Critique : La tragédie de la Révolution chinoise, de Harold Isaacs

La Révolution chinoise de 1925-27 a représenté un des plus splendides et des plus gigantesques mouvements de l’Histoire humaine.

Reléguées au rang de bêtes de somme, les masses chinoises – dirigées par la magnifique classe ouvrière chinoise – se sont rassemblées par millions dans les zones urbaines de Shanghai, du Guangdong, du Wuhan, etc. et ont ébranlé les fondations du féodalisme et des capitalismes chinois et impérialistes dans leur quête de libération et d’une société nouvelle. Jouissant d’une position encore plus favorable que celle qui existait en Russie en Octobre 1917, une révolution victorieuse était entièrement possible…

Par Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

Cependant, un obstacle majeur se dressait sur la voie du triomphe de la révolution, sous la forme des positions erronées recommandées par Staline et par son cercle à l’époque à la tête de l’Internationale Communiste. Ceux-ci étaient en faveur d’une alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie exploitée avec la petite-bourgeoise et les soi-disant ‘‘capitalistes nationaux’’ pour former un ‘‘bloc de quatre classes’’ en Chine.


La tragédie de la Révolution chinoise, par Harold Isaacs

Ce livre a également un intérêt à l’heure actuelle, parce que les problèmes de l’inachèvement de la révolution capitaliste-démocratique – à laquelle ont été confrontés les travailleurs et paysans chinois – sont toujours des obstacles colossaux sur la voie vers une réelle libération dans ces parties du monde qui comprennent deux tiers de l’Humanité. Nous encourageons par conséquent nos lecteurs à l’acheter et à en débattre, dans le but, espérons-le, de comprendre ce qui va se produire dans le monde néocolonial.

Ce livre n’a plus édité en français depuis la fin des années ’60, mais vous pouvez accéder ici à la version en lign en anglais, sur marxists.org.

C’était là la même politique complètement erronée qu’avaient jadis prônés les Menchéviques en Russie, transférée sur le sol chinois. Le livre d’Isaacs démontre brillamment que cette politique a représenté une ‘‘tragédie’’ pour la révolution. Ceci a été depuis lors sans cesse disputé par les apologistes de Staline et du stalinisme. Mais Isaacs leur répond, avec une abondance de faits et de descriptions, que la marche des masses sape complètement leurs arguments et renforce les siens et ceux du révolutionnaire Léon Trotsky, qui avait commenté ces évènements à l’époque.

Mais ce livre est encore bien plus que ça et dépeint à grands coups de plume extrêmement habile le magnifique panorama constitué par l’héroïsme, l’autosacrifice et la détermination de changer le monde affichés par les travailleurs et paysans chinois horriblement exploités.

Cette édition a en outre l’avantage d’apparaître telle qu’elle était parue dans sa version originale, avec une introduction très éclairante de Léon Trotsky, plus tard expurgée de la version ‘‘allégée’’. Au fur et à mesure qu’Isaacs a viré à droite après la mort de Trotsky, il n’a plus permis que la publication de cette version ‘‘allégée’’. Celle-ci était toujours utile et, malgré le changement d’opinion de l’auteur, justifiait toujours l’analyse de la révolution faite par Léon Trotsky.

Mais elle n’était pas aussi efficace que cette version complètement restaurée. Trotsky lui-même avait fait remarquer que ‘‘Le livre d’Isaacs représente une œuvre scientifique du début à la fin. Il est basé sur une étude consciencieuse d’un très grand nombre de sources originales et de matériel additionnel.’’

Il faut ajouter que Trotsky a discuté avec le jeune Isaacs, qui avait 28 ans lorsqu’il a écrit ce livre, et l’a relu ligne après ligne avant sa publication. Malgré qu’Isaacs ait plus tard renié ses idées trotskystes et marxistes, et les idées de Trotsky lui-même, ce livre est néanmoins une démonstration brillante des idées de Trotsky, en particulier concernant la question cruciale de la théorie de la révolution permanente appliquée à la Chine.

Cette théorie consiste à dire que la révolution démocratique-bourgeoise dans ce qui est aujourd’hui le monde néocolonial (réforme agraire approfondie et purge de la société de toutes les relations féodales et semi-féodales, solution de la question nationale, démocratie, élection d’un parlement, etc.) n’est possible que si la classe ouvrière devient la force dirigeante d’une telle révolution. Elle-même n’étant capable de diriger la révolution jusqu’à sa conclusion victorieuse que si elle conduit la paysannerie – et en particulier ses couches inférieures – dans la lutte.

Développement inégal

Le chapitre d’ouverture ‘‘Les Graines de la révolte’’ est un petit chef d’œuvre littéraire qui décrit, à travers la vie des masses chinoises, la loi du ‘‘développement inégal et combiné’’, dont l’essence fait partie intégrante de la théorie de la révolution permanente de Trotsky.

Il commence ainsi: ‘‘A travers les villes et les villages, et sur les terres fatiguées de vastes vallées fluviales qui s’étendent de la mer jusqu’au cœur de l’Asie, ces contradictions et contrastes se multiplient. Ils incarnent la lutte de près d’un demi-milliard de gens pour l’existence et la survie.’’

