gel des salaires, combinée aux taux de change des devises nationales en euro a bousté la compétitivité du capitalisme allemand, dans l’eurozone comme à l’échelle internationale. Par exemple, plus de 20% de la production des entreprises automobiles allemandes a été vendu à la Chine, et l’Allemagne pourrait au mieux se retrouver dans la stagnation au cas où, comme il semble probable, l’économie mondiale venait encore à ralentir. Une baisse plus profonde de l’économie mondiale produirait une nouvelle chute rapide des exportations allemandes et aurait d’énormes répercussions politiques et sociales.

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