[DOSSIER] Face aux programmes d’austérité: Unité des travailleurs et résistance européenne!

On trouve le mot ‘‘austérité’’ dans la bouche de tous les politiciens traditionnels en Europe, et nous en entendrons parler dès qu’un gouvernement sera formé chez nous. Ce n’est pas neuf, mais c’est aujourd’hui un véritable leitmotiv politique. D’ailleurs, ils nous expliquent qu’il n’y a pas d’autre solution : ‘‘C’est ça ou la faillite de l’Etat.’’ N’y a-t-il vraiment aucune alternative ?

Par Baptiste (Wavre)

C’est le gouvernement grec qui a ouvert le bal : 30 milliards d’euros à ‘‘trouver’’ d’ici 3 ans. Traduisez: prendre 30 milliard des poches des travailleurs sur les 3 années à venir. Car c’est de cela qu’il s’agit : diminution des investissements publics et privatisations, baisse des primes accordées aux fonctionnaires, baisse des pensions, recul de cinq ans (de 60 à 65 ans) de l’âge légal de départ à la retraite, augmentation de deux points de la TVA et facilités de licenciement pour les patrons. A peine élu, le gouvernement social-démocrate (Pasok) de Papandréou a franchement écourté sa lune de miel post-électorale. Enfin, il se défend en disant qu’il ne voulait pas réaliser ces attaques contre les conditions de vie et de travail, mais qu’il a été forcé par ‘‘les marchés’’ et l’Union Européenne. Cette dernière assurait pourtant quelques mois plus tôt avoir ‘‘sauvé l’économie’’ grâce aux plans de relance. Comment peut-on expliquer un tel tournant ?

D’où qu’ils soient, les capitalistes n’ont aucun avenir décent à proposer aux jeunes et aux travailleurs. D’où qu’ils soient, les jeunes et les travailleurs eux ont les mêmes intérêts à défendre. L’unité des travailleurs ne concerne pas seulement les travailleurs des différents secteurs dans un pays, mais concerne aussi l’ensemble des travailleurs des différentes communautés, pays etc.

Un plan d’action est nécessaire

Les explosions spontanées et l’absence d’une direction claire avec un plan d’action et un programme combatif ont caractérisé les protestations de masse de ces derniers mois. Cela reflète l’incapacité des directions syndicales nationales à assumer leur rôle de direction de la colère du mouvement ouvrier, en Grèce comme ailleurs en Europe. Il est à ce titre remarquable qu’un grand nombre des dernières protestations de masse et des différentes actions sont le résultat d’une grande pression de la base, sans initiative des dirigeants syndicaux nationaux. Ces derniers ne semblent ainsi vouloir que des actions "symboliques", au lieu de préparer une lutte sérieuse pour défendre nos intérêts. Une telle logique est néfaste et tend à faire baisser la pression et à freiner le développement d’un mouvement ouvrier combatif.

Pourtant nous avons vu dans la dernière période plusieurs exemples qui démontrent clairement qu’une lutte menée avec une direction combative peut apporter la victoire. En Belgique, il suffit de penser aux luttes à Bayer et à InBev notamment, où sans même recourir à la grève, un syndicalisme de lutte a permis de faire reculer complètement la direction sur ses plans d’assainissements ; contrairement à une logique de concertation qui ne permet au mieux qu’un aménagement de ces assainissements. Néanmoins, lutter entreprise par entreprise comporte également des limites pour la défense des acquis sociaux à une échelle plus large ; il est évident que ça ne peut suffire à mettre en échec les politiques d’austérité des gouvernements. Pour le réaliser, c’est d’un plan d’action national dont nous avons besoin. C’est-à-dire un plan où par exemple une grève générale de 24h ne serait pas une simple démonstration de force sans suite mais une étape dans l’organisation des travailleurs sur leur lieu de travail autour d’un programme, d’un plan qui vise à construire un rapport de force sur base de la colère présente, avec une alternative claire et combative aux politiques d’austérité.

Le mouvement ouvrier doit prendre sa lutte en main !

