Afghanistan: Operation Moshtarak – La nouvelle offensive d’Obama

L’OTAN a commencé une offensive massive dans le sud de l’Afghanistan. Avec 15.000 soldats principalement américains, britanniques et afghans, l’«opération Moshtarak» doit être le prototype de la nouvelle tactique d’Obama & Co dans le monde. C’est la plus grande offensive de l’occupation de l’Afghanistan, uniquement comparable à certaines phases de la guerre du Vietnam. L’offensive pakistanaise dans la vallée du Swat qui s’est déroulée un peu plus tôt n’a pas permis de restaurer la stabilité et le calme. L’offensive dans le Helmand y parviendra-t-elle?

Par Geert Cool

L’opération Moshtarak est une campagne extrêmement médiatisée. Début février, dix jours avant le début de l’offensive, cette opération a été annoncée dans un communiqué de presse du Pentagone. Au même moment, des tracts étaient déjà en train d’être distribués dans la ville de Marjah afin de prévenir la population du début de la plus grande offensive depuis le début de la guerre. Il semble que le Pentagone lui-même voulait s’assurer que les Talibans soient au courant de ces plans. Le 4 février, le journal pakistanais L’Aube écrivait déjà que «Un porte-parole du Ministère de la Défense afghan a confirmé qu’une offensive impliquant des dizaines de milliers de troupes était en préparation. Bien qu’il ait refusé de confirmer l’endroit, une rumeur bien répandue affirmait qu’il n’était pas exclu que son objectif soit la ville de Marjah, aujourd’hui contrôlée par les talibans.»

Les rumeurs ont de suite parlé d’une vague de réfugiés limitée, quelques centaines de familles qui auraient pris la fuite. La ville de Marjah compte environ 80.000 habitants, auxquels on peut ajouter les faubourgs pour un total d’environ 100.000 habitants. Cette ville, dans toute son ampleur, fait donc plus ou moins la taille de La Louvière. C’est là que se dirigent maintenant 15.000 soldats afin d’en chasser les talibans dont l’effectif est estimé à entre 500 et 1000 personnes. L’annonce publique de l’offensive via médias et tracts à Marjah est surprenante. L’objectif était-il de laisser aux talibans le temps de fuir de sorte qu’une «victoire» rapide puisse être engrangée tandis que le monde entier observe? Il était déjà annoncé le 4 février qu’un grand nombre de talibans avaient quitté la ville, probablement pour se regrouper ailleurs.

La ville de Marjah est passée quelque temps sous contrôle taliban depuis que quelques centaines de militants y ont été attirés cet été. La ville se trouve dans la province du Helmand, au sud. 92% de la population y est de nationalité pachtoune. La province est responsable de plus de 40% de la production mondiale d’opium. Dans la région, les talibans ont eu un impact de plus en plus grand. Les troupes d’occupation y sont dirigées par les Britanniques.

Il y a déjà eu cet été une offensive de grande ampleur, l’opération Khanjar, impliquant 4.000 soldats américains et 650 soldats afghans. Cette opération était une préparation de l’offensive actuelle. Les troupes ont reçu l’instruction de ne pas trop tirer et de gagner la confiance de la population locale, un «calme tactique», selon les mots du Général McChrystal. La grande offensive a donc fait en sorte qu’une partie des talibans sont partis du voisinage de la capitale provinciale, Lashkar Gah, pour gagner le nord et le sud de la province, certains parvenant même au Pakistan. Ceci a été confirmé par le Ministère de la Défense afghan.

Pour éviter un nouvel exode des talibans vers le Pakistan, des négociations ont été menées avec le régime pakistanais avant le début de l’«opération Moshtarak». En outre, un accord aurait à ce qu’on dit été obtenu au sujet du règlement de toute une série d’accidents avec des drones (des bombardiers sans pilote). Le régime pakistanais ne s’est pas montré prêt à lancer une offensive dans le Nord-Waziristan.

