Quatre heures durant, des jeunes ont conflué par milliers vers le stade du Gigantinho ( "Petit Géant" ) sous une chaleur estivale étouffante. La file s’étire aussi loin que l’oeil peut voir, son parcours tracé pour tirer avantage du moindre point d’ombre existant sur le côté: sous des arbres, des auvents de magasin, des portes… Et à mesure que l’heure tourne, on sent le suspense monter.
Kevin Simpson
Car ces milliers de gens sont venus pour voir Hugo Chavez, Président du Vénézuela, parler de la rébellion contre le néo-libéralisme et l’impérialisme des USA. Au contraire de la conférence donnée par Lula, un peu plus tôt dans la semaine, où les partisans du PT furent amenés, tous frais payés, ceux qui sont venus ici l’ont fait de leur propre chef, et ce sont des jeunes.
Et parlant à ceux qui sont venus écouter, on devine bien que la majorité voulait entendre parler de la révolution : une alternative radicale ( mais sans réelle clarté sur comment elle sera réalisée ) pour la lutte contre la brutalité que le capitalisme amène en Amérique Latine.
Nouvelle generation
Beaucoup de ces jeunes font partie de la nouvelle génération de militants brésiliens ( et sud-américains ) qui est en train de se former. Ils ont rompu avec toute illusion qu’ils auraient pu avoir concernant Lula et le capitalisme ; ils sont anti-capitalistes et anti-guerre, comme le sont beaucoup de leur génération sur d’autres continents… Mais il y a une différence importante : ils sont passés à travers l’expérience de ce qui a été une rébellion continentale dans les dernières années contre le néo-libéralisme. Dans certains pays, ce mouvement a mis un terme aux privatisations en cours, et engrangé des mouvements d’insurrection massifs venant de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre.
Et c’est ainsi qu’ils sont entrés en lutte, pas seulement avec de la confiance, de l’énergie et de la vitalité, mais pour une importante fraction d’entre eux, avec une soif d’idées révolutionnaires et socialistes, et un niveau politique développé.
La conférence de Hugo Chávez qui a eu lieu le 30 janvier était peut-être la conférence la plus importante du FSM. Elle était financée par les dirigeants du CUT ( les chefs de la Fédération des Syndicats brésilienne, corrompue et fort à droite ) et par le Movimento dos Trabalhadores Sem Terra ( MST : la plus grande des organisations des paysans sans-terre au Brésil, bien qu’elle soutienne généralement le gouvernement de Lula, tout en critiquant certaines de ses politiques).
Hostilité amère
Cette conférence suivait le discours de Lula, ce qui a encore plus polarisé politiquement les participants au Forum Social. Il était évident que les dirigeants du CUT, surtout, voulaient utiliser l’apparition de Chávez pour tenter de renverser l’hostilité que la plupart des syndiqués et des jeunes radicaux leurs porte. C’est pour cela que le président du CUT était prévu pour faire un discours aux côtés de Chávez, espérant qu’un peu de l’autorité du Président vénézuélien pourrait lui être transmise. Le Gouverneur de l’état de Paraná, Roberto Requião, un partisan de Lula, était aussi invité à parler.
Des membres du MST présentaient l’événement, mais il était clair qu’il avaient pris en compte le type de public, et étaient conscients que certains des invités pourraient recevoir un mauvais accueil. Et donc, à partir du moment où les gens commencèrent à remplir les sièges, les présentateurs du MST menèrent le jeu avec des slogans révolutionnaires et socialistes.
La conférence qui se tint au Gigantinho représentait en microcosme la politique brésilienne d’aujourd’hui : une grande polarisation entre ceux qui gardent encore des illusions sur Lula ( encouragés par les dirigeants syndicaux, la bureaucratie du PT et les ONGs ), et une majorité qui se sent absolument trahie par Lula et s’ est radicalisée avec les événements récents sur le continent.
Quand tous les gradins étaient remplis, d’énormes drapeaux rouges flottaient un peu partout. Un gros groupe de partisans du PSOL prit le côté gauche du stade et commença à chanter des slogans anti-Lula et anti-impérialistes. Et quand les présentateurs lancèrent "Brésil, Vénézuela, Amérique Centrale, la lutte socialiste est internationale", et suivirent par "A bas l’impérialisme, longue vie au socialisme", l’assemblée entière éclata dans un tonnerre approbatif, alors qu’une forme d’électricité politique remplissait l’air et que de nombreuses "olas" étaient lancées par la foule. Cette réponse montre bien comment dans d’autre parties du monde, l’ombre laissée par la chute du Stalinisme parmi la mase de la population, et l’effet qu’elle a eu sur la conscience populaire, sera complètement évacuée par le résultat des luttes massives qui se développeront contre le néo-libéralisme.
