DOSSIER: Enseignement – Trente années de désinvestissement

Aujourd’hui, c’est la crise: les pertes d’emplois augmentent tous les jours, autant que les attaques contre les salaires de ceux qui travaillent encore. Les années ayant précédé la crise ont l’air d’une époque dorée, mais la situation de villes comme Bruxelles, Anvers et Gand éclaire crûment ces «années dorées». Visiblement, le paiement de la dette dans les années ’80 et ’90 n’a pu être réalisé que combiné à une incroyable négligence de l’infrastructure publique.

Par Anja Deschoemacker

Pénuries et divisions

Déficits en chiffres

Bruxelles : du fait du développement démographique à Bruxelles, dans cinq ans, il manquera 15.000 places, 12.000 dans l’enseignement francophone et 3.000 dans l’enseignement néerlandophone. Entre 2008 et 2020, le nombre de jeunes entre 0 et 14 ans à Bruxelles va augmenter d’à peu près 50.000.

Anvers : un quart des familles ne peuvent pas envoyer leurs enfants dans l’école de leur choix, les écoles ont déjà dû refuser 2.585 enfants. Au cours des deux prochaines décennies, la population des plus jeunes passera de 30.000 à 70.000.

Gand : la moitié des 113 écoles gantoises sont déjà totalement remplies pour la première année maternelle (45% n’ont plus de places, seules 12% disposent encore de plus de 5 places pour les enfants qui débutent la maternelle).

PPP: Profits privés et coûts publics

Dans l’enseignement francophone et néerlandophone, des Partenariats Publics Privés ont été signés pour emprunter 1 milliard d’euros dans les deux cas à destination de l’infrastructure scolaire. Puisque le gouvernement n’a pas suffisamment de moyens, il emprunte au privé qui devient alors responsable du projet, de la construction, du financement et de l’entretien pour une période de 30 ans. Du côté francophone, le milliard emprunté devra à terme être remboursé 2,5 milliards…

Ce principe n’est pas limité à l’enseignement (urbanisme, facilités sportives, bâtiments administratifs,…). A Bruxelles, un récent exemple a fait la une de la presse, celui de la station d’épuration d’Aquiris. En décembre, l’épuration gérée par la multinationale Veolia a foiré et pendant plus de deux semaines les eaux usées de plus d’un million de Bruxellois ont abouti dans un cours d’eau. Pour cette gestion, le gouvernement bruxellois devra payer 1,2 milliard d’euros en 20 ans pour une station qui aura coûté 360 millions d’euros…

Voilà la trame de fond sur laquelle se base la discussion sur le manque de places dans les écoles de plusieurs grandes villes, comme c’est surtout le cas à Bruxelles, Anvers et Gand.

Aujourd’hui, des milliers de familles connaissent l’incertitude de ne pas savoir si leurs enfants trouveront une place. Pour beaucoup, la solution est de perdre une demi-heure à une heure de plus pour aller déposer ses enfants, et la même chose en fin de journée. Il n’est donc pas étonnant que toutes sortes de mécanismes de division commencent à jouer.

A Bruxelles, ce sont des tensions communautaires qu’entraîne cette situation, des parents bruxellois néerlandophones déclarent à la presse se sentir poussés hors de Bruxelles. Les politiciens responsables de l’enseignement flamand à Bruxelles et le ministre de l’Enseignement flamand parlent en guise de «solution» d’augmenter dans les écoles néerlandophones le nombre de places prioritaires pour les enfants néerlandophones. Ce n’est aucunement leur problème si la moitié des élèves de Bruxelles n’ont comme langue maternelle ni le néerlandais, ni le français. Le FDF, de son côté, fulmine contre le fait que, selon le nouveau décret de la Ministre de l’Enseignement francophone Simonet, les jeunes de la périphérie ne feraient pas partie des groupes prioritaires pour l’enseignement secondaire francophone à Bruxelles.

A Anvers et à Gand, le Vlaams Belang et la Lijst Dedecker dénoncent que «notre propre peuple passe en dernier», mais ce ne sont pas les seuls. Le manque de places dans plusieurs écoles serait dû à la priorité accordée aux élèves de milieux défavorisés (avec donc une surreprésentation d’élèves issus des communautés immigrées). L’échevin de l’enseignement à Gand, Rudy Coddens (SP.a) a ainsi dénoncé à propos d’une école: «Cela provient aussi du fait que l’école, qui dans le temps était composée à 70% d’enfants blancs, accueille aujourd’hui surtout des enfants allochtones dans ses classes maternelles. A Gand, on ne peut donner la priorité à des enfants qui ne sont pas pauvres que lorsqu’il y a 57% enfants de milieux pauvres dans l’école en question.»

