Un millier de personnes ont manifesté ce vendredi 19 février dans le village palestinien de Bil’in, dans la zone occupée de Cisjordanie, pour marquer les cinq ans de lutte et de manifestations hebdomadaires par le village contre le mur de séparation d’Israël, qui annexe 50% de leur territoire (environ 2 km²) au bénéfice de la grande colonie juive ultra-orthodoxe voisine de Modi’in-‘ilit. Les militants du CIO en Israël ont participé à cette manifestation contre le «Mur de la honte».
Maavak Sotzyalisti (CIO-Israël/Palestine)
Les manifestants sont parvenus à démolir deux sections du mur, et même à hisser le drapeau palestinien au sommet du poste militaire qui se trouve derrière. L’armée a répondu moins violemment que d’habitude, à cause de l’attention médiatique accrue de cette semaine, et s’est «contentée» d’envoyer un tir de barrage de gaz lacrymogènes projetés à quelques centaines de mètres (touchant même plusieurs enfants en bas âge), en plus de tirs de balles en caoutchouc, et du liquide «Putois» (une invention de la police israélienne, sortes de boules puantes avec une odeur qui colle aux vêtements et à la peau pendant des jours et des jours).
Selon un porte-parole de l’armée, les dégâts infligés au mur sont estimés à des centaines de milliers de shekels (1 shekel valant 0,2 €). Malheureusement, il est probable que le gouvernement israélien injecte plus d’argent du contribuable dans l’entretien du Mur. Maavak Sotzyalisti – section du CIO en Israël/Palestine – a participé aux mouvements de protestation contre le mur de séparation ces dernières années, partout où c’était possible, que ce soit à Bil’in ou ailleurs en Cisjordanie, à Jérusalem-Est ou en Israël. Au cours de la dernière manifestation, nous avons organisé un bloc à l’intérieur du cortège vers le mur, avec des pancartes sur lesquelles étaient inscrits des slogans à la fois en arabe et en hébreu – tels que «La solidarité vaincra l’occupation, l’oppression et la pauvreté» ou «Démantelez le Mur, les checkpoints, les colonies, à bas l’occupation».
Nous avons aussi crié des slogans en arabe, en hébreu et en anglais, y compris «Le Mur n’est pas une solution – l’occupation c’est la terreur», «Netanyahu et Barak – Notre lutte n’est pas finie», «Ceci n’est pas un Mur de sécurité – mais un vol de terres», «A Bil’in et à Sheikh-Jarakh [un quartier de Jérusalem-Est] – On va se battre, on ne fuira pas», «Le gouvernement des élites piétine nos familles – à Bil’in comme à Sderot [ville près de Gaza qui est souvent touchée par des tirs de roquettes]», «Investir dans l’emploi, pas dans l’occupation ou les colonies» et «Soldats, que gardez-vous? Des propriétés pour les colons», etc.
Nous avons reçu un accueil chaleureux de la part des autres manifestants, et avons attiré certains manifestants palestiniens et israéliens, qui ont marché à nos côtés. Par exemple, un manifestant palestinien a tout d’un coup soulevé un de nos membres pendant 15 minutes pour crier des slogans.
Un symbole international de lutte
Bil`in est devenu un symbole international pour une lutte populaire large contre le Mur, réunissant non seulement des militants internationaux pour le soutien de solidarité, mais aussi un nombre exceptionnel d’Israéliens/Juifs qui ont participé aux manifestations hebdomadaires. Ceci se passe malgré que les régulières tentatives antidémocratiques de la police israélienne d’interdire l’accès à Bil’in aux manifestants israéliens, et malgré les efforts en parallèle par l’Etat de déporter les militants internationaux. La participation de manifestants israéliens a été encouragée dès le départ de la lutte en tant que principe stratégique par le Comité Populaire du village.
Face à la répression militaire croissante de la lutte à Bil’in, et en Cisjordanie de manière générale – ce qui justifierait le fait que les résidents organisent leur propre autodéfense – les villageois insistent sur le fait qu’ils veulent mener une «lutte non-violente» afin de se défendre, mais ils sont néanmoins lourdement réprimés.