Cependant, la nature radicale de la plupart de la foule devint vraiment évidente pour tout le monde quand un petit groupe de Jeunesse Socialiste ( la section des jeunes du Parti Communiste du Brésil, PCdoB, qui font partie du gouvernement PT et sont perçus comme la "police de la pensée" de Lula ) commença à chanter des slogans pro-Lula et à agiter les drapeaux de leur parti.
En quelques secondes, une colère bouillante et une hostilité terrible remplit l’air, en même temps que des milliers de gens criaient qu’on les expulse. Le chant s’élevait "Pelego, pelego, pelego", un pelego étant une couverture épaisse que l’on place sous la selle d’un cheval pour mieux le contrôler. Ce terme est utilisé par les travailleurs brésiliens pour décrire les syndicats "jaunes" dont le rôle est de servir d’instruments de contrôle par le patronat.
Un mur de son accueille l’arivée de Chávez sur la scène. Mais la colère explose encore une fois parmi le public quand le Président du CUT, Luis Marinho, commença à parler. Le CUT est perçu comme un complice de Lula dans sa politique d’attaques sur les droits des travailleurs et sur l’éducation, à travers la législation de réforme syndicale et la réforme sur l’éducation.
Quand Marinho critiqua le public, qui selon lui s’ attaquait à ceux qui sont contre les privatisations et qui fraternisent avec le mouvement ouvrier qui se bat contre les patrons, sa voix fut noyée par les huements de la presque totalité des quinze mille spectateurs. Il ne reçut aucun répit, malgré son rappel à ceux qui écoutaient que le CUT ést la seule fédération syndicale qui a protesté contre la tentative de coup d’état contre Chávez en 2002. Pour ceux qui venaient d’en-dehors de l’Amérique Latine, voir un bureaucrate d’une telle fédération syndicale se faire accueillir avec une tele hostilité était quelque chose de jamais-vu.
Le seul autre moment où le public fut presque entièrement à l’unisson dans les slogans fut quand la délégation du PSOL lança ses slogans contre les réformes de l’éducation et des droits syndicaux proposées par le gouvernement Lula.
Il sembla que Marinho termina son discours plus tôt que prévu, et retourna à la sécurité relative de son siège à côté de Chávez. L’ex-Gouverneur de l’état du Rio Grande do Sul, et ministre actuel dans le gouvernement Lula, Olivio Dutra, eut droit à un traitement un peu meilleur parce que ses compliments constants envers Chávez le protégeait partiellement de cette animosité que Marinho venait de reçevoir, et aussi parce qu’il est vu comme étant plus à gauche que les autres. Le Gouverneur du Paraná n’essaya même pas de parler au public.
L’atmosphère changea encore du tout au tout quand Chávez entama son discours, vu que le public attendait impatiamment le message de lutte qu’il allait donner. Sans nul doute, Chávez est une figure charismatique et parle avec l’autorité de quelqu’un qui a un soutien massif de la plupart des organisations de travailleurs, des pauvres des villes et de la petite paysannerie du Vénézuela. Par conséquent quand il dit pendant son discours "Je ne suis pas ici en tant que Président du Vénézuela. Je ne me sens pas Président. Je suis seulement Président à cause d’un concours de circonstances particulières. Je suis Hugo Chávez et je suis un militant et un révolutionnaire. Parce que pour rompre avec l’hégémonie du capitalisme et celle des oligarchies, le seul moyen est la révolution", la foule rugit d’applaudissements. Il parle aussi avec le langage de la classe ouvrière, sans peur d’attaquer l’impérialisme américain devant une telle audience.
Toutefois, Chávez suit tous les autres politiciens populistes, se pliant au public devant lui en prenant et mélangeant un peu toutes les formes d’idéologies politiques pour se présenter comme un « mélange » devant tout le monde.
Pendant la première partie de son discours, il mentionna la plupart des rébellions contre le colonialisme et l’impérialisme sur le continent sud-américain, des guérillas des peuples inidgènes du 16ème siècle, jusqu’à Fidel Castro. Il répéta même quelques commentaires sur Jésus-Christ, qui selon lui, fut le plus grand révolutionaire de tous les temps.