D’un manque de place relatif avec des tentes devant les portes des écoles à «bonne réputation» ou dans les quartiers peuplés, on est passé maintenant à un manque de place absolu, surtout dans les grandes villes. Ailleurs, le manque de place relatif continue, et cela tant en Wallonie qu’à Bruxelles et en Flandre. Contre ces campings devant les écoles, les différents mécanismes d’inscription se suivent mais la situation est loin d’être résolue car les gouvernements n’accordent jamais plus de moyens. Ils ne font que fixer de nouvelles règles de priorité qui doivent sans cesse être adaptées afin d’endiguer leurs effets pervers.

Depuis le début des années ‘80, il y a eu une politique de désinvestissement dans l’infrastructure de l’enseignement. L’ancien ministre de l’Enseignement flamand Luc Van den Bossche explique que c’était «puisque les pierres ne savent pas manifester, on a coupé là». Pour être honnête, il aurait dû dire qu’on a «surtout coupé là», parce qu’on avait aussi fortement sabré dans les conditions de travail du personnel avec des classes sans cesse plus grandes, etc. et cela partout en Belgique. Cette négligence a pour conséquence que le montant des investissements nécessaire au maintien de l’infrastructure existante est énorme.

Il faut plus de moyens! 7%du PIB pour l’enseignement maintenant!

Après le nouveau décret sur les inscriptions en communauté Française, Pascal Smet promet des changements dans le décret de l’enseignement flamand. Mais un changement de règles ne signifie pas plus de classes! Il faut simplement plus d’argent, et vite! Il n’en faut d’ailleurs pas seulement pour l’enseignement maternel et primaire – la pénurie d’aujourd’hui au niveau de l’accueil des enfants dans presque toutes les villes de Belgique se répercute à tous les niveaux d’enseignement suivants. La surprise actuelle qu’éprouvent les politiciens par rapport à la situation ne fait que démontrer à quel point ils continuent à négliger ce service essentiel – les enfants qui ne trouvent pas de place aujourd’hui sont nés il y a plusieurs années!

Depuis des années, on sait très bien qu’il y aura des problèmes croissants dans l’enseignement. La politique d’austérité a conduit à une sélection brutale – selon l’enquête PISA, tant l’enseignement francophone que néerlandophone se trouvent parmi les champions de l’inégalité sociale. Le fait d’avoir des classes trop grandes à presque tous les niveaux de l’enseignement assure que seuls les meilleurs élèves et ceux qui peuvent avoir le plus de soutien des parents ont des chances réelles de pouvoir avoir un enseignement général et un accès aux professions les mieux payées. La pression sur les enfants pour qu’ils réussissent et la pression sur les parents afin de mettre tout en œuvre pour cela – certaines écoles primaires allant même jusqu’à offrir des cours privés payants pour les enfants – augmente tous les jours.

Beaucoup de mères travaillent alors moins parce que leurs enfants «ont besoin de plus d’accompagnement». Elles payent individuellement le désinvestissement public avec leurs salaires et leurs futures pensions, qui seront revues à la baisse en conséquence.

Dans le passé, la classe ouvrière s’est durement battue pour imposer l’enseignement à tous. Le patronat a toutefois submergé de tâches cet enseignement pour obtenir des travailleurs «tout faits». En même temps, ce patronat a limité au strict minimum les moyens consacrés à son fonctionnement. Un simple travailleur met la moitié de son salaire brut à disposition de la société (pour l’enseignement, les services publics, la sécurité sociale,…) mais de grosses entreprises payent un impôt sur leurs profits de moins de 10%.

Si nous ne parvenons pas à changer tout cela par la lutte, la situation dans l’enseignement va continuer à pourrir – tout comme dans les transports publics, le maintien des routes, les services comme les maisons de repos et l’accueil des jeunes,… Pour cette lutte, nous ne pouvons pas compter sur les partis actuellement représentés au Parlement. Il est plus que jamais nécessaire de créer un nouveau parti des travailleurs, qui prenne sur lui de façon résolue la défense des travailleurs et de leurs familles, pour nous et pour nos enfants

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Première page de Lutte Socialiste