La leçon de football d’Abbas Bayat

Dans une émission de « Studio 1 » sur la RTBF, Abbas Bayat, président du Sporting Charleroi, nous a donné une bonne leçon de football. Non content d’avoir traité de « clown » le chroniqueur de l’émission Stéphane Pauwels après que celui-ci ait dressé le bilan sportif peu reluisant du club depuis l’arrivée des Bayat à sa tête il y a 10 ans, l’homme d’affaires s’en est allé d’une petite explication de la manière dont un club de football, et toute entreprise privée en général, doit être géré. S’en est suivi une vague de protestations de la part, surtout, des supporters, pour lesquels ces dernières déclarations de Bayat sont celles de trop.

Par Stéphane Delcros

Le businessman, également propriétaire de plusieurs marques de boissons, était déjà très critiqué par les supporters pour sa manière de prendre seul des décisions dans des domaines où il n’excelle certainement pas. Et Bayat de clarifier tout cela en direct lors de l’émission: « quelqu’un qui est président, le boss, il peut dire à n’importe qui ce qu’il doit faire en tant qu’employé. (…) La démocratie n’existe pas dans les sociétés privées! » Il dira encore, concernant l’entraineur Tommy Craig, resté muet à l’interview d’après-match alors que Bayat venait de l’engueuler pendant le match: « C’est moi qui signe les chèques en fin de mois. Et quand j’ai envie de dire quelque chose à mes employés, j’en ai le droit, non? » Rien à redire. Et il n’a pourtant pas fondamentalement tort: c’est effectivement comme ça que fonctionnent les entreprises privées. Et les clubs de football – et de sport en général – obéissent également à cette règle: qui amène l’argent prend les décisions. Abbas Bayat le fait certes un peu plus brutalement que d’autres, mais c’est en dernière instance ce qu’il se passe dans tous les clubs professionnels, de même que dans certains amateurs.

Dans une interview au magazine Guido en 2004, le président expliquait sa manière de fonctionner dans le monde des entreprises : « Nous sommes à l’affût des entreprises qui ne sont pas très bien dirigées ou qui ont trop peu de capitaux. Nous les développons, nous augmentons leur chiffre d’affaires, nous les rendons rentables, pour ensuite les revendre. Nous ne sommes pas une énorme multinationale, nous n’avons pas besoin d’un retour direct sur nos investissements. Acheter bon marché, revendre plus cher. Nous avons fait l’acquisition de Looza avec un chiffre d’affaires de 500 millions d’anciens francs belges. Lors de la vente, cinq années plus tard, le chiffre d’affaires s’élevait à 3 milliards de francs. »

Les récentes déclarations en ont fait évidemment bondir plus d’un. Les supporters, tout d’abord, qui en ont marre de l’arrogance et de l’attitude dictatoriale du président du sporting. « Abbas Bayat, casse-toi! » criaient des supporters en manif avant le match suivant l’émission de Studio 1. Il faut dire que le grand argentier des Zèbres avait parlé d’eux comme étant « une poignée de fous furieux » qui ne représentent « que 5% » de la totalité des supporters. Cette poignée de supporters en colère était pourtant quasi majoritaire – et avait probablement le soutien d’une bonne partie du public restant – au match précédent à brandir des pancartes contre Bayat, dans un stade tristement presque vide.

Le capitalisme pervertit le football

Le monde du football est de plus en plus soumis aux lois du marché. Mais cette évolution est inhérente au système capitaliste. L’immense popularité de ce sport attire les investisseurs désireux d’augmenter leurs profits – et/ou leur notoriété – en mettant temporairement à disposition une partie de leur capital selon leurs conditions, avec les conséquences que l’on connait beaucoup trop : course à l’achat de joueurs étrangers freinant le développement de joueurs locaux ; course à l’achat de stars pour parfois assurer des recettes en marketing plus que des résultats sportifs ; cotation en bourse des grands clubs, l’objectif principal devenant la fructification de la valeur de l’action ; trafic de jeunes joueurs étrangers laissés sur le trottoir s’ils ne répondent finalement pas aux attentes ;… et, bien sûr, faillites de clubs, comme le récent épisode de l’Excelsior Mouscron, qui ne tient évidemment nullement compte ni des joueurs, ni des employés, ni des supporters.

On ne peut pas laisser quelques capitalistes décider de l’avenir des clubs de football belges, ni quelques milliardaires décider de l’avenir du football mondial. Abbas Bayat devrait-il avoir les pleins pouvoirs chez les Zèbres sous prétexte qu’il a sauvé le club de la faillite en le reprenant il y a 10 ans? Pas question! Tout comme il est nécessaire que les travailleurs ne laissent plus les rennes des entreprises à des actionnaires et managers soucieux de faire du profit, il est plus que temps de donner le contrôle de la gestion des clubs sportifs aux joueurs, employés, supporters et habitants des quartiers des stades !

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