C’était il y a tout juste 50 ans: le 3 janvier 1961, André Renard se prononce contre la Marche sur Bruxelles

Le journal de Charleroi titre ce 3 janvier 1961 : «La grève s’ est encore étendue dans certaines régions flamandes.» C’est un démenti concret face aux idées fédéralistes de Renard et du PSB. Ce mardi 3 janvier, la Chambre reprend ses travaux, les députés doivent continuer l’ examen de la Loi Unique. Pendant ce temps, d’importantes manifestations de masse ont lieu avec succès dans toutes les régions du pays.

Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

Le quotidien Le Peuple titre : «200.000 manifestants sont descendus dans la rue.» Des manifestations sont organisées à Anvers où, une nouvelle fois, des incidents violents éclatent entre grévistes et gendarmes qui cherchent la provocation, à Gand, à Grammont, à Bruges, à Ninove, à Tournai, à Nivelle, à Namur, à Waremme, à Mons où les locaux d’ un journal chrétien sont mis à sac, à Bruxelles, à Charleroi et dans toute la région Liégeoise. Les incidents d’Anvers font une vingtaine de blessés.

Les journaux sont unanimes pour affirmer, comme le journal « Le Soir », que les : «manifestants sont nettement plus nombreux que les jours précédents.» Il est clair pour tout le monde que l’ampleur du mouvement ne laisse encore aucune possibilité aux dirigeants socialistes pour tenter un compromis. Lors de ces manifestations, des bagarres éclatent en plusieurs endroits, surtout entre des groupes de jeunes manifestants et les gendarmes à cheval qui chargent une nouvelle fois les grévistes sabre au clair, en faisant de nombreux blessés.

Pendant ce temps, les parlementaires socialistes et communistes n’ont aucune intention d’abandonner le Parlement. Celui-ci, y compris pour les députés wallons, doit se révéler une excellente planche de salut au cas où la situation s’ aggraverait encore davantage. Des rumeurs persistantes courent selon lesquelles Louis Major, le secrétaire général de la FGTB, aurait pris contact avec les dirigeants chrétiens pour tenter de trouver un terrain de négociations, rumeurs que Major dément.

Dans la région liégeoise, les grévistes répondent avec enthousiasme à l’ appel de leurs dirigeants, mais ceux-ci ont bien pris soin de les disperser. Ils sont 10.000 à Liège, 800 à Herstal, 15.000 à Yvoz–Ramet, 8.000 à Grivegnée, 3.000 à Fléron, 5.000 à Grâce-Berleur, 1.000 à Nessonvaux, 3.000 à Comblain, 5.000 à Waremme. Ils sont plus de 50.000 à manifester dans la région.

Ce jour-là, André Renard prend la parole à plusieurs endroits. Parlant aux grévistes d’Yvoz-Ramet, il se voit réclamer de toutes parts la marche sur Bruxelles. Brutalement, il s’ y oppose et met tout le poids de son crédit de réformiste de gauche dans la balance. Il déclare : «A Bruxelles, et après ? Il faut penser qu’il y a certains moyens qu’on n’ utilise pas deux fois.» A Grivegnée, Renard précise : «Nous n’ irons pas à Bruxelles. Nous ne voulons pas de morts sur les routes : la dernière fois nous étions 40.000 pour marcher sur Bruxelles. Cette fois, si nous n’ étions pas 50.000, ce serait un échec.»

C’ est à Yvoz-Ramet qu’André Renard prend très nettement position pour la revendication du fédéralisme, d’après l’édition du journal Le Soir du 4 janvier 1961, il déclare en introduction : «Le peuple Wallon est mûr pour la bataille. Nous ne voulons plus que les cléricaux flamands nous imposent la loi. Le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple. On veut punir les Wallons parce qu’ils sont socialistes.»

Et comme il faut bien soigner son image, comme il faut bien se montrer ferme pour ne pas décevoir complètement les grévistes, Renard radicalise alors son discours en disant (toujours selon « Le Soir ») : «Vous n’ avez jusqu’à présent donné aucun signe de lassitude, mais le moment est venu de faire plus encore. Nous avons pensé à utiliser l’ arme ultime et, pour ce faire, nous avons pris toutes nos responsabilités. Je vous annonce que le comité de grève a pris la décision de principe d’ abandonner l’ outil (vibrantes ovations). Nous sommes conscients de ce que cela représente, mais nous le voulons. L’ ordre en sera donné en temps voulu. Nous n’ accepterons pas de mettre un genou à terre. Notre cause est juste, nous voulons la gagner.» Et Renard s’ écrie : «Êtes-vous pour l’abandon de l’ outil ?» Un immense «oui» monte de la foule. «Le comité des grèves» dont Renard parle n’est autre chose que le comité de coordination des bureaucrates syndicaux wallons, sans qu’aucune représentation de la base ne soit présente en son sein.