Il insita sur le combat des continents du Sud contre le Nord riche. Malheureusement, il ne posa pas cette question dans un contexte de lutte de classe internationale, et cita le travail du groupe des nations non-alignées dans les années 60 et 70 comme un exemple de ce qui pourrait être organisé au sein des nations d’Amérique du Sud à l’heure actuelle.
Durant cette partie de ses commentaires, il cita Mao, disant "Il est important dans la lutte de connaître ses amis et ses ennemis". Les membres de Socialismo Revolucionario ( la section brésilienne du CWI ) ont expliqué après la conférence que ceci était une critique implicite du public qui avait attaqué le chef du CUT. Ce qui est important est que même Chávez n’était pas préparé à faire cette critique de manière explicite.
La dernière partie du discours de Chávez fut peut-être son intervention la plus radicale face à un public de ce type. Mais tout militant qui réfléchit par après à ces commentaires réalisera que parmi tous les points valides de Chávez, les parties radicales de son discours apparaissaient enrober les commentaires beaucoup plus douteux qu’il exprima.
Ses conclusions sur les effets de la chute du Stalinisme étaient à leur base identique à ceux que les marxistes ont tirées depuis la chute du Mur, et il lança un commentaire passionné sur le réchauffement climatique.
Il continua jusqu’à citer Trotsky, disant que le coup d’état envers lui illustrait bien le point mentionné par ce chef de la Révolution Russe : "chaque révolution a besoin du fouet de la contre-révolution". Toutefois, ceci n’est pas la fin de la question. Car Hugo Chávez a fait face à au moins trois sérieuses tentatives de le renverser, qui ont été contrées par les masses. Mais tant que la révolution n’est pas amenée jusqu’à sa conclusion par l’adoption d’un régime socialiste et le renversement du capitalisme, la contre-révolution frappera à nouveau, et vaincra si le capitalisme n’est pas mis à bas.
Mais il parla aussi de sa relation très proche avec le gouvernement chinois et le colonel Kadafi, et félicita Poutine pour sa résistance à l’impérialisme américain. Dans une des parties les plus importantes de son discours, il expliqua qu’il n’y a seulement deux alternatives : capitalisme et socialisme. Le capitalisme peut seulement être transformé par un socialisme véritable: une société juste et équitable, mais cela ne peut être réalisé que par la démocratie. Mais nous devons clarifier ce que pour nous signifie la démocratie, et ce n’est pas celle que pratique Bush".
Les derniers commentaires de Chávez montrèrent une tentative d’utilisation d’une rhétorique radicale, afin de préparer le terrain à un compliment envers Lula, lorsqu’il déclama "Il y a des gens dans mon pays. De braves gens, mais des gens qui disent que je ne vais pas assez vite, ou que je ne suis pas assez radical. Mais ces camarades doivent réaliser que ceci est un processus, un processus avec des stades et un rythme. Souvenez-vous que nous nous attaquons à un système mondial, ce qui est une grosse tâche. Je sais que je cours un risque de me faire huer, mais lula est un brave type, et un ami."
Et Chávez fut hué, mais ceci fut partiellement noyé sous les applaudissements qu’il reçut à la fin de son discours.
Les militants les plus conscients qui quittèrent la conférence ont dû remarquer que le discours de Chávez contenait plus d’éléments radicaux que d’habitude. Malgré cela, ils ont dû aussi remarquer qu’il manquait d’explications réellement révolutionnaires et socialistes quant à comment le capitalisme pourrait être vaincu au Vénézuela et à travers le continent.
Les membres du CWI au Forum Social savaient que le nombre de personnes à la conférence de Chávez serait énorme : c’est là que se trouveraient tous ceux qui cherchaient des idées radicales au Forum. Par conséquent nos membres arrivèrent à l’entrée quatre heures avant le début de la conférence pour monter des stands, distribuer des tracts et vendre des journaux. Notre but était de discuter avec autant de gens que possible au sujet des tâches par lesquelles la révolution vénézuelienne pourrait arriver à sa conclusion.
Alors que d’autres partis de gauche avaient leur matériel à proximité, le travail de campagne du CWI avant la conférence était le plus visible de loin. Des équipes du CWI marchaient le long de la file dicutant avec les gens et distribuant le matériel. En tout, 200 livrets de la version espagnole "Les Socialistes et la Révolution Vénézuelienne" par Tony Saunois, c’est-à-dire tous ceux que nous avions imprimés, furent vendus. Dans certains cas, des jeunes en achetaient un, puis revenaient avec leurs amis pour en obtenir d’autres. 6000 tracts furent distribués avant, pendant, et après la conférence.