Les directions syndicales ne semblent pas aller dans le sens d’un tel plan d’action. Si ces dirigeants sont pour le moins passifs à cet égard, c’est en conséquence de leur acceptation de la logique du système, ils ne voient pas d’alternative à opposer au capitalisme. C’est là aussi le résultat de décennies de néolibéralisme, et les liens entretenus avec les partis traditionnels (FGTB/ABVV-PS/SPa, CSC/LBC-CDH/CD&V) illustrent d’ailleurs cette acceptation. La solution ne réside dès lors pas (seulement) dans la dénonciation des directions syndicales actuelles et/ou leur remplacement. Pour ne pas tomber dans le même travers, il faut assurer un relais politique au syndicalisme de lutte, qui mette clairement en avant une alternative socialiste au capitalisme. Avec un tel prolongement politique indépendant des partis traditionnels, nous pouvons faire des pas en avant et faire pression dans la mise en place d’un plan d’action, et non plus continuer à attendre que le sommet syndical veuille bien le comprendre.

Des victoires ne peuvent être obtenues que par la lutte, mais ces victoires resteront toujours partielles sous le capitalisme. L’actualité démontre que ce système cherchera toujours à revenir sur les acquis sociaux car son fonctionnement même (la recherche de la rentabilité maximale, la compétitivité, la soif de profits à n’importe quel prix) est en contradiction avec ce dont ont besoin les travailleurs et leur famille : des conditions de vie et de travail décentes. C’est pourquoi le PSL (et l’internationale dont nous faisons partie, le Comité pour une Internationale Ouvrière – CIO) lutte pour le socialisme, un système où les richesses sont produites et réparties en fonction des besoins (et non des profits) à travers une économie démocratiquement planifiée.

Ce tournant n’en est en fait pas réellement un, tout comme ils n’ont ni mis fin à la crise et ni sauvé le capitalisme avec les plans de relance. Certes, ces plans ont eu un effet : certaines faillites ont pu être évitées, certains secteurs économiques ont été quelque peu stimulés, etc. Mais de la même manière que casser un thermomètre ne fait pas baisser la fièvre d’un malade, injecter de l’argent dans un système économique en crise profonde ne résout pas ses problèmes. Cela marque juste une pause, et ajoute un élément compliquant : qui va payer pour tous ces plans de relance ? Que ce soit des gouvernements de droite (Angleterre, France, Italie), chrétiens-démocrates (Allemagne) ou soi-disant ‘socialistes’ (Grèce, Espagne, Portugal), tous sont d’accord: ce sera aux travailleurs et à leur famille de raquer une deuxième fois pour la crise. Car fondamentalement, tous ces politiciens sont gagnés au capitalisme et leur programme n’a pour but que de « satisfaire les demandes du marché », c’est à dire les demandes des traders, spéculateurs, et capitalistes qui n’ont pas d’autre intérêt que d’accroître leurs parts de profits. Si la Grèce a ouvert le bal, ce n’est que parce qu’il s’agissait du maillon faible de la zone euro, et il est clair que les travailleurs des autres pays ne seront pas épargnés par les attaques. Ainsi, Angela Merkel veut assainir 80 milliards d’euros d’ici 2014, tandis que la coalition ConDem en Grande-Bretagne compte assainir 7 milliards en un an. Dans des pays comme la Roumanie, les mesures prennent une ampleur hallucinante avec notamment une baisse des pensions de 15% et une baisse des salaires dans le public de 25%. Ainsi, chaque pays a son plan quinquennal de l’austérité, tous accueillis sur un tapis rouge par les fameux ‘‘marchés’’. Le fait même que les différents gouvernements européens appliquent l’austérité démontre à quel point leur campagne idéologique sur le thème ‘‘les grecs sont des paresseux’’ était un concentré d’hypocrisie et n’avait pour but que de diviser les travailleurs entre eux pour mieux régner et mieux tous les traiter de fainéants par la suite.

