Le journaliste britannique Nick Davies a déclaré à propos de son livre “Flat Earth News” (Nouvelles de la terre plate) qu’il avait été choqué par ce qu’il découvrait au fur et à mesure de son travail. Journaliste de longue date, et réputé, il savait déjà depuis longtemps comment les choses se passaient dans l’univers des médias mais, avec ce livre, il a pu analyser le système de mass media de manière bien plus intense.
Par Geert Cool
Nick Davies constate que beaucoup de “tuyaux crevés” arrivent dans les pages d’un journal. Cela signifie qu’il existe des articles considérés comme fiables par tout le monde mais qui, en réalité, sont à côté de la plaque. La presse traditionnelle – tant la télévision que la presse écrite ou internet – se limite de plus en plus à des nouvelles prémâchées dont l’impératif est d’être spectaculaires et simples. Cela s’explique par le développement de l’industrie de l’information au cours de ces dernières années.
Un journal, c’est une entreprise comme une autre et, à ce titre, ça doit rapporter. L’impact des actionnaires des mass media ne s’exprime peut-être pas toujours directement sur la ligne rédactionnelle, mais leur influence dans le processus de production du journal n’a fait que s’accroître. Nick Davies a constaté que le nombre de journalistes a drastiquement diminué. En Grande-Bretagne, on dénombre plus de personnes dans les relations publiques (47.800) que dans le journalisme (45.000). La tâche de ces responsables de relations publiques est d’écrire des articles pour glorifier leur entreprise et le manque de journalistes accroit d’autant ce phénomène, car ces derniers n’ont plus le temps de contrôler par eux-mêmes un article ou une déclaration. Croiser l’information pour en dégager la vérité a cédé la place à l’action des chargés de communication qui, entre 1979 et 1999, ont vu leur nombre être multiplié par douze dans les grandes entreprises.
Marre de la presse traditionnelle?
Lutte Socialiste c’est, chaque mois, une bonne dose d’articles, de rapports, d’analyses,… résolument du côté des travailleurs, et résolument opposés à la désinformation que l’on trouve dans les médias traditionnels. Vous voulez recevoir ce journal chaque mois dans votre boîte aux lettres? N’hésitez pas, prenez un abonnement !
Exagéré, vous croyez? Une recherche consacrée aux articles de la presse de référence britannique a démontrait que dans 60% des cas analysés, les articles ne consistaient principalement – voire même carrément totalement – qu’en du matériel repris d’agences de presse ou d’entreprises. 20% des articles étaient fortement basés sur ce matériel et, pour 8% des articles, la provenance de l’information n’était même pas établie! Seule 12% du matériel était issu des journalistes-mêmes. Et cette recherche ne concernait que les journaux dits ‘‘de référence’’.
Les bureaux de presse prennent de plus en plus de place dans le traitement de l’information mais, là aussi, les articles doivent être livrés à la chaîne avec une préférence pour les articles qui peuvent être vendus facilement et rapidement. Comme on vend aussi bien aux entreprises médiatiques qu’aux autres entreprises, les nouvelles s’y adaptent. Des thèmes comme la lutte des classes sont moins intéressants que les dernières nouvelles du showbiz ou de la Bourse.
Les agences de presse ont un grand pouvoir. Associated Press (AP) est l’une des plus importantes. Elle livre des coupures à 1.700 journaux et 5.000 chaînes télé et radio aux USA. Ailleurs dans le monde, 500 chaînes télé et radio sont aussi ses clients dans 121 pays, de même qu’environ 8.000 autres organes médiatiques. L’agence Reuters, elle, livre à plus de 1.000 journaux différents. Résultat: nous recevons l’information d’une même source, écrite différemment. Chez Reuters, un journaliste doit en moyenne produire cinq articles par jour, les journalistes chassent donc les nouvelles rapides et faciles. D’autre part, les pays où ni AP ni Reuters ne sont présents (ce qui est le cas d’à peu près 40% des pays) apparaissent moins facilement dans les nouvelles. De là provient le manque d’attention pour des sujets tels que la guerre au Congo ou la situation au Soudan. On parle également moins des sujets qui portent à controverse parce qu’il faut vendre à un maximum de personnes, ce qui pousse à harmoniser voire même à anesthésier le contenu.
Nick Davies se réfère encore à une recherche sur les reportages-télé en Grande-Bretagne consacrés au conflit israélo-palestinien. Retranscrits par écrit, les textes faisaient 3.500 signes (lettres et espaces). De ces signes, en moyenne, seulement 17 abordaient l’histoire du conflit. Une enquête parmi l’audience a démontré que de nombreux spectateurs pensaient que c’étaient les Palestiniens qui occupaient les territoires!
Sur internet également, la diversité de l’information tend à diminuer. En 2006, 85% de l’information était issue de brèves tirées d’agences de presse.
Dans la presse écrite, les opinions vont toutes dans la même direction, puisqu’on ne laisse la parole qu’aux porte-paroles et aux soi-disant experts. Les positions divergentes ou considérées comme marginales sont passées sous silence. ‘‘L’omission est la source la plus importante de désinformation’’, selon Nick Davies.
La production de l’information est intrinsèquement liée au système de production, dans lequel l’idéologie dominante est toujours celle de la classe dirigeante. Tant le message que la structure du marché de l’information sont déterminés par le capitalisme et ce marché connaît lui aussi une forte concentration. Nick Davies parle d’une étude américaine sur le nombre d’entreprises dans le secteur des journaux, des revues, de la radio, de la télévision et du cinéma. En 1984, ce marché était dominé par une cinquantaine d’entreprises. En 1987 seulement, il n’en restait plus que 26, plus que 20 en 1993 en plus que 5 en 2004. Le personnel des médias a diminué de 18% entre 1990 et 2004 tandis que la marge moyenne de profit des entreprises médiatiques était de 20,5% en 2004.
Pour répondre au pouvoir de l’industrie de l’information, nous devons nous en prendre au système capitaliste lui-même. Les grandes entreprises et les gouvernements disposent de leurs médias, dans lesquels les journalistes, consciemment ou inconsciemment, sont leurs porte-paroles. Les travailleurs et leurs familles ont besoin de leurs propres médias et doivent se baser sur leurs propres organisations et leur implication dans les actions. Avec Lutte Socialiste, malgré notre manque de moyens, nous voulons agir en tant que porte-parole des travailleurs et populariser des idées abordant la meilleure manière de défendre nos intérêts.
Selon nous, cela fait partie de la lutte pour une société socialiste, une société dans laquelle les travailleurs et leurs familles auraient eux-mêmes en mains les rênes de la société avec un contrôle et une gestion démocratiques des secteurs-clés de l’économie, y compris les médias. Le révolutionnaire russe Léon Trotsky affirmait déjà, il y a 70 ans : ‘‘Les tâches d’un Etat ouvrier ne consistent pas à contrôler l’opinion publique, mais à la libérer du joug du capital. Cela ne peut se faire qu’en plaçant les moyens de production – dont les moyens d’information – dans les mains de la société entière.’’