Toute résistance contre le Mur est réprimée par «la seule démocratie du Moyen-Orient», pour divers prétextes, tels que l’«illégalité» des manifestations (à la suite d’une déclaration de «zone militaire fermée»), ou à cause des «jets de pierre» par les jeunes du village lors des bagarres avec l’armée (parfois lancées par des agents provocateurs infiltrés), ou encore l’endommagement du Mur par les manifestants. Presque toutes les manifestations contre le Mur en Cisjordanie sont brutalement et violemment dispersées, avec des méthodes qui incluent habituellement des balles en caoutchouc et autres munitions mortelles, différents types de grenades à gaz lacrymo, de grenade à effet de choc, de fluide Putois, etc.
En avril dernier, l’armée a tué un des villageois, Bassem « Phil » Abu-Rahme, pour le punir d’avoir appelé un officier à calmer la répression. Bassem a rejoint la longue, longue liste des combattants d’autres villages qui tout comme lui sont morts lors de la longue lutte contre le Mur qui a débuté en 2002.
Depuis juin, l’armée israélienne et le Shabak (services de sécurité israéliens) ont organisé arrestation après arrestation à Bil’in et dans le village en lutte voisin de Ni’lin. Près de 40 des 1.800 habitants de Bil’in, y compris certains dirigeants de la lutte et des adolescents, ont été arrêtés au cours de raids nocturnes par le Magav («Police frontalière » israélienne). Certains sont toujours détenus dans une prison militaire israélienne.
Mais Bil’in peut aussi jusqu’ici être fier de certains succès partiels. En septembre 2007, la Cour Suprême israélienne, qui soutient la construction du Mur de manière explicite, a ordonné à l’armée de planifier un nouvel itinéraire pour celui-ci, comme elle l’a déjà fait auparavant afin de tempérer la résistance dans certaines autres zones où une lutte sérieuse s’est développée. La Cour ne peut pas ignorer le fait que l’itinéraire actuel prévoit non seulement d’encercler une colonie existante, mais aussi une vaste portion de territoire volé afin d’en faire des propriétés immobilières pour la colonie. La semaine dernière, des géomètres officiels sont venus dans la zone pour préparer le terrain pour une modification d’itinéraire. Ceci est une victoire importante. Cependant, même le nouvel itinéraire ne rendra qu’un tiers des terres volées au village et, bien entendu, le Mur sera toujours là.
Impasse politique
La manifestation de commémoration a commencé avec une série de discours par le maire de Genève, en visite, et des politiciens palestiniens, y compris le Premier Ministre Salam Fayad (un néolibéral extrémiste, ancien cadre de la Banque Mondiale et du FMI), et le libéral de gauche Moustafa Barghouti. Bil’in est un bastion traditionnel du Fatah, pourtant la scène reflétait le morne vide politique qui s’offre aux travailleurs et aux pauvres palestiniens.
Quelle est la connexion entre ces dirigeants et la lutte populaire palestinienne ? Fayad peut bien parler de soutien à la lutte contre le Mur, mais en même temps, il appelle le Président palestinien, Mahmud ‘Abbas, à redémarrer des négociations avec l’actuel gouvernement israélien belliqueux et d’extrême-droite de Netanyahu, sans même parler de la reprise du projet de colonisation israélienne ni de l’escalade permanente de l’oppression des Palestiniens de Gaza et d’ailleurs.
Sur l’arrière-plan d’un fort sentiment – compréhensible – en faveur d’une unité palestinienne, il est difficile de dire quelles sont les différences de programme entre les différents partis politiques laïques (le Hamas n’étant pas présent à cette manifestation). Malheureusement, les organisations de la gauche du Fatah ne sont plus que l’ombre des organisations de la gauche palestinienne d’il y a 20 ans, qui ont vécu pendant la Première Intifada et jusqu’à la chute de l’URSS et des accords d’Oslo, qui ont poussé les organisations de masse dans une complète impasse politique. Une anecdote qui illustre où mène ce processus: certains jeunes manifestants du FDLP (Front Démocratique pour la Libération de la Palestine) ont avoué être payés par leur parti pour se rendre à la manif.