L’offensive de Marjah doit valider la stratégie du Général McChrystal: la capture du contrôle dans les villes. La population locale voit cela avec des sentiments mitigés. En mai 2009, les troupes internationales et afghanes avaient déjà conquis la ville, mais il n’a fallu alors que peu de temps avant que les talibans n’en reprennent le contrôle, et ne restaurent la ville en tant que centre et base logistique du commerce d’opium.

Avec l’offensive de Marjah, les talibans sont confrontés aux forces militaires. En outre, des pertes civiles ont déjà été déplorées : dimanche dernier, 12 civils afghans ont été tués par la chute d’une roquette américaine. Le Général McChrystal s’est excusé de cela auprès du Président Karzaï, dont le porte-parole avait fait savoir que le Président était extrêmement inquiet de cet incident. A la suite de l’opération militaire internationale, une trentaine de combattants talibans avaient été éliminés.

La tentative de contrôler les centres-villes fait un peu penser à l’occupation russe dans les années ‘80. Les troupes soviétiques avaient, à l’«apogée» de l’occupation, environ 100.000 hommes en Afghanistan, et essayaient avec ceux-ci de prendre le contrôle des villes. Les moudjahiddines (combattants islamistes) menaient une guerre de guérilla à partir de la campagne. Lorsque, en 1985, Gorbatchev est arrivé au pouvoir, il croyait qu’il pouvait mettre un terme à cette guerre. Cela devait se produire via la hausse des effectifs à 108.800 hommes, par lequel les moudjahiddines iraient de défaite en défaite, sans qu’une grosse défaite définitive ne soit infligée. Mais l’Union Soviétique ne pouvant pas continuer à financer l’énorme coût de la guerre, le bourbier afghan sans perspective a accéléré le développement de la crise en Union Soviétique.

De la même manière que Gorbatchev le faisait en son temps en Union Soviétique, Obama a amené aux Etats-Unis un nouveau souffle avec ses beaux discours sur le «changement» et l’«espoir». Il pense aussi pouvoir amener la paix en menant la guerre, avec une grande offensive qui mettra les talibans KO une bonne fois pour toutes. C’est une illusion.

L’opération Moshtakar se déroule de manière relativement difficile malgré tous les efforts pour laisser filer les talibans à l’avance. Si, pour le contrôle d’une ville de 80.000 habitants, il faut 15.000 soldats, alors Obama va devoir faire passer ses recruteurs aux Etats-Unis à la vitesse supérieure, puisqu’il désire établir son contrôle sur l’ensemble de la province du Helmand (1,4 millions d’habitants).

De surcroît, il reste la menace d’un élargissement régional du conflit. Samedi dernier encore, des victimes sont tombées lors d’une attaque dans la ville indienne de Pune, à côté de Mumbai (Bombay). Cette attaque s’est produite directement après l’annonce de nouvelles négociations entre les ennemis jurés que sont le Pakistan et l’Inde. De l’Inde, des doigts accusateurs ont pointé le Pakistan; le parti nationaliste hindou d’opposition BJP revendique la fin des négociations avec le Pakistan. Bien que cette attaque puisse n’avoir aucun lien direct avec l’offensive au sud de l’Afghanistan, elle fait tout de même partie du même processus. Les Etats-Unis ont besoin du Pakistan en tant qu’allié, et pour que cet allié reste fiable, il faut également un arrangement avec l’Inde. Les négociations prévues entre les deux pays font donc pour les Etats-Unis logiquement partie de leur stratégie en Afghanistan, qui est également le cadre de l’opération Moshtarak.

La nouvelle offensive en Afghanistan permettra sans doute de reprendre le contrôle de la ville de Marjah aux talibans, mais ne constituera pas une défaite définitive pour les talibans. Qui plus est, elle va encore plus exacerber les tensions régionales. La nouvelle stratégie du Général McChrystal et du Président Obama pourrait bien accomplir le même résultat que l’effort de guerre de Gorbatchev en son temps. Cela ne l’a pas seulement conduit à une défaite en Afghanistan, mais aussi à une défaite dans son propre pays, avec la chute du Bloc de l’Est.

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