Durant les derniers mois, lors des divergences entre les gouvernements européens sur le sort à réserver à la Grèce, il ressortait de leur part la crainte d’une contagion d’une faillite grecque à d’autres maillons faibles de la zone euro, comme le Portugal et l’Espagne. En réalité, une autre crainte était très présente parmi les classes dirigeantes: celle de la contagion de la colère et de la lutte contre l’austérité. N’ayant explicitement aucune confiance en une réelle relance de l’économie et aucune perspective d’avenir à proposer aux jeunes et aux travailleurs, le recours à la tactique de diviser pour mieux régner est une nécessité pour elles.

Résistance et riposte !

Ceux qui nous gouvernent ont raison de craindre la colère des masses contre l’austérité. Après 30 années de néolibéralisme et son lot quotidien de précarisation des conditions de vie et de travail, la colère était déjà latente dans la société. Que la politique de ces 30 dernières années aboutisse à une crise avec des millions de pertes d’emplois et une austérité généralisée, c’est largement plus qu’une goutte d’eau dans un vase déjà plein. La Grèce a montré la voie, avec des protestations massives contre les assainissements, suivies par des manifestations importantes notamment au Portugal et en Espagne. Quelques sondages indiquent la température présente parmi les travailleurs en Grèce: à la question ‘‘comment vous sentez-vous ?’’, 91% de la population sondée a répondu ‘‘en colère’’. En outre, il ressort que 81% d’entre eux s’attendent à une explosion sociale dans la prochaine période et 50% ont déclaré qu’ils allaient prendre part à une révolte dans la période à venir. Enfin, 48% de la population est favorable aux nationalisations, et un tiers refuse de payer la dette du pays. Si la période estivale marque une certaine pause sociale après les 6 grèves générales des derniers mois, la détermination de lutter contre les mesures d’austérité reste bien présente, et s’est d’ailleurs illustrée lors de la grève des camionneurs de 6 jours en juillet. Pour le reste, le message est sans équivoque : ‘‘on revient en septembre!’’

Comment est-il possible qu’avec une telle colère et de telles protestations de masses, il n’y ait pas eu une victoire à la clef ? Si de la vapeur peut entraîner un moteur en présence d’un piston, cette vapeur ne sert strictement à rien si elle relâchée dans l’air par une soupape. De la même manière, la colère ne peut amener des victoires que si elle est canalisée et dirigée de manière adéquate, c’est-à-dire si elle a une direction politique combative : c’est exactement ce qui manque dans les protestations de masses contre l’austérité, que ce soit en Grèce ou ailleurs. Des explosions de colère spontanées, non coordonnées, ne permettent pas d’aboutir à une victoire. Ces explosions comportent même le danger d’incidents contre-productifs car cela permettrait au gouvernement d’instrumentaliser ces derniers pour briser la confiance des travailleurs dans leur capacité à obtenir des victoires. Faute d’un véritable plan d’action et d’un programme combatif, la colère ne peut conduire à une victoire réelle, tout au plus à un aménagement de l’austérité avec le danger d’une démoralisation des travailleurs.

29 septembre: Pour une grève générale européenne de 24heures!

L’internationalisme et le CIO

Ci dessus: Joe Higgins, député européen du CIO

Cette force que représente une telle unité des travailleurs, le patronat l’a comprise depuis bien longtemps et s’en méfie terriblement. Ainsi, lors de chaque confrontation sociale, les capitalistes recourent au ‘‘diviser pour mieux régner.’’ Qu’il s’agisse de monter des travailleurs d’une telle entreprise contre une des travailleurs d’une autre, de monter les uns contre les autres les travailleurs de différents secteurs, de différents pays : peu importe, les capitalistes ont un besoin quasi vicéral de casser notre unité.

Si cette politique perdure, c’est hélas parce qu’elle a déjà porté ses fruits, avec le développement par exemple des discriminations dans la société. Aujourd’hui, les classes dirigeantes comptent remettre le couvert en mettant notamment en scène des ‘‘travailleurs grecs fainéants’’ et des ‘‘travailleurs allemands égoïstes.’’ La seule manière pour contrer cette rhétorique et les germes de nationalisme qu’elle comporte, c’est que le mouvement ouvrier occupe le terrain et démontre son unité. Les travailleurs partout en Europe ont les mêmes besoins et ces intérêts ne doivent pas les opposer à d’autres travailleurs mais aux capitalistes et à leurs profits.

