C’était il y a tout juste 50 ans: le 2 janvier 1961

De nombreuses et nerveuses manifestations se déroulent dans le pays. A Bruxelles, une manifesta-tion spontanée se déroule suite à la mort de François Van der Trappen. Sur certains murs de la capi-tale, on peut lire des chaulages qui disent : « Le 3 au Parlement. » Les manifestants se rendent face à la Sabena, les grévistes enfoncent le cordon de gendarmes et brisent les vitrines. Les autopompes actionnent leurs canons à eau. A Charleroi, après la manifestation, il y a 14 arrestations pour faits de grève. En Flandre, on assiste ce lundi matin à une nette extension de la grève générale, surtout dans le secteur privé et notamment à Malines, Rupel, Saint-Nicolas et Dixmude.

Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

La droite de la FGT B nationale est impuissante à stopper le mouvement de grève spontanée en Flandre. Comme l’avait dit Louis Major le 22 décembre à la Chambre : «personne ne peut plus aujourd’hui arrêter le mouvement.»

Mais les travailleurs attendent toujours, sans succès, des mots d’ordre autres que ceux de battre le pavé à longueur de journée, des mots d’ordre qui ne viendront pas.

Les sociaux-démocrates du PSB en appellent au roi. Le quotidien social-démocrate Le Peuple publie aujourd’hui: «Les milieux syndicaux et patronaux, comme les partis politiques, devraient avoir des assurances qu’ils n’ont pas, au sujet de la manière dont le chef de l’Etat, tenu dans l’ignorance jusqu’ à son retour, a été informé de la situation réelle par des ministres qui font tout pour cacher au pays l’élémentaire vérité au sujet de la redoutable crise qu’il traverse.» Comme à son habitude, le PC suit son grand frère du PSB, et leur journal, le Drapeau Rouge commente : «Il serait temps, en effet, que le chef de l’Etat se rende exactement compte de la situation et qu’il mette fin, on ne peut plus rapidement, à l’activité désastreuse du gouvernement Eyskens.» Comme en réponse à ces appels désespérés au Roi, les travailleurs à Mons, à Charleroi, à Liège et ailleurs crient : « Vive la République ! »

Face aux dangers que représente le mouvement de grève générale, qui n’en finit plus de paralyser le pays et qui finalement risque d’échapper au contrôle des appareils réformistes, le PSB décide d’introduire dans le conflit une revendication réalisable à long terme. C’est ainsi que les fédérations wallonnes du PSB se réunissent à Namur et jettent dans le conflit une nouvelle revendication : le fédéralisme.

On constate ainsi que les objectifs de la grève générale évoluent. Du côté syndical, la FGTB est toujours opposée à la Loi Unique, mais elle ne donne pas de mot d’ordre autre que des manifesta-tions accompagnées de slogans portant sur le retrait de la Loi Unique mais, surtout, appelant au «calme, ordre, discipline.» Le mot d’ordre de marche sur Bruxelles, réclamé à plusieurs reprise avec force par les grévistes, est complètement ignoré par les appareils de la FGTB wallonne. On signale un peu partout des mouvements de troupes vers Bruxelles. Le gouvernement craint la marche.

Le Peuple informe aussi que les institutrices de la localité de Gilly se sont mises à la disposition du Comité de grève local. De tels faits sont fréquents depuis le début de la grève. Les professeurs et les intellectuels ne craignent pas de se mêler aux ouvriers et de contribuer aux tâches quotidiennes de l’organisation de la grève générale, comme tout le monde. D’une manière générale, ces faits mon-trent l’immense audience que la grève générale a sur l’ensemble de la population. Le constat le plus remarquable de ces journées est la façon dont les couches les plus politisées des classes moyennes soutiennent le mouvement de grève générale. La petite bourgeoisie comprend fort bien que la Loi Unique les touche également, on notera à ce sujet ce que dit L’Echo de la Bourse du 1ier janvier 1961 : «D’étranges dispositions financières que rien ne justifie, si ce n’ est – chez leurs inspira-teurs – le désir de poser le premier jalon pour l’ instauration d’une fiscalité atroce, propre à provo-quer en Belgique le laminage de la classe moyenne et la disparition des travailleurs indépen-dants.» Nombreux sont ceux dans la petite bourgeoisie qui comprennent qu’il leur faut, pour survivre, se ranger du côté du prolétariat qui se bat contre leur ennemi commun, et qui est seul ca-pable de leur résister. Petits commerçants, artisans, cafetiers, boulangers, petits rentiers, toutes ces catégories se sont montrées disciplinées et respectueuses des consignes données par les comités de grève, aux réunions desquels il arrive parfois que l’un de leurs représentants participe.

Cette situation d’appui de la petite bourgeoisie des villes est très importante pour le succès final du mouvement. Mais les organisations syndicales et politiques dissimulent la véritable nature de classe de cette alliance derrière la phraséologie démocratique. La grève générale, ce n’est pas pour elles l’alliance du prolétariat et de la petite bourgeoisie contre le grand capital, c’est le soulèvement du peuple contre la Loi Unique ainsi que contre le gouvernement Eyskens. Les espoirs des directions ouvrières réformistes vont alors tout naturellement vers une résolution du conflit par voies parle-mentaires d’alliance avec le PSC. Ces bureaucrates prétendent nier les dures nécessités de la lutte de classe. L’audience que la grève générale exerce sur le reste de la population est significative des possibilités offertes au prolétariat en lutte pour atteindre son objectif final.

L’objectif historique de la grève générale belge est de porter un coup mortel aux institutions bour-geoises et au système capitaliste, et de les détruire. Tel est le sens réel de la volonté, spontanément affirmée à plusieurs reprises par les travailleurs, de marcher sur Bruxelles. Le but des dirigeants ré-formistes et staliniens n’est pas d’attaquer la grande bourgeoisie des banques et des monopoles en la personne du premier ministre Eyskens mais, au contraire, d’attaquer personnellement Eyskens, accusé de s’entêter et de ne pas respecter la «démocratie» afin d’éviter que les coups des travailleurs ne se dirigent contre la bourgeoisie en tant que classe. Leur but, c’est le renversement d’Eyskens sur le plan parlementaire.

Cette tactique des directions ouvrières trouve une expression fidèle dans le numéro de janvier de la revue «Socialisme», revue théorique du PSB ou René Evalenko, analysant les raisons du succès de 1950 par rapport à celle de l’échec de 1960 écrit : «Un deuxième facteur est qu’en 1950, les so-cialistes avaient trouvé un appui dans la bourgeoisie libérale. (…). Il n’en était plus de même ici, car l’action des travailleurs avait nettement pris l’aspect de la lutte des classes.» Comme si ; en 1950, avec le début de l’organisation de la marche sur Bruxelles, ce n’était pas la lutte des classes !

Déjà à cette époque, le mouvement de grèves avait eu sur la petite bourgeoisie libérale une attraction importante et qui s’est confirmée dans la grève générale de 1960, comme nous venons de le voir avec l’appui de la petite bourgeoisie des villes. Avec ce genre d’écrits nous devons constater qu’il n’y a pas que les journaux de droite qui lancent des informations mensongères ; certains intellectuels de gauche veulent cacher et nier les alliances entre la petite bourgeoisie et le prolétariat.

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