Jean Ferrat chantait l’amour de la lutte et l’amour dans la lutte. Il chantait la colère contre le capitalisme, mais aussi la révolte de Prague contre le stalinisme. Il chantait la liberté et le socialisme. Il est décédé hier, à 79 ans et après plus de 200 chansons.
Par Stéphane (Liège)
«Je ne chante pas pour passer le temps» disait-il dans une de ses chansons. Et effectivement, Jean Ferrat chantait pour dénoncer, pour faire rêver et surtout pour accompagner la vie des travailleurs dans leurs luttes, leurs amours, leurs rêves,… Si nous ne partageons pas les choix qu’il a pu faire en tant que militant politique – très certainement en restant lié au PCF stalinisé – nous voulons rendre hommage à un artiste qui se plaçait résolument du côté des travailleurs.
Il annonçait clairement la couleur: «En groupe, en ligue, en procession […] Il est temps que je le confesse […] Je suis de ceux qui manifestent». Il l’avait d’ailleurs fait dès le début, en se faisant connaître en chantant Potemkine et l’histoire de ces marins de 1905 en Russie qui retournèrent leurs fusils contre leurs oppresseurs. Cela ne fût sans doute pas du goût de tous puisqu’à partir de 1966, il fût interdit à a télévision pour sa candidature sur les listes du PCF (parti communiste français).
Il fut un compagnon de route du PCF durant des années, mais s’en distancia à plusieurs reprises, notamment en condamnant l’intervention des troupes soviétiques à Prague en 1968: «Que venez-vous faire, camarade / Que venez-vous faire ici / Ce fut à cinq heures dans Prague / Que le mois d’août s’obscurcit». Il avait aussi chanté Le Bilan, très critique contre le stalinisme, ou encore parlé des régimes capitalistes et staliniens comme de «la jungle et le zoo.»
Quand il chantait l’amour, il ne parlait pas de l’amour des riches, mais il parlait des amours ouvrières. «Ma môme, elle joue pas les starlettes, / Elle met pas des lunettes, de soleil. / Elle pose pas pour les magazines, / Elle travaille en usine, à Créteil.» C’était dans la même optique qu’il mit en chanson Louis Aragon, le célèbre poète communiste mais fort malheureusement stalinien.
Quand le journal de droite Le Figaro avait titré «Jean Ferrat a chanté la France mieux que personne», le principal intéressé leur a répondu dans sa chanson Ma France en leur disant que sa France, c’est celle «dont Monsieur Thiers (1) a dit ‘qu’on la fusille!’ […] celle des travailleurs […] celle du journal que l’on vend le matin d’un dimanche (2)»
Des milliers de militants ont combattu et aimé au rythme des musiques de Jean Ferrat. Aujourd’hui, c’est un compagnon de lutte qu’ils perdent, un camarade. C’est une voix dédiée aux sans-voix qui s’en est allée.
(1) Adolphe Thiers est le dirigeant français qui fit écraser la Commune de Paris.
(2) Faisant référence au journal du PCF L’Humanité.
Ci-dessous, vous pouvez voir la vidéo de l’une de ses chansons Le Bilan (1980), qui est une réaction aux propos de Georges Marchais, alors secrétaire général du parti communiste français, qui avait parlé du «bilan globalement positif du socialisme réel». Les paroles sont explicites: «Ah ils nous en ont fait avaler des couleuvres / De Prague à Budapest de Sofia à Moscou / Les staliniens zélés qui mettaient tout en œuvre / Pour vous faire signer les aveux les plus fous (…) / Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre / Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui»