C’était il y a tout juste 50 ans : le 4 janvier 1961 : Le poison du fédéralisme

Le pays reste toujours paralysé par la grève générale, de nouvelles manifestations ont lieu à Bruxelles. Les gendarmes, en nombre, chargent les grévistes sabre au clair et un gréviste est grièvement blessé. Un important dispositif de gendarmes est venu en renfort pour garder la zone neutre et le Parlement.

Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

Malgré les nombreuses mesures de répression de la gendarmerie, la lutte n’a pas pu être arrêtée, et elle se poursuit. La lutte des grévistes contre le gouvernement et l’Etat bourgeois a pour effet de galvaniser la volonté de la classe ouvrière dans son ensemble. Depuis le 20 décembre 1960, la grève générale n’a pas cessé de prendre de l’ampleur dans tout le pays. En Flandre, les débrayages se multiplient de jour en jour. Cette extension de la grève en Flandre est toujours accompagnée de manifestations de plus en plus nombreuses.

Les luttes se développent et on constate une accentuation du caractère aigu de la grève générale partout dans le pays. Progressivement, le conflit prend la tournure d’un mouvement insurrectionnel. Les grévistes sont de plus en plus nombreux à participer aux différentes manifestations, la grève générale est toujours efficace, le potentiel économique du pays est toujours paralysé après 16 jours de grève.

Dans une grève générale d’une telle ampleur, il y a toujours des variations sur le front des mouvements de la lutte, mais le plus important à mettre en évidence, c’est que la volonté de la grande majorité des grévistes à poursuivre le combat reste intacte ; ils attendent avec maintenant beaucoup plus d’impatience que les directions ouvrières décrètent les mots d’ordre qu’ils réclament. Pendant ce temps, les députés du PSB restent cantonnés au sein du Parlement.

Le Comité de Coordination des régionales Wallonnes de la FGTB réuni ce 4 janvier 1961, toujours sous la présidence d’André Renard, publie une résolution dont voici un extrait : (Le Comité) «S’indigne du comportement des soi disant forces de l’ ordre, qui se transforment en forces provocatrices dans certaines régions de Wallonie, qui se livrent à des excès que réprouve l’ ensemble de la population ; Souligne le caractère sérieux et de froide détermination qui animait tous les participants ; Félicite les travailleurs qui ; tant à Bruxelles qu’ en pays flamand, sont, eux aussi, descendus dans la rue pour clamer, comme les travailleurs de Wallonie, leur opposition irréductible à la loi unique, objectif unique de l’action engagée.»

On peut constater que le ton a changé au sein du comité de la FGTB wallonne, c’est ce qui a fait dire à « La Cité » du 3 janvier «que la position d’André Renard au sein des fédérations Wallonnes tendrait à s’affaiblir, et que le comité de Coordination des régionales wallonnes aurait perdu de sa cohésion.» C’est l’introduction de la revendication du fédéralisme qui pose problème.

Quinze mille manifestants occupent pendant tout l’après-midi le centre de Bruxelles. Georges Debunne, secrétaire national de la CGSP, veut prendre la parole du balcon du local socialiste pour inviter les manifestants à se disperser. La Cité rapporte que : «des huées et des cris viennent l’interrompre, les manifestants réclament la “Marche sur Bruxelles”, “Au Parlement”, “De l’action aujourd’hui”». Quand Debunne redemande aux manifestants de se disperser, ce sont de nouvelles huées. Il insiste, on l’entend péniblement déclarer que les manifestants ne doivent pas donner l’impression qu’ils ne s’entendent pas avec leurs dirigeants, et leur fixe rendez-vous à demain 10h00 à la maison du Peuple. Cela suscite de nouvelles huées.

Une colonne de manifestants de la Jeune Garde Socialiste et d’étudiants continue seule et marche sur la Sabena, attaquant les autobus qui roulent encore et en chantant l’Internationale. A l’issue de la dislocation de la manifestation, c’est un groupe de quelques deux cents jeunes qui se regroupe et tente de gagner la zone neutre. Sur leur passage ils lapident un tram qui roulait malgré les consignes de grève, les vitres de la Sabena sont à nouveau brisées. Aux abords de la zone neutre, de violents heurts éclatent avec les gendarmes, nombreux à défendre la zone. Plusieurs arrestations sont opérées. Le gouvernement a pris des mesures de sécurité supplémentaires. Des renforts de gendarmerie ont pris position, toutes les grilles sont fermées. Le lendemain, le journal lié au PSB Le Peuple condamne sévèrement «le déchaînement d’une bande d’écervelés, de blousons noirs, qui par leur action après la manifestation, ont fait régner « pendant une demi-heure une atmosphère d’émeute.» Les dirigeants réformistes du PSB se désolidarisent donc publiquement de l’action des jeunes !