Des explosions sont à venir
Cette lutte est loin d’être terminée. L’immense Mur de séparation, qui est démagogiquement présenté par la classe dirigeante israélienne comme étant une «Barrière de sécurité», est un des mécanismes lourds de l’occupation. Ses origines proviennent des accords d’Oslo. Le Premier Ministre de l’époque, Yitzhak Rabin (assassiné peu après), avait dit que: «Nous devons décider la séparation en tant que philosophie. Il faut qu’il y ait une frontière nette».
Le Mur sert à approfondir les divisions nationales et à rendre le conflit encore plus compliqué. Il sert aussi à la classe dirigeante israélienne pour annexer les terres, avec le but d’imposer de nouvelles frontières futures. Derrière le Mur, c’est un camp de prisonniers géant et contrôlé par l’armée qui est en train de se développer, selon un modèle semblable à celui de la Bande de Gaza, excepté que celui-ci est bien plus disséqué. Il inclut des enclaves de colonies élitistes, avec des infrastructures séparées et, dans certains cas, qui incluent des nids de kahanistes-fascistes israéliens qui terrorisent la population palestinienne sur une base quotidienne. Les conditions impossibles qui sont imposées au Palestiniens de Cisjordanie, abandonnés «en-dehors» du Mur sont, en fait, un moyen de les forcer à se réinstaller «à l’intérieur» du Mur, ce qui profite aux ambitions démographiques de la classe dirigeante israélienne.
Une Troisième Intifada est inévitable. Ceci est clair pour des couches de plus en plus larges de la classe dirigeante israélienne, et pour certains dirigeants impérialistes sur le plan international, qui essaient d’appeler à un nouvel accord de «paix» néocolonial, caché sous le masque d’un nouvel Etat pantin palestinien, en tant que «stratégie de sortie» pour «désamorcer» le conflit. Comme le montre l’exemple tragique de Gaza, surtout après le massacre perpétré l’an dernier par l’armée israélienne, même si la classe dirigeante israélienne décide à un certain stade (et ceci est très improbable à l’heure actuelle) de faire la concession d’un retrait des colonies, des bases militaires et de sa présence formelle dans la zone entourée par le Mur, le régime israélien est toujours capable de lancer une déferlante infernale sur la population israélienne. Et même si l’Autorité Palestinienne était définie, dans le futur, en tant qu’ « Etat » – du moins sur papier – le conflit ne serait pas résolu. Il ne peut pas se terminer, parce que le régime capitaliste israélien et ses soutiens impérialistes ne permettront pas que se développe un Etat palestinien véritablement indépendant à l’entrée d’Israël.
Construire la résistance
Seul un retour à une lutte populaire de masse offre une issue pour les Palestiniens, afin de remporter des concessions et finalement de renverser l’occupation et mettre un terme à l’oppression nationale. Mais sans une direction politique claire, qui se range du côté des travailleurs, des paysans et des pauvres palestiniens, tout soulèvement de ce genre sera incapable d’accomplir l’objectif de libérer les Palestiniens de l’oppression.
Il y a un besoin urgent d’unir les forces réellement de gauche, les syndicats et les comités populaires, pour former un nouveau parti politique large dans les Territoires Palestiniens Occupés, en tant qu’alternative à la droite, à l’impasse du Fatah et du Hamas. La déception qui est ressentie par de nombreux Palestiniens par rapport à ces partis et forces traditionnels palestiniens crée un espace pour une telle initiative. Celle-ci devrait être basée autour d’un programme socialiste, avec une approche de classe claire, ayant pour but d’unir dans la lutte les classes ouvrières palestinienne et israélienne, tout en exigeant de véritables droits nationaux égaux. Au même moment, il y a la tâche vitale d’étendre le CIO dans cette région, et de créer une nouvelle organisation combative marxiste au sein des Territoires Palestiniens.