Il est regrettable que l’auteur se soit plus tard distancé de sa position marxiste-trotskyste. Son fils, Arnold Isaacs, dans sa nouvelle introduction, tente d’en expliquer les raisons. Il concède que son père était entièrement d’accord avec Trotsky lorsqu’il a écrit le livre, mais poursuit en déclarant que ‘‘Sa position sur les convictions sous-jacentes de Trotsky est tout autre chose’’.

Pourtant, le fils d’Isaacs concède que le livre a été écrit par le jeune Isaacs en tant que ‘‘révolutionnaire’’, comme Trotsky l’a noté d’un air approbateur dans son préface, mais que ‘‘son opinion a assez vite changé’’. Treize ans plus tard, toutefois, dans une nouvelle édition allégée – qui ne donnait pas la pleine envergure du livre actuel – ‘‘il n’était plus d’accord avec les principes léninistes fondamentaux que Trotsky avait maintenu jusqu’à sa mort en 1940’’ (Préface par Arnold R. Isaacs).

Le revirement d’Isaacs est expliqué par le fait qu’il n’était pas d’accord avec ‘‘le principe selon lequel une dictature du prolétariat dirigée par un seul parti révolutionnaire devrait exercer un pouvoir exclusif dans un Etat révolutionnaire.’’ C’est une conclusion plutôt erronée, cette position étant faussement attribuée aux trotskystes et aussi aux marxistes actuels.

Un Etat-parti unique en Russie, exerçant la ‘‘dictature du prolétariat’’ (terme qui avait un sens assez différent à l’époque qu’il n’en a aujourd’hui, dans le sens que cela signifiait en réalité la démocratie ouvrière) n’a pas découlé des idées de Trotsky, mais de la situation critique et des difficultés de la Révolution russe.

Comme Trotsky et nous-mêmes l’avons expliqué à de nombreuses reprises, seul un parti fut au départ interdit par les Bolchéviks, celui des Cent Noirs d’extrême-droite. Tous les autres partis – Menchéviks, Socialistes-Révolutionnaires, anarchistes, libéraux, etc. – purent continuer leurs activités tant qu’ils exerçaient leur opposition aux bolchéviks de manière pacifique et démocratique. Ils n’ont été réprimés qu’après que nombre d’entre eux aient recouru à l’insurrection armée contre les Bolchéviks – comme le firent les Socialistes-Révolutionnaires en 1918 – ou qu’ils aient soutenus différents généraux tsaristes ou blancs – comme les Menchéviks.

Plus tard, certains membres de ces partis ont en réalité adhéré à la victoire d’Octobre 1917, mais leurs partis dans leur ensemble se trouvaient au départ de l’autre côté des barricades. Isaacs, comme l’explique son fils dans l’introduction, a par la suite cherché à argumenter le fait que ‘‘l’expérience soviétique nous a enseigné que la contradiction entre l’autoritarisme et le socialisme démocratique est totale. Le monopole du parti unique sur la vie politique, se développant en une oligarchie bureaucratique, est un résultat qui découle clairement de certains fondements du bolchévisme.’’

C’est de nouveau le conte familier selon lequel le stalinisme, l’autoritarisme, a tiré son origine dans le bolchévisme et dans ses méthodes. En réalité, le stalinisme a dû se consolider en détruisant tous les éléments du bolchévisme.

Le bolchévisme

Le parti bolchévique de Lénine était le parti de masse le plus démocratique de l’Histoire. Le stalinisme a dû annihiler ce parti dans un fleuve de sang au cours des terribles purges des années 30. C’est de l’isolement de la Révolution russe qu’a découlé le régime du parti unique, et non des objectifs initiaux du bolchévisme.

L’espoir était que, après la guerre civile, la démocratie des soviets puisse être restaurée. Au lieu de cela, l’isolation de la révolution a mené à la cristallisation d’une caste bureaucratique qui est parvenue, 73 ans après la révolution, à restaurer le capitalisme en Russie.

Ces enjeux, dans tous les cas, ne sont pas la clé de ce livre, celui-ci traitant de la puissante Révolution chinoise des années 1925-27. Les sources principales de ce mouvement prenaient racine – tout comme pour la Révolution russe elle-même, dont se sont inspirées les masses chinoises – dans l’incapacité du capitalisme à faire progresser la société.

Nous recommandons à tous ceux qui sont capables d’acheter ce livre, seuls ou en commun avec d’autres camarades, de le faire. Le fait de lire ce livre permettra en particulier à la jeune génération de pleinement comprendre le caractère de la Révolution de 1925-27.

Cela leur permettra également de voir que les forces impliquées dans la révolution de 1944-49, menée par l’Armée Rouge de Máo Zédōng étaient entièrement différentes de celles qui étaient présentes en 1925-27, qui était une révolution ouvrière classique, laquelle a dirigé la masse de la nation chinoise dans la lutte pour changer la société.

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