Début septembre, Tanja Niemeier s’est rendue au Kazakhstan avec l’eurodéputé Joe Higgins, en tant qu’attachée parlementaire de la fraction européenne de GUE/NGL (Gauche Unitaire Européenne). Ce pays est pour le moment président de l’Organisation pour la Sécurité et la Collaboration en Europe (OSCE), mais est lui-même caractérisé par la répression et le pillage des matières premières. Nous en avons discuté avec Tanja.
Peux-tu brièvement nous expliquer la situation politique et économique du Kazakhstan?
Tanja: “Le Kazakhstan est une ancienne république soviétique devenue indépendante à la chute du stalinisme. Potentiellement, c’est un pays riche avec de grandes réserves de richesses naturelles (le pays dispose de la onzième réserve de pétrole et de gaz au monde).
“Cette énorme richesse ne profite pas à la population. Un travailleur dans le secteur du pétrole gagne en général moins de 200 dollars par mois. Toute l’industrie a été vendue aux grandes multinationales qui pillent le pays. Les seuls à grignoter quelques parts du gâteau sont les oligarques et les bureaucrates qui ont vendu l’industrie.
“Le président Nazarbayev est issu de la bureaucratie stalinienne de la période Gorbatchev. A la chute de l’Union Soviétique, il est devenu président de l’Etat indépendant de Kazakhstan au lieu de président du Soviet Suprême. En 1991, il a remporté les élections présidentielles avec 91,5% des votes, sans adversaire. Il a depuis ‘‘gagné’’ chaque élection et est au pouvoir depuis plus de 20 ans.
“Ces dernières années, l’influence de la Chine voisine et de la Turquie ont augmenté, mais cela n’a entraîné aucune amélioration du niveau de vie de la population. Les entreprises chinoises appellent de plus en plus leurs propres travailleurs, ce qui favorise l’exacerbation des tensions ethniques. Le chômage et le sous-emploi augmentent rapidement en conséquence de la crise économique mondiale.”
En tant que président de l’OSCE, le Kazakhstan doit surveiller l’observation de la démocratie dans le reste de l’Europe. Mais il semble quand même bien que le régime a des côtés dictatoriaux….
Tanja: “Toute opposition est activement réprimée. Ainsi, lors de notre visite, un militant des droits de l’homme a été arrêté pour nous avoir parlé. Le régime ne voulait pas qu’il puisse témoigner des violations des droits de l’homme dans les prisons du Kazakhstan.
“Dans ces prisons, tout le monde est soumis à un régime brutal de violence et de torture dans des prisons surpeuplées, le vol d’un GSM pouvant envoyer quelqu’un en prison pour trois ans. Un ancien prisonnier nous a raconté qu’il avait été frappé pour avoir refusé de lécher le crachat d’un gardien. En août, des protestations ont eu lieu dans les prisons de la région de Karaganda, certains prisonniers ont été jusqu’à s’ouvrir les veines ou le ventre en signe de protestation.
“Officiellement, le Kazakhstan est une démocratie, mais la pratique est toute autre. Le droit de protester existe, mais une autorisation n’est en général accordée que pour protester à des dizaines de kilomètres, en rase campagne. Il peut officiellement exister un parti d’opposition contre le parti présidentiel, mais il faut réunir 40.000 signatures (avec numéros de cartes d’identité) et il y a un seuil électoral de 7%, que les plus grands partis d’opposition n’obtiennent pas ‘‘par coïncidence’’.
“Le Parlement a proposé en juin d’interdire toute forme de critique contre le président et sa famille, à vie et même après la mort de Nazarbayev. Sa famille a aussi reçu une immunité totale et ne peut donc pas être poursuivie en justice.
“La réaction de l’Occident peut se résumer ainsi : ‘entendre, voir et se taire’. Le Kazakhstan est devenu président de l’OSCE sans aucune critique de la part des 56 Etats membres. L’accès aux réserves pétrolières et gazières ainsi que le rôle du pays comme poste d’approvisionnement des troupes d’occupation en Afghanistan sont les choses les plus importantes pour l’Europe et les Etats-Unis.’’
Comment réagit le mouvement ouvrier?
Tanja: “Malgré la répression et le manque d’une tradition de syndicats indépendants, la résistance grandit. Nous avons récemment vu éclater une vingtaine de mouvements de grèves plus larges. Pendant une grève des ouvriers pétroliers à Zhanaozen, au début de l’année, les travailleurs ont revendiqué la renationalisation de leur entreprise sous contrôle ouvrier. On assiste donc à une radicalisation malgré la répression.
“Ce n’est pas seulement sur le lieu de travail qu’on est passé à l’action, la résistance bouillonne dans les quartiers aussi. Beaucoup de simples travailleurs sont au bord de la faillite. Ils ont été stimulés pour faire des prêts ou prendre des hypothèques, qu’ils ne savent plus rembourser aujourd’hui. Quand les banques ont des problèmes, le gouvernement offre des garanties mais quand ce sont de simples travailleurs, ils ne reçoivent qu’une féroce répression contre leurs protestations.
“De cette croissance de la résistance est né le mouvement ‘‘Kazakhstan 2012’’, dans lequel les membres de “Résistance Socialiste”, l’organisation-sœur du PSL, jouent un rôle important. ‘‘Kazakhstan 2012’’ essaye de lier les différentes résistances et de promouvoir l’idée de syndicats indépendants. Ils sont à l’avant plan de l’organisation des travailleurs et des pauvres contre le régime, ce qui leur attire pas mal de violence et de répression. La solidarité internationale sera une part importante de la lutte pour le socialisme au Kazakhstan. »