Une chute… qui tombe à plat?

Voilà ce qui s’appelle un timing particulièrement bien étudié. « La Chute », qui raconte les douze derniers jours de Hitler dans son bunker, débarque en plein milieu d’une année de commémorations en tous genres marquant le soixantième anniversaire de la fin de la guerre.

Jean Peltier

Sorti en septembre en Allemagne où il a rencontré un énorme succès (plus de cinq millions de spectateurs), il arrive maintenant sur les écrans un peu partout en Europe, accompagné d’un cortège de polémiques – peut-on montrer le caractère humain d’un monstre et d’un bourreau ? – qui ne doivent pas déplaire au responsable du marketing.

Le succès de « La Chute » ne tient évidemment pas qu’à une bonne maîtrise du calendrier. Le film ne manque pas de qualités. Il respecte de près la réalité historique, il est remarquablement réalisé et les acteurs sont impressionnants, particulièrement Bruno Ganz qui réussit une composition extraordinaire en se coulant dans le personnage de Hitler tout en n’offrant jamais la moindre occasion au spectateur d’être touché par le côté humain du personnage et de lui trouver l’ombre d’une circonstance atténuante. Par ailleurs, « La Chute » ne s’intéresse pas qu’à la fin de carrière et de vie de Hitler. Il montre à la fois la similitude et le contraste entre deux mondes qui sombrent : les dignitaires d’un régime enfermés dans leur bunker et la population civile de Berlin qui erre affamée et totalement désemparée dans les ruines de la ville bombardée.

Et c’est là que commencent les problèmes ! Car, pendant 2h30, on ne voit que des Allemands dans le film. Une grosse poignée de salauds, les dignitaires nazis, et des milliers de victimes, ceux que la folie des premiers a conduit au désastre. Par contre, les patrons, allemands eux aussi, qui ont amené les nazis au pouvoir et ont prospéré sous leur dictature, sont curieusement aux abonnés absents, tout comme l’armée allemande d’ailleurs. Sans même parler des 20 millions de morts soviétiques, des 6 millions de juifs exterminés dans les camps et des populations qui ont connu l’occupation de l’Atlantique à l’Oural. Ce qui fait quand même beaucoup de monde !

« La Chute » est basée sur les travaux de Joachim Fest, un historien allemand renommé qui appartient à l’école conservatrice et anticommuniste toujours dominante dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Sans manifester aucune sympathie pour le régime nazi, cette école a cependant comme fond commun de traiter le nazisme comme une « monstruosité historique » qui s’est imposée à une population qui fut donc d’abord la victime de ce régime avant de devenir celle d’une guerre perdue. Cette analyse ne permet guère de comprendre la dynamique sociale et politique qui a permis au mouvement nazi de mobiliser une fraction importante de la population allemande. Mais elle est bien commode pour garder un voile pudique sur les multiples soutiens – dans la droite et le patronat – qui ont permis aux nazis d’accéder au pouvoir. Et, puisque le nazisme n’aurait été ainsi qu’une parenthèse dramatique dans l’histoire allemande, cette vision est de plus parfaitement compatible avec le nationalisme « présentable » d’une grande puissance qui aurait retrouvé après 1945 sa vraie nature démocratique.

Olivier Hirschbiegel, le réalisateur du film, n’est certainement pas loin de cette vision quand il affirme qu’il est « très fier d’avoir contribué à réaliser un film authentiquement allemand qui aborde l’histoire allemande sans porter de jugement a priori, sans cynisme et sans arrogance et qui suscite des interrogations chez le spectateur. Personne n’a le droit de nous empêcher de parler de notre propre histoire, sauf nous-mêmes. » Comprendre ce que fut réellement le fascisme dans les années ’30 pour mieux combattre celui qui remonte aujourd’hui un peu partout en Europe est de première importance. Malheureusement, « La Chute » ne nous y aidera pas beaucoup.

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