120e anniversaire de la fondation du POB
Pour le centenaire de sa création, le slogan mis en avant par le PS était "100 ans de socialisme". 20 ans plus tard, les dirigeants du PS ne jugent plus utile de faire référence au socialisme, et parlent de "120 ans de progrès social"… Cela pourrait être vu comme la parfaite confirmation de la thèse selon laquelle il fut un temps où les intérêts de la classe ouvrière étaient réellement défendus par la social-démocratie. Rien n’est pourtant moins certain.
Nicolas Croes
La création d’un parti ouvrier était un pas en avant, mais la direction sociale-démocrate fut d’emblée gênée par la référence au socialisme. On préféra dès lors parler de Parti Ouvrier Belge, "ouvrier" étant moins contraignant que le terme de "socialiste", qui, beaucoup plus qu’aujourd’hui, faisait directement référence à un changement radical de la société: d’un système de production géré pour et par une infime minorité d’exploiteurs vers une gestion collective des moyens de production dans l’intérêt de tous.
Fossé entre le programme minimum et l’objectif du socialisme
Le choix du nom reflète d’ailleurs bien l’orientation suivie par la social-démocratie. Le congrès de fondation du POB fut un rassemblement de groupes hétéroclites, et il n’y eut aucune confrontation programmatique, les différentes revendications avancées furent donc extrêmement basiques. Le futur Parti Socialiste se développa uniquement autour de projets compatibles avec la "démocratie" bour-geoise, tels que le suffrage universel et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Et de fait, il n’y eut jamais vraiment de réflexions sur la future société socialiste, même si tout un tas de problème se voyaient relégués à cet avenir dont les dirigeants ne voulaient pas parler. Les travailleuses, par exemple, n’eurent pendant longtemps comme unique réponse à leurs problèmes que l’assurance que l’émancipation des femmes se ferait naturellement sous le socialisme. Quant à savoir comment et que faire en attendant…
De plus, le mouvement ouvrier ne fut jamais vu par la direction du POB comme autre chose qu’un outil qu’il fallait contrôler. Jamais il ne fut question de donner un appui à la légitime révolte des travailleurs, et lorsqu’un an à peine après sa fondation éclatèrent les grèves spontanées de 1886, le POB déclara qu’elles étaient "prématurées" et qu’il ne fallait pas les supporter.
Mais le parti se renforça, étant à l’époque la seule organisation politique ouvrière en Belgique, et son discours prôna de plus en plus clairement l’entrée au gouverne-ment, l’entente avec les libéraux, et en définitive l’hostilité envers la lutte des classes.
Soutien du POB à la guerre impérialiste
Arriva alors la première guerre mondiale. Tout naturellement, à l’instar de la quasi-totalité de ses organisations sœurs à l’étranger, la social-démocratie belge se rangea derrière sa bourgeoisie nationale. Au nom du patriotisme, le POB entra dans un gouvernement bourgeois (avec catholiques et libéraux) et appela les ouvriers belges à tirer sur leurs frères allemands. Pourtant, quelques mois plus tôt, promesse avait été faite d’éviter à tout prix une guerre qui ne servait que les intérêts des capitalistes. Mais que valent l’internationalisme et la solidarité face à cette entrée au gouvernement tant désirée et au nom de laquelle toute la politique sociale-démocrate avait été subordonnée…
A tel point d’ailleurs qu’Emile Vandervelde, futur président du POB, se rendit en Russie en 1917 afin d’exhorter les soldats russes à bout de souffle à continuer le combat plutôt que de penser à la révolution socialiste. Il dut pourtant les remercier d’avoir accordé à ses paroles leur juste valeur, car c’est avant tout grâce à la révolution russe et à la vague révolutionnaire qui déferla ensuite en Europe que le suffrage universel fut appliqué en Belgique. Suffrage universel qui profita au POB, mais fut utilisé par la bourgeoisie pour évacuer la pression née de l’émancipation des travailleurs russes. Les capitalistes avaient grand peur d’une classe ouvrière en mouvement. Même si le Parti Ouvrier Belge pouvait être dépassé par sa base, ses dirigeants étaient fort utiles pour canaliser et annihiler la colère ouvrière. Il faut dire que les ouvriers commençaient à sympathiser avec les soldats allemands, et défilaient ensemble, le drapeau rouge remplaçant ceux du capitalisme allemand ou belge.
Participation à des gouvernements bourgeois
Les succès électoraux qui suivirent le suffrage universel amenèrent la social-démocratie à participer frénétiquement aux différents cabinets ministériels, même si presque aucun espace n’existait pour des réformes. Réfractaire à toute offensive de la classe ouvrière, le POB fut totalement désarmé quand survint la crise des années trente, quand la bourgeoisie jugea qu’elle ne pouvait plus se permettre de "faire joujoux". Revenu dans l’opposition, le parti se redynamisa quelque peu, et Henri de Man présenta en 1933 son célèbre Plan du Travail. Celui-ci visait à renforcer le rôle de l’Etat bourgeois dans l’économie la nationalisation de banques et d’industries, et prévoyait également une réduction du temps de travail et une augmentation des salaires. Ce plan n’était qu’un aménagement du capitalisme, mais il souleva un véritable enthousiasme et des mobilisations massives. Elles permirent au POB de revenir aux affaires en 1935, à l’intérieur d’un cabinet de coalition avec les catholiques. Prisonnier de ses habitudes et de ses dirigeants, le POB "oublia" le Plan, et mena au gouvernement une politique au strict service de la bourgeoisie. Elle ne l’oublia pas, et récompensa le parti en l’acceptant dans tous ses gouvernements jusqu’en 1940.
Le POB, dissout au début de la Deuxième Guerre mondiale, res-surgit en 1945 sous la forme du Parti Socialiste Belge, qui devait, en 1978, se scinder sur base linguistique. Commença alors une période d’avancées sociales: devant le prestige et l’influence de l’Union Soviétique, face à une reprise économique visible par tous, il était plus sage de lâcher quelques concessions aux ouvriers.
Le PSB ne lutta pour des réformes que dans le seul but de ne pas être dépassé par sa base, et n’hésita jamais à appliquer lui-même des mesures qu’il avait dit vouloir combattre. A titre d’exemple, la loi unique qui mena aux grèves de 60-61 fut morcelée et appliquée sous la législature suivante par le PSB que ces grèves avaient porté au pouvoir. Et quand la crise revint, le rôle du PSB, puis du PS et du SP, fut de plus en plus clairement de faire avaler aux travailleurs les plans d’austérité de la bourgeoisie.
Mais l’activité du PS ne s’est pas limitée à cela. Hésitant à défendre les intérêts des travailleurs, la social-démocratie fut fort prompte à renforcer l’appareil répressif de l’Etat bourgeois, et ne souffrit d’aucun état d’âme en envoyant gendarmerie et matraques contre les ouvriers et les étudiants. Il est vrai que ce ne fut jamais le PS, mais bien ses ministres de l’Intérieur, bourgmestres, … En définitive, ces élus pour lesquels la social-démocratie s’est exclusivement battue, de tous temps, arguant que l’on ne pouvait changer la situation que par ce biais, ne furent et ne sont que des freins aux luttes des travailleurs.
Construire un nouveau parti des travailleurs
Nos acquis ne furent aucunement l’œuvre des mandataires du PS ou de ses ancêtres, mais bien des luttes des travailleurs, des mobilisations. Contrairement aux sociaux-démocrates, nous pensons que la politique se mène prioritairement dans la rue, dans les usines, bureaux, écoles… Nous sommes pour une démocratie ouvrière où l’ensemble de la population est associée aux décisions économiques et politiques et où les délégués sont élus et révocables à tout moment. Si pour Di Rupo la lutte s’effectue en siégeant au conseil d’administration de Dexia, pour nous, elle s’effectue à l’exemple de la Commune de Paris, de la Révolution russe, espagnole, de celle dite "des œillets" au Portugal, de Mai 68, …
Un parti ayant la volonté de défendre les travailleurs doit être sous leur contrôle, et ne peut qu’être le relais politique de leurs luttes. Jusqu’à la fin des années 80′, la base ouvrière du PS pouvait encore remplir ce rôle, mais le PS possède dorénavant plus de liens avec l’Etat bourgeois ou les entreprises qu’avec la classe ouvrière, ce qui laisse l’opportunité à la direction de suivre de plus en plus facilement les caprices de la bourgeoisie. Le PS ne peut pas être un relais politique des luttes des travailleurs, il ne peut que les étouffer par peur de perdre son pouvoir. C’est pourquoi nous appelons depuis mi-90′ à la création d’un nouveau parti des travailleurs.
L’ouverture officielle du 120e anniversaire de la social-démocratie belge se tiendra les 18 et 19 mars prochain. Mais à cette date, ceux qui veulent réellement parler du socialisme seront dans la rue, à l’occasion de la Marche des Jeunes pour l’Emploi.