C’était il y a tout juste 50 ans: le 23 décembre 1960

Devant la généralisation de la lutte, le gouvernement prend des mesures de sécurité : ‘‘Dans la zone neutre, de nombreux agents de police patrouillent. Jeudi après midi, vers 14h30, ils ont fermé les grilles du parc de Bruxelles, où des gendarmes à cheval et des jeeps de la gendarmerie ont pris place.’’ (le journal de Charleroi du 23 décembre 60)

Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

La situation du gouvernement empire d’heure en heure. Il rassemble ses forces et ne cède pas face au soulèvement du prolétariat. La bourgeoisie, effrayée par la détermination extraordinaire de la classe ouvrière qui impose partout sa volonté de lutte, fait néanmoins front derrière son gouvernement. La classe dominante sonne le rassemblement de ses troupes, et c’est ainsi qu’au début de l’après-midi, le Cardinal Van Roy, archevêque de Malines, lance un ‘‘Appel à nos compatriotes’’, paru dans La Libre Belgique des 24 et 25 décembre 1960 et dans lequel il condamne la grève. En voici un extrait : ‘‘Les grèves désordonnées et déraisonnables auxquelles nous assistons à présent doivent être réprouvées et condamnées par tous les honnêtes gens.’’ Les plus hautes autorités du Clergé belge n’ont jamais hésité à se lancer à corps perdu dans les conflits sociaux pour voler au secours de la bourgeoisie.

Cette attitude est parfaitement cohérente avec la fonction principale de la hiérarchie catholique, qui partout et de manière systématique défend les intérêts de la haute finance. En 1950 aussi, l’archevêque avait pris une attitude similaire en faveur du courant Léopoldiste, lors de la Question Royale, contre les masses ouvrières qui réclamaient le départ de l’ex-Roi Léopold.

Suite à cette intrusion inouïe du Cardinal Van Roy sur le plan politique, des réactions de protestations s’élèvent de la part des chrétiens de la CSC. Cependant, à cette phase de la lutte, ce n’est que l’expression d’une conscience parfaitement claire du Clergé que la bourgeoisie est menacée de mort. La CSC de Charleroi et de Liège protestent publiquement ; plusieurs délégués d’entreprises, en Flandre comme en Wallonie, sont indignés. Le président de la CSC va jusqu’à menacer de donner sa démission. Mais, malgré cette agitation verbale, les dirigeants de la CSC n’en sont pas moins liés aux déclarations du Cardinal puisqu’eux-mêmes dénoncent la grève générale comme politiquement inefficace et inutile.

La Libre Belgique du samedi 24 décembre 1960 relatera que Cool aurait déclaré à l’adresse du gouvernement : ‘‘Je ne tiens plus mes troupes en main. En dépit de mes consignes, les syndiqués chrétiens fraternisent de plus en plus avec leurs collègues socialistes, vous devez faire des concessions, renoncer notamment aux deux périodes de chômage et vous borner à combattre les abus au moyen de la législation existante, sinon je ne réponds pas de ce qui pourrait arriver.’’ L’attitude de la CSC est significative, elle a, dans une large mesure, fait en sorte de sauver l’existence du gouvernement Eyskens.

Pour la CSC, c’est surtout ‘‘le caractère insurrectionnel de la grève politique’’ qui est à l’origine de son refus d’appeler à la grève. Par cette attitude, elle a empêché toute action concentrée en front commun des deux syndicats. Son but était la division de la classe ouvrière, comme lors de chaque grand affrontement. Mais, de son côté, la FGTB nationale n’a pas non plus pris de décision d’ensemble et a confié la conduite de la grève générale à ses régionales, divisant ainsi les travailleurs d’une action sur le plan national.

C’est encore ce 23 décembre que se réunissent pour la première fois les directions syndicales wallonnes de la FGTB se réunissent aujourd’hui sous la présidence d’André Renard. Elles constituent un Comité de Coordination des Régionales Wallonnes de la FGTB. Toutes les précautions sont prises pour éviter de perdre définitivement la direction de l’action. Le mouvement spontané de la classe ouvrière a levé tous les obstacles à l’action et a forcé et contraint les appareils réformistes du PSB et de la FGTB à accepter la grève. Cependant, l’appareil réformiste a rejoint le mouvement juste à temps pour pouvoir encore en prendre le contrôle. Mais l’appareil de la FGTB, aussi bien l’aile Renard (la gauche) que l’aile Major (la droite), maintient les liens qui l’unissent à la bourgeoisie et au régime capitaliste.

Sous le couvert que toutes les grèves doivent être coordonnées, les directions syndicales de la FGT B wallonne constituent donc rapidement le Comité des régionales wallonnes. Cette initiative de l’appareil syndical est déjà en elle-même une division des forces de la classe ouvrière du pays, qui avait certainement plus besoin d’une coordination nationale des forces face à un gouvernement, à une gendarmerie et à une bourgeoisie unie nationalement.

Ce qui a fait réagir aussi rapidement la tendance Renard, ce sont les initiatives d’organisation autonomes de l’avant-garde des travailleurs de la base, avec la constitution spontanée des comités de grève. La création de ce comité sert en fait à éviter de perdre définitivement la direction du mouvement et à empêcher que celui-ci ne débouche sur des actions révolutionnaires incontrôlables. Le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB est dès sa naissance destiné à être utilisé pour s’opposer à tout débordement révolutionnaire.

Le Parti Communiste publie ce jour un communiqué dans le Drapeau Rouge où il déclare notamment : ‘‘Il faut que les parlementaires qui, jusqu’ ici, soutenaient la Loi Unique, comprennent que le moment est venu de tenir compte de la volonté populaire et de retirer leur appui à la loi de malheur.’’ Cet appel des dirigeants staliniens au Parlement – qui répond aux craintes exprimées par le gouvernement de voir les « institutions démocratiques » mises en danger par l’offensive ouvrière – est très symptomatique de l’orientation du PC: canaliser la lutte révolutionnaire des centaines de milliers de travailleurs en grève dans le cadre de l’ordre capitaliste et sur le principe de la défense du parlementarisme bourgeois.

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