Dans ce sens, nous pensons que si un parti révolutionnaire est nécessaire pour la transformation socialiste de la société, ce parti révolutionnaire doit être construit mondialement, au sein d’une internationale : c’est à cette tâche que s’attelle le PSL/LSP au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière. Au mois de juin, nous avons notamment pris part à l’initiative d’une semaine d’action partout en Europe en soutien aux travailleurs grecs, afin de répondre par la solidarité entre travailleurs au ‘‘diviser pour mieux régner’’ des capitalistes.

Nous devons nous opposer à la dictature des marchés et à leur chaos, en défendant une transformation socialiste de la société. Dans ce cadre, le CIO défend la nécessité d’un plan d’action au niveau européen afin de construire un rapport de force vers une journée de grève générale européenne de 24h, dans un premier temps. Nous devons lutter ensemble avec des revendications telles que la nationalisation des secteurs clés de l’économie, sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs afin d’aboutir à une planification socialiste de la production dans une fédération européenne socialiste démocratique. En Belgique, faute de gouvernement, il n’y a pas encore d’agenda d’austérité. Mais si il y a bien quelque chose sur lequel tous les partis autour de la table des négociations sont d’accord, c’est qu’il y aura des économies à réaliser (on a d’abord parlé de 22 milliards d’euros sur 4 ans, maintenant de 25 milliards) et que celles-ci seront ‘‘impopulaires’’. C’est pourquoi nous devons nous préparer à faire de la manifestation européenne du 29 septembre un succès sur le plan de la mobilisation et de saisir cette occasion pour mettre en avant la nécessité d’un plan d’action.

Aujourd’hui, la grève générale est de retour à l’agenda quasi partout en Europe, 6 de ces grèves ont notamment eu lieu en Grèce au cours des derniers mois. Cette ré-émergence marque la nouvelle période de lutte dans laquelle nous rentrons : face à l’ampleur de l’offensive des capitalistes européens, une action décisive pour les mettre en échec pose quasi instinctivement la question d’une grève générale, à l’échelle européenne. De fait, c’est toute la classe ouvrière qui est touchée et qui doit répondre.

Sans forcément que les travailleurs en aient conscience au début, une grève générale illimitée tend à poser la question du pouvoir dans la société : des comités de grèves se mettent en place, des comités de quartier,… les travailleurs se retrouvent à gérer démocratiquement les tâches qui incombent au fonctionnement de la société, le patronat et les capitalistes se retrouvant dans leur plus simple apparat : celui de parasites. S’il n’y a pas forcément la conscience qu’un tel développement est possible au début d’une grève, l’Histoire prouve que la lutte est la meilleure école pour la compréhension du fonctionnement de la société et permet de tirer des conclusions révolutionnaires.

Cette situation est ce que les marxistes appellent une ‘‘situation de double pouvoir’’ car elle met clairement en confrontation les capitalistes et les travailleurs. C’est dans ce sens que Trotsky considère la grève générale comme une des méthodes de lutte les plus révolutionnaires.

Néanmoins, l’Histoire démontre également qu’il n’y a pas d’automatisme entre grève générale et situation de double pouvoir. Une grève générale n’est potentiellement une arme révolutionnaire que si elle est préparée politiquement parmi les travailleurs : c’est le plan d’action basé sur un programme défendant une alternative au capitalisme qui manque à l’heure actuelle. Une des tâches aujourd’hui est ainsi de poser la question de comment organiser la grève générale sur les lieux de travail, à travers des comités démocratiques et avec un programme combatif offrant une alternative au capitalisme.

Enfin, il n’y a pas non plus d’automatisme entre double pouvoir et révolution socialiste. Une grève générale illimitée n’est en elle-même pas suffisante pour les travailleurs pour prendre le pouvoir, c’est là le rôle d’une organisation capable de donner la direction politique et la stratégie la plus juste pour donner l’assaut final contre le capitalisme. Cette organisation, le parti révolutionnaire, c’est ce que nous voulons construire avec le PSL/LSP.

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