Mais, dans la soirée de ce même mardi 3 janvier, une auto disposant d’un puissant haut-parleur de la FGTB de Liège diffuse dans les rues d’ Ougrée et de Seraing un appel aux ouvriers en vue de maintenir l’ entretien des hauts fourneaux. Renard menacera jusqu’au bout d’ abandonner l’ outil, mais il se gardera bien de mettre sa menace à exécution. Le fait que la FGTB de Liège, « fief » de Renard, ait lancé des directives en contradiction avec son discours démontre complètement la manoeuvre bureaucratique : aux ouvriers qui veulent marcher sur Bruxelles, Renard oppose l’abandon de l’outil ; aux patrons des hauts fourneaux, il assure qu’ il n’a nullement l’intention de passer aux actes.

La tendance fédéraliste s’affirme petit à petit au sein des organisations syndicales en grève ; des affiches et des drapeaux avec le coq wallon font leur apparition, mais l’immense majorité des travailleurs wallons, flamands et bruxellois ne sont évidemment pas d’accord avec cette orientation fédéraliste qui est l’oeuvre exclusive de la tendance Renard. Les travailleurs n’ ont d’ ailleurs pas été consultés sur cette nouvelle orientation et, en plus, ils n’ont donné aucun mandat en ce sens.

La lutte qui s’ était progressivement dirigée contre le régime capitaliste lui-même est remplacée, par les partisans du fédéralisme, par la lutte contre l’Etat unitaire mais sans toucher aux fondements du capitalisme afin de trouver une issue honorable. Le journal La Cité du 9 janvier 1961 ne s’ y trompera pas en disant : «Les leaders de la grève doivent renoncer à l’épreuve de force et chercher une porte de sortie honorable.» Il est certain que les leaders du mouvement de grève, bien qu’ayant cherché une sortie honorable, n’ont par contre jamais envisagé une seule minute la moindre épreuve de force.

Les travailleurs considèrent cette proposition de fédéralisme comme une déviation de la grève générale et comme une fuite en avant. Les travailleurs flamands et Bruxellois ne peuvent voir cette évolution que d’ un fort mauvais oeil. Cette confusion voulue par Renard et par la quasi totalité de l’ appareil de la FGTB wallonne met les grévistes mal à l’ aise ; ils voient dans cette orientation une démobilisation, une rupture de l’ unité de front entre les travailleurs flamands, bruxellois et wallons.

Quant au Parti Communiste, il manifeste également son désaccord en demandant aux travailleurs de «repousser toute tentative de fixer des objectifs autres que celui de la grève», c’ est à dire le retrait pur et simple de la Loi Unique. Le communiqué du PC «regrette que certains chefs syndicaux se soient tus quand aux formes que devait prendre le combat dans les prochains jours.» Mais le PC, en tant que parti politique, ne donnera pas non plus de mot d’ ordre de combat, restant sourd, tout comme les dirigeants socialistes, à la revendication très populaire de la Marche sur Bruxelles.

Comme consigne, ce 3 janvier, le journal du Parti Communiste, Le drapeau rouge, titre : «Les députés PSC et libéraux discréditent la démocratie en ne tenant pas compte de la volonté des travailleurs. Il faut organiser au plus tôt une journée de délégations ouvrières massives au parlement pour obtenir le retrait pur et simple de la loi unique». Pour les staliniens, il ne s’ agit pas de lancer le mot d’ ordre de la marche sur Bruxelles, mais simplement d’ envoyer des «délégations au Parlement» ce qui n’ est évidemment pas la même chose. Toujours et partout, les bureaucrates réformistes et staliniens expliquent aux masses ouvrières que la lutte révolutionnaire est impossible, avec des arguments semblables à ceux utilisés par Renard. Mais tous ces bureaucrates, y compris Renard et Major, sont effrayés par les implications révolutionnaires de la grève générale.

Lors des journées précédentes, les soldats et les gendarmes supplétifs avaient de la sympathie pour le mouvement de grève générale. Des soldats avaient d’ ailleurs fait savoir qu’ils n’ avaient pas de balles, certains gendarmes supplétifs avaient prêté leurs bons offices pour rétablir des liaisons entre les piquets de grève. Dans le conflit de 1950, il y avait eu une désagrégation de l’appareil répressif de l’ Etat bourgeois. Qu’aurait bien pu faire Eyskens dans pareille situation avec ses 18.000 gendarmes face à la montée de milliers et de milliers de grévistes sur Bruxelles ? Certes, il y aurait eu des affrontements mais, finalement, les travailleurs auraient certainement eu le dessus. Et alors aurait été posée la question du pouvoir. Si on considère que l’ armée et la gendarmerie se trouvera du côté de la bourgeoisie dans toutes les situations, alors il faut renoncer non seulement à la grève générale mais aussi au socialisme. Car, dans ces conditions, le régime capitaliste est éternel et il faut alors renoncer définitivement à toute lutte.

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