La fédération bruxelloise des Jeunes Gardes Socialistes publie une mise au point qui donne une idée du fossé existant entre les grévistes de la base et les dirigeants socialistes. En voici le texte : «Depuis quelques jours, on assiste à un lâchage systématique de certains actes commis par les grévistes manifestants à Bruxelles. Ce sont les journaux ouvriers qui dénoncent : «Actions de blousons noirs et de gamins». Ces gamins sont au même titre que les autres des travailleurs en grève. Il leur a souvent fallu plus de courage que leurs aînés pour participer à celle-ci. Hier les jeunesses communistes, aujourd’hui les étudiants socialistes et communistes dénoncent également les «irresponsables» Où sont les irresponsables ? Ce ne sont pas nécessairement ceux qui cassent des vitrines, arrêtent des autobus ; ceux-là sont généralement des grévistes excédés de tourner en rond depuis plus de dix jours, qui cherchent désespérément d’autres formes d’action. Mais ceux qui, les jours passés, clamaient « au Parlement » et qui criaient à la provocation sont des irresponsables… La Jeune Garde Socialiste, en tant qu’organisation ouvrière – bien que n’ayant pas donné de consignes de violence – se refuse à assimiler à des provocateurs ou à des gamins les centaines de jeunes grévistes qui sont passés à l’action directe. Ces actes de violence sont l’expression du désir des jeunes ouvriers de briser un régime qui leur refuse toute perspective d’avenir.»

Quelle va maintenant être l’attitude des dirigeants qui prétendent se battre sur des positions de classe, coincés qu’ils sont entre le marteau de l’avant-garde ouvrière qui commence à s’organiser dans l’action, et l’enclume des directions traditionnelles enlisées dans la discussion parlementaire et les marchandages de sommet ?

Pour la tendance Renard de la FGTB, qui s’est toujours piquée de diriger l’avant-garde, il est urgent de trouver une solution qui préserve cette apparence, tout en évitant à ses dirigeants de prendre vraiment la tête d’une offensive révolutionnaire contre la bourgeoisie. Cette solution, André Renard et ses amis croient l’avoir trouvée avec le nouvel objectif du fédéralisme wallon. Abandonnant délibérément le terrain de la lutte de classe, sur lequel, c’était imminent, les ouvriers révolutionnaires allaient les obliger à passer à l’attaque, les dirigeants syndicalistes de la FGTB wallonne effectuent un repli en règle. Ils tentent désormais de canaliser l’action vers les objectifs plus sentimentaux et plus passionnels de l’autonomie wallonne, ce qui n’a plus rien à voir avec les objectifs révolutionnaires que la classe ouvrière s’était fixée dès le début de la grève générale.

Le but de l’opération «fédéralisme» lancé par André Renard n’en est pas moins de donner le change à la classe ouvrière, frustrée par ses dirigeants quant aux objectifs de sa grève générale. Il s’agit de faire diversion, dans la phase la plus critique de la guerre de classe dans laquelle se débat le prolétariat belge. Dans la région flamande, la grève est moins ample qu’ailleurs, et aussi plus difficile, nous l’avons déjà dit. Le patronat, le gouvernement et les forces de répression exercent une pression plus forte sur les militants ouvriers. Dans ces circonstances, la revendication du fédéralisme des dirigeants syndicaux de la FGTB wallonne ne peut que précipiter la retraite des travailleurs flamands.

Mais au moment où André Renard lance sa campagne pour l’autonomie wallonne, il y a encore des dizaines de milliers de travailleurs flamands en grève ; non seulement dans les grandes cités ouvrières flamandes de Gand et d’Anvers, mais aussi dans les petites villes comme Bruges, Courtrai, Denaix, Alost, Furnes, Menin, où les grévistes mènent un combat plus héroïque encore, car plus difficile. Dans ces conditions, les responsables wallons de la FGTB, parfaitement au courant de cette situation, se doivent d’aider leurs camarades flamands à poursuivre la lutte, en envoyant des délégations de grévistes aux manifestations et avec prise de parole dans leurs meetings. Mais ce n’est évidemment pas le but des bureaucrates syndicaux de la FGTB wallonne. Bien que les travailleurs flamands de la base réclament la venue d’André Renard, celui-ci ne daigne pas se déplacer, soit disant par respect pour les sommets de l’appareil réformiste de la FGTB flamande.

On ne saurait donc être trop sévère pour la campagne pour le fédéralisme du mouvement Renardiste, une vulgaire manœuvre de division, un coup de poignard dans le dos des travailleurs flamands.

Chez ces derniers, la colère est grande. De surcroît, ils subissent la pression idéologique de la bourgeoisie flamande sur le thème national, pression qui se fait plus lourde au fur et à mesure que la propagande «wallingante» s’accentue. L’amertume et la colère sont grandes chez les militants ouvriers qui ne désarment pas pour autant. D’ailleurs, la presse ouvrière flamande titre que : «Les travailleurs flamands préfèrent se soumettre à une Wallonie rouge qu’à une Flandre noire.» On ne répètera jamais assez que c’est l’extraordinaire instinct de classe des travailleurs wallons qui a empêché les bureaucrates de détourner le mouvement vers la régionalisation dès le début, malgré les tentatives de l’appareil qui créait, dès le 23 décembre 1960, le « Comité de Coordination des Régionales wallonnes de la FGTB ». De même, on ne dira jamais assez non plus que l’abandon de la lutte à l’échelle nationale, préméditée par André Renard, ainsi que l’introduction de la revendication du fédéralisme ont été fatals au succès du mouvement de grève générale.

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